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Leila Shahid : " Sharon est un criminel de guerre "

Déléguée générale de Palestine en France, Leïla Shahid dénonce les menées d'Ariel Sharon contre l'Autorité palestinienne et son président, Yasser Arafat.

Une fois de plus Yasser Arafat est encerclé. Que veut Sharon ?

Leïla Shahid. Sharon est un criminel de guerre, qui a une politique de criminel de guerre depuis qu'il est arrivé au pouvoir il y a un an et demi. Il mène une politique de destruction contre l'Autorité palestinienne, avec le soutien du président Bush qui considère que Sharon sert sa politique antiterroriste. Avec la nouvelle orientation de guerre contre l'Irak qui occupe toute la communauté internationale, Sharon a pensé qu'il pouvait en profiter pour donner le coup final à l'Autorité palestinienne avec la destruction de ce qui reste du siège et pourquoi pas l'élimination de Yasser Arafat. Il est évident que ce que nous vivons depuis plus de 48 heures est un des actes les plus criminels puisqu'il est complètement dirigé contre ce qu'il reste du symbole du partenaire de paix. Avec la destruction de ce qui reste de la Moukata et l'élimination physique de Yasser Arafat, il n'y a plus de partenaires pour la paix. C'était la volonté de Sharon. Ce qui a profondément choqué c'est qu'on a eu l'impression que la réaction du monde a beaucoup tardé. Mais je salue la réaction efficace et courageuse du président Chirac. La déclaration française a été la plus ferme, en condamnant très violemment l'offensive israélienne contre les bureaux de Arafat et qui a sommé Israël de s'arrêter. Ce qui n'était malheureusement pas le cas ni des pays arabes ni des membres du Conseil de sécurité.

Il y a également les manifestations de milliers de Palestiniens, samedi ?

Leïla Shahid. Effectivement, ce qui a permis de donner un peu de souffle au président Arafat, c'est la sortie dans les rues de Cisjordanie et de Gaza de milliers de jeunes manifestants, malgré le couvre-feu imposé par l'armée israélienne. C'était un soutien au président qui refusait de se rendre. Arafat a dit qu'il préférait mourir comme martyr. Ces manifestations palestiniennes ont montré que les tentatives israéliennes de délégitimer le président Arafat était nulles et non avenues. C'est ce que reconnaissait la presse israélienne, dimanche matin. Celle-ci estimait que la tentative de remplacer Arafat par un dirigeant fantoche avait échoué. Mais c'est inquiétant car, lorsqu'un tigre est blessé, il devient méchant. Les risques sont plus grands que Sharon trouve un autre subterfuge. Les Israéliens parlent de vingt personnes recherchées qui seraient avec le président, mais c'est faux. Il n'est entouré que de sa garde personnelle, ses conseillers, son nouveau ministre des Finances et le responsable du Fatah.

Une fois de plus on est dans l'impasse. Qu'est-ce qui pourrait débloquer la situation ?

Leïla Shahid. On est dans une situation pire que l'impasse. C'est l'implosion totale de tout le système politique qui gérait tant bien que mal cette relation. Principalement parce qu'on est passé d'une phase où la communauté internationale était plus ou moins attentive au Proche-Orient (avec une nouvelle implication des Américains), à une phase où le monde entier est absolument pris par le débat sur la guerre ou non à l'Irak. C'est dans cette situation où les membres du Conseil de sécurité sont préoccupés par la question de l'envoi d'inspecteurs en Irak que Sharon a déclenché cette dernière offensive qui aurait dû être le coup final. C'est uniquement le courage de certains dirigeants du monde, comme le président Chirac, et celui de la population palestinienne qui donne une petite trêve. Mais cette trêve risque de ne pas durer si les Américains ne mettent pas un holà très ferme à Sharon. Ils sont les seuls à pouvoir l'empêcher de continuer. Mais il se peut également que, renforcé par l'idée que la communauté internationale est trop prise par le débat sur la guerre en Irak, il continue son " travail ". Sharon est au pied du mur. Sa politique est un échec total. Il a pensé que par une répression féroce, par la destruction de l'Autorité et par la création d'un mur il allait arrêter les opérations kamikazes, ce qui n'est pas le cas parce que les raisons de ces opérations n'ont pas disparu. Et la résistance de Arafat continue. Pour arrêter Sharon, il faut une position ferme de Bush. Non parce qu'il serait ému par le sort de Arafat (je ne pense pas qu'il sache très bien ce qu'est le goût de l'émotion), mais parce que ça détournerait l'attention du monde de ce qui est la priorité de Bush : avoir un soutien pour son opération contre l'Irak. Or, l'agitation qui commence à se faire sentir dans les rues arabes, les manifestations palestiniennes, créent une situation difficile pour les États arabes qui, malheureusement, ne se sont pas beaucoup manifestés depuis cette dernière offensive. Bush pourrait intervenir mais, à ce stade, nous n'en voyons aucun signe. Il est important que l'Europe demande aux États-Unis de mettre fin à cette offensive criminelle de Sharon si on veut essayer de sauver ce qui peut l'être. Les membres permanents du Conseil de sécurité (qui se réunit aujourd'hui sur la situation en Palestine) pourraient s'adresser aux Américains. Et puis, il faut que l'opposition israélienne se fasse entendre. Yossi Sarid, du Meretz, a dit que Sharon a transformé Tsahal d'armée de défense en armée de destruction. Il est vrai que c'est l'image que donne Israël de lui-même. C'est tragique pour un peuple qui avait espéré faire d'Israël un havre de paix contre la guerre.

Entretien réalisé par P. B. paru dans l'Humanité du 23.09.02

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