AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   



L'offensive israélienne contre la Bande de Gaza 
s'inscrit dans une stratégie coloniale globale.

C. Léostic - Vice-présidente de l'Afps

 
Le but affiché du premier ministre israélien, le général Sharon, est de « finir ce qui a été commencé en 1948 », de continuer à faire de la Palestine un territoire à s'approprier, sans Palestiniens.

Il utilise dans ce but les moyens les plus brutaux, les plus immoraux. La colonisation, le mur d'apartheid et d'annexion en Cisjordanie, les opérations militaires contre les villes, villages et camps de réfugiés en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, la destruction physique et économique de la société palestinienne, sont le pendant de son élimination politique programmée : assassinat ou emprisonnement de ses dirigeants, dont les députés Marwan Barghouti à Ramallah et Hussam Khader à Naplouse, et le président Arafat, élus du peuple palestinien ; instauration du chaos qui tend à rendre ingérable la Bande de Gaza ou plans unilatéraux qui nient l'existence politique palestinienne [1] .

La construction du mur d'annexion, qui continue à emprisonner et morceler la Cisjordanie, malgré les résolutions et avis internationaux qui en affirment l'illégalité ou l'opération militaire sanglante contre la population des camps de réfugiés du nord de la Bande de Gaza, dont Sharon vient d'ordonner la poursuite, en témoignent aujourd'hui [2].

Les protestations internationales se heurtent au refus arrogant des dirigeants israéliens, soutenus par l'administration Bush et confortés par les vétos américains à l'ONU, de se plier au droit.

Les organisations internationales qui essaient d'apporter aux familles palestiniennes l'aide humanitaire (médicale et alimentaire) que l'occupation rend indispensable à leur survie ont beaucoup de difficultés à fonctionner, du fait des entraves à la circulation (check-points, bouclages, couvre-feux, incursions de chars et hélicoptères de combat) qui sont quasi permanentes dans l'ensemble de la Palestine.

A Gaza particulièrement, les atteintes à la liberté de circulation et de travail des personnels de l'ONU sont quotidiennes. L'entrée et la sortie de Gaza sont restreintes et les déplacements à l'intérieur de la Bande, régulièrement coupée en plusieurs tronçons par les check-points israéliens, sont très aléatoires, voire impossibles. L'Unwra ne peut apporter à la population palestinienne l'aide élémentaire dont elle dépend à 70%. Les ambulances restent des cibles et les hôpitaux comme les écoles sont bombardés.

Les protestations des responsables n'y font rien. Assuré de l'impunité que lui assurent la protection de l'administration américaine et le manque de détermination politique de l'Europe, Israël se moque ouvertement du droit international et du droit humanitaire tout comme il bafoue les accords signés. [3].

Les autorités militaires et politiques israéliennes s'en prennent ainsi régulièrement aux agents des Nations unies en Palestine occupée. Elles viennent de tenter encore une fois [4] d'accuser l'ONU de complicité avec de supposés terroristes, notamment à Gaza, en prétendant qu'un ambulancier qui portait une civière pliée, dans le camp de réfugiés de Jabalyia, portait en réalité un lance missile. Devant l'évidence photographique du contraire elles ont « revu leur position », à défaut de faire les excuses exigées par le représentant de l'ONU à Gaza, M. Brisson.

C'est que l'organisation internationale a produit des rapports qui mettent en évidence les pratiques violentes illégales des forces d'occupation israéliennes.

Ainsi, John Dugard, professeur de droit, Sud Africain membre de la Commission Vérité à la fin du régime d'apartheid en Afrique du Sud, nommé par l'ONU rapporteur spécial sur les droits humains en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza en 2001, a adressé un rapport à l'Assemblée générale des Nations unies où il écrit qu'il y a dans les Territoires Occupés Palestiniens un « régime d'apartheid pire que celui qui existait en Afrique du Sud ». [5]

Dans son rapport, présenté en août 2004 [6] Dugard critique vivement Israël pour ses « violations continues des droits humains dans les Territoires palestiniens ». Il cite les routes de contournement des colonies, interdites aux Palestiniens, ou la violation de l'avis de la Cour Internationale de Justice sur le Mur en Cisjordanie.

En février il avait dénoncé l'occupation et en mai 2004 [7], en réponse à l'offensive des forces d'occupation israéliennes dans les camps de réfugiés de Rafah, Dugard avait appelé à imposer un embargo général sur les armes à Israël, semblable à celui qui avait été imposé à l'Afrique du Sud en 1977 [8].

De même Peter Hansen [9], cible aujourd'hui d'accusations israéliennes, a dénoncé en mai 2004 les conditions de vie des réfugiés palestiniens dans les camps de Jordanie , du Liban ou de Cisjordanie et de la Bande de Gaza.

