AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   


Je suis beaucoup plus sévère avec la communauté
internationale qu’avec les Israéliens”
10.12.01

Après quatorze mois d’Intifada et plus de 1 000 morts, quel bilan tirez-vous ?

    La société palestinienne est en plein mouvement. La radicalisation progressive de ses actions, des manifestations pacifistes aux envois de kamikazes, résulte d’une situation objective : l’échec d’un processus de paix de huit ans, qui avait promis à la société palestinienne la libération du territoire occupé et la constitution d’un véritable Etat. Ainsi le premier bilan à tirer est clair : il s’agit d’une reprise de l’initiative politique par la société palestinienne, qui crie à sa propre direction comme au reste du monde son refus d’une situation profondément injuste. Selon moi, cette Intifada prouve la bonne santé de la société palestinienne. La tragédie, c’est que l’on a présenté l’Intifada comme une action contre les Israéliens. Or c’est un mouvement réflexif, un peuple qui se relève. C’est l’Intifada des réfugiés et des pauvres, et c’est pour cela qu’elle est plus radicale et qu’elle va tellement loin.

Comment jugez-vous la réaction de la société israélienne ?

    L’Intifada démontre à mes yeux l’aveuglement et la surdité de la société israélienne et de sa direction politique, que ce soit Ehoud Barak ou Ariel Sharon. La répression féroce, le châtiment collectif de toute la société palestinienne - les destructions de maisons, d’oliviers, les bombardements, les bouclages, les arrestations -, tout cela renforce et nourrit la capacité de résistance palestinienne. Et la résistance ne peut que se radicaliser dans sa forme : du jet de pierres aux kalachnikovs et aux kamikazes. Aujourd’hui, nous arrivons à un point où l’Intifada ne peut déboucher que sur un réveil de la société israélienne que Sharon mène à sa perte. Israël est en un sens une société d’enfants gâtés, immatures et égocentriques. La gauche israélienne, Amos Oz ou A. B. Yehoshua, par exemple, pensait qu’il suffisait de dire “nous reconnaissons un Etat palestinien” pour que tout rentre dans l’ordre. Ils n’ont pas pris la peine de connaître la réalité palestinienne et de s’y investir. Ils ont eu l’attitude coloniale de dire “après tout ce qu’on leur a donné, ils nous envoient une claque”. Ils n’ont pas compris que les Palestiniens vivaient mieux avant Oslo plutôt qu’après. Cette démission des intellectuels de gauche a renforcé Sharon. J’attends la naissance d’une vraie gauche israélienne.

Comment jugez-vous l’engagement de la communauté internationale, 
et des Etats Unis en particulier ?

    Si la société israélienne est frappée de cécité, la communauté internationale souffre de lâcheté. Je suis beaucoup plus sévère envers elle qu’envers la société israélienne. La communauté internationale est incapable d’assumer sa responsabilité face aux Israéliens et les laisse agir en toute impunité. Face à la violation de toutes les règles du droit international, les Etats-Unis, l’Union européenne et la Russie, toute la communauté internationale reste muette. Et pourtant, le sommet de Charm el-Cheikh d’octobre 2000, en mandatant la commission George Mitchell, aurait pu faire baisser la tension sur le terrain. Cette lâcheté internationale s’explique par la culpabilité de l’Europe à l’égard du peuple juif et la politique impériale américaine de soutien à Israël.

Quel est l’impact du 11 septembre sur le conflit ?

    Le 11 septembre a bouleversé l’agenda mondial. L’attention centrée sur le Moyen-Orient s’est réorientée vers l’Afghanistan, laissant Sharon mener sa propre guerre contre les Palestiniens. Aujourd’hui, je ne sais pas jusqu’où ira cette guerre et combien de pays elle embrasera. Tout cela s’ajoute à une crise profonde de modernité dans le monde arabe, crise qui met face à face les laïcs et les religieux, les riches et les pauvres, les démocrates et leurs oppresseurs, qu’ils soient des régimes militarisés ou des régimes islamisés. La Palestine a toujours été un catalyseur de toutes les contradictions et dialectiques qui travaillent les sociétés arabes et qui séparent le camp de la paix avec Israël du camp de la guerre. Nous sommes arrivés à un point nodal, la communauté internationale n’a pas les moyens de détourner les yeux. Il faudra qu’elle assure la paix ou qu’elle paie le prix de la guerre.

Comment peut-on aujourd’hui sortir de l’impasse ?

    L’ensemble des accords déjà signés sont encore valables : Oslo I et II, Wye River, Charm el-Cheikh I et II et le rapport Mitchell. Ce dernier propose un mécanisme pour reprendre la mise en œuvre de ce qui a été signé. Tous ces accords, signés et approuvés par la Knesset, doivent être appliqués. Or, dans une situation où il y a un fort et un faible, l’expérience montre que ça ne sert à rien de signer des accords s’il n’y a pas un mécanisme d’arbitrage international qui surveille chaque contractant et qui garantisse l’application. Il faut un arbitre très exigeant et ferme avec les deux parties. Il faut faire respecter le calendrier et les détails. Par exemple, lorsque la déclaration de principe dit : “Rien ne sera entamé qui puisse porter préjudice à la souveraineté du territoire”, cela veut dire, à mon sens, la fin de la colonisation. De même, le texte énonçait que les parties s’abstenaient de “recourir aux armes pour régler des conflits”. Nous n’avons pas respecté cette clause. S’il y avait eu un arbitre pour nous en empêcher, nous ne serions pas tous les deux dans le pétrin dans lequel nous sommes aujourd’hui.

Est-ce que l’on peut revenir à la table des négociations ?