Rappelons qu'en 1948 la création de l'Etat d'Israël, sa victoire militaire ont permis la nakba, « catastrophe » planifiée, et fait des Palestiniens un peuple de réfugiés, en exil ou sur leur propre terre. Par la force ou la terreur, l'armée israélienne -dont Sharon déjà- a alors expulsé plus de 700 000 Palestiniens. La guerre de 1967 et l'occupation militaire des derniers territoires palestiniens que ne s'était pas approprié Israël ont imposé aux Palestiniens une nouvelle spoliation , un nouveau déracinement. Le problème des réfugiés (le droit au retour) reste crucial, et la responsabilité israélienne, dont les Palestiniens demandent la reconnaissance, est totale.

Peter Hansen connaît bien les camps de réfugiés, il y décrit l'impossibilité de vivre décemment, de soigner pleinement, de bien enseigner ou apprendre. Il dit : Si vous le pouvez, essayez d'imaginer la souffrance de ces réfugiés. Vous serez toujours bien en deçà de la réalité ! Cinquante-six ans de conflit et d'exil ont étouffé cette population reléguée sur un lambeau de terre sans Etat. [10]

Ces témoins, les autorités d'occupation israéliennes n'en veulent pas et tentent de les décrédibiliser, ou de les décourager. De la même manière brutale les journalistes se voient interdire l'accès des zones où l'armée israélienne commet ses exactions . Comme à Jénine en avril 2002 ou à Rafah en mai 2004, les médias n'accèdent à Jabalyia qu'avec d'extrêmes difficultés et des risques considérables. Les autorités militaires ont fait savoir aux journalistes que leur qualité d'observateurs médiatiques ne les protégeaient plus. [11]

Les militants internationaux ou israéliens du mouvement de solidarité, défenseurs des droits humains, militants politiques, syndicaux ou associatifs, qui vont en Palestine voir la réalité du terrain, pour accompagner les Palestiniens dans leurs protestations non violentes contre l'occupation ou témoigner au retour sont aussi devenus des cibles. [12]. Les autorités d'occupation veulent réaliser à huis clos leur projet colonial ancien d'expulsion des Palestiniens et de vol de leur terre.

Devant l'application systématique de la stratégie israélienne d'éradication de la réalité palestinienne, devant le déni flagrant et arrogant du droit international, du droit humanitaire ou des droits humains, les réactions de la communauté internationale restent au mieux faibles, au pire complices.

On ne s'étonnera pas bien sûr de la position de l'administration américaine néo-conservatrice qui a malheureusement trouvé dans les attaques du 9 septembre 2001 un tremplin à sa « croisade du bien contre le mal », à « la guerre de civilisation » selon M. Bush, tristement illustrée par la guerre américano-britannique contre l'Irak et l'occupation meurtrière qui en a découlé. Il est frappant d'observer la similitude entre les pratiques d'occupation israélienne en Palestine et ce que les GIs américains infligent à la population irakienne. Le soutien sans faille de l'équipe Bush à la politique de la droite dure israélienne s'inscrit dans la stratégie globale de redéfinition du monde, du Nouveau Moyen-Orient imaginé à Washington.

Que la Russie, pourtant « marraine » du processus de paix, s'abstienne de critique ferme envers un Etat voyou au regard du droit est cohérent avec la violence de sa propre politique coloniale en Tchétchénie.

Les 115 Pays non alignés viennent de décider de sanctions contre Israël mais, porteurs de la voix de « sud », ils sont plus conscience morale que décideurs et n'ont qu'une influence très relative.

Les pays arabes ont proposé la résolution qui formalisait l'avis de la CIJ [13] et ils en ont demandé une nouvelle la semaine passée pour faire cesser le massacre à Gaza, qui s'est heurtée au veto américain. Cependant leur détermination n'est que verbale. Confronté à la répression des aspirations de leurs propres peuples à la démocratie, leur soutien à la lutte de libération des Palestiniens s'arrête à la porte de leurs palais.

C'est donc à l'Europe qu'il revient de faire entendre la voix du droit et de la justice et de s'opposer directement à la politique des néo-conservateurs qui entourent M.Bush, ce qu'elle ne semble pas prête à faire. Elle vient encore de démontrer la fragilité du consensus que doit exprimer la voix européenne [14] et son élargissement récent, y compris à des alliés traditionnels des Etats-Unis, en complique la politique extérieure.

Faut-il alors désespérer ? Pas plus qu'il ne faut se cacher la gravité extrême de la situation ni la responsabilité qui en découle pour la société civile.

La solidarité internationale aux peuples en lutte de libération a su s'exprimer souvent, avec force et courage, de l'Espagne au Viet-Nam ou au Chiapas. Après une éclipse induite par une redéfinition d'un monde qui n'était plus bipolaire, elle est récemment réapparue dans des cadres nouveaux, à travers le mouvement altermondialiste.