    Bien sûr, même avec Sharon, un homme qui ne veut pas de la paix. Il a d’ailleurs voté contre l’ensemble des traités de paix avec l’Egypte, la Jordanie et la Palestine. Il fait parti de ces généraux qui vivent dans le passé, il dit encore que la guerre d’indépendance n’est pas terminée… Mais il est le Premier ministre d’un Etat qui ne vit pas dans une bulle et qui dépend de fait de ses relations avec les Etats-Unis et l’Union européenne sur les plans diplomatique et économique. Israël ne peut se couper des Etats-Unis et de l’Europe. De même, Israël n’a pas les moyens de briser les accords de paix avec l’Egypte et la Jordanie et de risquer une nouvelle guerre avec la Syrie. Pour toutes ces raisons, ce qui manque, c’est la volonté de la communauté internationale d’assumer sa responsabilité, comme elle l’a fait dans le Golfe, en Bosnie, au Kosovo et en Afghanistan au sein de coalitions internationales de guerre. Je ne vois pas pourquoi le Moyen-Orient ne pourrait pas susciter une coalition internationale de paix. Une coalition entre Américains, Européens, Russes, Chinois et les Etats arabes qui ont signé un traité de paix avec Israël sous l’égide de l’ONU, afin de mettre en œuvre les accords tels qu’ils sont signés et sauver le Moyen-Orient d’une nouvelle guerre. Concernant le statut final, nous avons assez avancé à Taba pour régler ces questions en une année de négociations. Sur chaque dossier, nous avons pratiquement trouvé une position commune avec les Israéliens. Barak était sur le point de signer, mais c’était le jour précédant les élections générales en Israël, et il a préféré abandonner. La seule chose qui manque est la volonté politique du gouvernement israélien et de la communauté internationale. Quand Sharon dit qu’il combat son Ben Laden et qu’il doit détruire ses talibans, en parlant de Yasser Arafat et de l’Autorité palestinienne, la communauté internationale doit sortir de sa réserve.

L’Autorité palestinienne ne semble pas être sur la même ligne que la population et les islamistes…

    Non, la population palestinienne est en accord avec cette position de compromis parce qu’elle veut vivre. De même, les islamistes palestiniens sont avant tout des nationalistes. Ils ne reprochent pas à Arafat de ne pas être un bon musulman, mais de ne pas libérer les Territoires. Ils ont certes un programme d’islamisation de la société après la libération et la constitution d’un Etat. Aujourd’hui, ils n’ont pas de projet alternatif à la formule “deux Etats côte à côte”. Mais, si nous pouvons tenir nos promesses d’Oslo, les sondages vont de nouveau revenir en notre faveur.

Depuis le début de l’intifada, de nouvelles générations font entendre leur voix, contredisant souvent Arafat. Existe-t-il aujourd’hui un plan de succession du leader palestinien ?

    Yasser Arafat est le père de la nation, c’est l’homme qui a symbolisé l’autonomie de la décision politique palestinienne face à la volonté israélienne de nous faire disparaître et à la tentative arabe d’imposer son hégémonie. Une période historique se termine donc avec lui. Il n’y aura pas de deuxième Arafat. De plus, le successeur ne sera pas un militaire, la société ne le tolérerait pas. Pour l’instant, la dynamique de l’Intifada montre sa capacité de résistance et le renouvellement de son leadership. La nouvelle génération de dirigeants (Marwan Barghouti et Hussam Khader) passe aujourd’hui son examen dans les Territoires. Ils ont la confiance de la population parce qu’ils luttent contre l’occupation. Une alliance entre les anciennes générations (Yasser Abed Rabbo, Hanane Ashrawi ou Nabil Shaath) et la nouvelle génération de dirigeants semble nécessaire. Le nouveau leadership sera constitué d’ingénieurs, de gestionnaires, d’informaticiens pour constituer un Etat moderne. Nous n’avons plus besoin de personnalités charismatiques extraordinaires, nous avons besoin d’institutions qui gèrent au jour le jour l’économie, l’éducation, l’agriculture. Malheureusement, on ne peut assurer que la transition du pouvoir sera démocratique si nous sommes toujours en guerre.

Des voix s’élèvent en Palestine demandant la création d’un gouvernement d’union nationale intégrant les islamistes. Est-ce une possibilité ?

    L’unité nationale existe déjà dans la société. En revanche, l’union nationale n’est pas possible, car il n’y a pas de gouvernement aujourd’hui. Aujourd’hui, il y a Yasser Arafat et un peuple palestinien, tous les deux cibles de la guerre de Sharon. Par contre, la société a réalisé l’union à travers la direction des mouvements nationalistes et islamistes qui ont coordonné l’action des groupes palestiniens durant l’Intifada. Le Fatah a ainsi pu convaincre le Hamas de renoncer aux attentats suicides. C’est la provocation d’Ariel Sharon, les assassinats extrajudiciaires, qui ont obligé le Hamas et le Djihad islamique à revenir aux attaques kamikazes. La stratégie du Premier ministre est de pousser à la guerre civile, beaucoup plus destructrice pour le peuple palestinien que la répression israélienne. Selon moi, la population palestinienne défend les militants du Hamas par dépit et pour éviter la guerre civile. Si vous faites intervenir des observateurs, si vous arrêtez les blocus, vous verrez que le soutien au Hamas va chuter. De plus, le sens de la responsabilité des Palestiniens les pousse à éviter le règlement par les armes de leurs différends politiques. La gauche et les laïcs, c’est-à-dire le Fatah, ont le sentiment qu’ils peuvent gagner démocratiquement. Si ce projet, le compromis historique, deux Etats côte à côte, échoue avec Arafat, ses successeurs en tireront la leçon.

Propos recueillis par Philippe Jacqué,
Courrierinternational.com

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