Il faut qu'elle s'affirme aujourd'hui, en soutien aux revendications des peuples irakien, tchétchène ou palestinien. Dans ce cadre nouveau où la politique a souvent été décrédibilisée, où les mouvements syndicaux sont plus faibles, c'est dans le cadre d'associations, d'ONGs, que s'expriment les demandes de citoyen/ne/s qui exigent le respect du droit, droit des personnes et droit des peuples. Cependant cette société civile n'a pas le pouvoir de décision, qui reste aux mains des politiques et des forces économiques dominantes. C'est donc sur eux qu'il convient de faire pression pour que les exigences de la société civile soient entendues et prises en compte.

Pour que s'arrêtent les agressions coloniales en Irak et en Palestine, il est nécessaire de faire entendre très haut la voix de l'Europe pour imposer à l'axe ultra conservateur qui tient les rênes au niveau mondial, le respect et l'application du droit sur lequel il base sa propre légitimité, qui régit les relations internationales, qui leur donne une cohérence et qui est garant de la paix pour tous.

Les colonies de peuplement israéliennes sont illégales, le mur est illégal, la détention de milliers de prisonniers palestiniens en territoire israélien est illégale, l'impossibilité pour les réfugiés de retourner chez eux est illégale, l'interdiction de facto de mouvement, d'accès aux soins, à l'éducation, à l'emploi, est illégale.

Dans le cas où un Etat qui se veut partie de la communauté des nations se refuse ostensiblement, de manière répétée, à reconnaître la primauté du droit sur la force, il est indispensable de l'y contraindre. Ce fut le cas de l'Afrique du Sud, c'est celui d'Israël depuis des décennies. La communauté internationale, poussée par l'exigence de ses citoyens, a su agir pour mettre un terme à l'apartheid sud africain. Elle est beaucoup moins déterminée à refuser le nouvel apartheid que la politique coloniale israélienne est en train d'installer en Palestine.

Les acteurs de la société civile doivent trouver les moyens de la contraindre à appliquer les sanctions qui imposeront à Israël de se plier à la règle commune et à appliquer le droit.

Et dans l'immédiat, pour que la Palestine ne meure pas aujourd'hui, il est indispensable qu'une force de protection internationale (ou à défaut européenne) de la population palestinienne soit déployée dans les territoires occupés par Israël.

Claude Léostic 10 octobre 2004

 

[1] le plan de Sharon de retrait de Gaza est unilatéral, il nie ainsi la possibilité que les Palestiniens soient partenaires dans un processus de négociations. Il a reçu l'aval de George Bush en avril 2004, empêchant par là même toute participation réelle de la communauté internationale à une solution politique négociée, et enterrant la feuille de route conçue par le Quartette( ONU, USA, UE et Russie)

[2] plus de 110 morts depuis le 28 septembre, date du début de l'opération qui, sous couvert d'empêcher les tirs de roquettes palestiniens, vise en réalité à déstructurer davantage la société et le territoire palestiniens, à terroriser la population (ainsi de l'assassinat parmi des dizaines d'autres,d' une écolière terrifiée,criblée, déjà morte, de balles, à Jabalya) et à faire de Gaza un champ de ruines, physiques et politiques.

[3] Sharon a déclaré dès juillet qu'il ne tiendrait aucun compte de l'avis de la CIJ, Cour internationale de Justice, rendu le 9 juillet, -qui a dit l'illécéité du Mur et l'illégalité de l'occupation- puis de la résolution des Nations-unies le renforçant. Le 15 septembre il affirmait qu'il n'appliquerait pas la feuille de route dont Israël est signataire et son conseiller Weisglass reconnaissait début octobre que le plan de désengagement unilatéral de Gaza signifiait en fait la mort de tout plan de paix

[4] octobre 2004

[5] cf. article de Aluf Benn, Haaretz, 28 août 2004

[6] avant la session de l'Assemblée Générale en septembre

[7] rapports de l'ONU, février et mai 2004

[8] l'embargo, le boycott, la campagne internationale de sanctions avaient entraîné un effondrement de l'économie sud africaine et amené les dirigeants économiques puis politiques Sud Africains à renoncer à l'apartheid

[9] Peter Hansen est commissaire général de l'agence des Nations unies chargée des réfugiés palestiniens (UNRWA)

[10] cf. le monde 19 mai 2004

[11] Déjà en avril 2002 un journaliste italien avait été tué à Ramallah, puis à Rafah un journaliste anglais et un photographe palestinien à Naplouse en 2003, tous parfaitement identifiables.

[12] Rachel Corrie, Tom Hurndall, militants américaine et anglais de l'International Solidarity Movement ont été assassinés à Rafah en 2003. Un militant du mouvement israélien « Les anarchistes contre le Mur » a été blessé d'une balle à la tête dans une manifestation près de Qalqilia et tout récemment au sud de Ramallah une militante israélienne a eu le bras cassé au cours d'une protestation pacifique contre le Mur

[13] adoptée le 20 juillet, votée à l'unanimité par l'Union Européenne

[14] l'Allemagne et la Grande-Bretagne se sont abstenues pour la résolution pour faire cesser l'offensive israélienne contre Gaza

Source : France Palestine  http://www.france-palestine.org/article667.html

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