AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   



Palestine. Quelles formes de lutte ?

Claude Léostic
 
Il y a un an, quand la spirale « violence criminelle de l’occupation israélienne - résistance armée, y compris par les attentats en Israël » semblait difficile à contrôler, nous avions réfléchi à la non-violence comme forme de lutte appliquée à la Palestine.

C’est une stratégie que les partis et mouvements de la résistance palestinienne n’ont jamais vraiment envisagée ou jugée praticable de manière systématique et durable, pourtant, dès le début de la colonisation britannique et juive de la Palestine, on a vu apparaître des luttes non violentes, individuelles ou collectives.

Ce choix spontané ou structuré de la société civile palestinienne de répondre à l’occupation par la non violence reste d’actualité, après quatre ans d’Intifada et la mort du président Arafat, à un moment crucial de la lutte de libération où s’engage une réflexion sur la poursuite de l’Intifada et les formes à lui donner.

L’occupation britannique, le début de l’implantation juive

.

 

Dès la fin du 19ème siècle l’immigration juive orchestrée par le mouvement sioniste de Herzl prend des allures ouvertement conquérantes. Les élites palestiniennes perçoivent cette menace avec inquiétude. Certains choisissent de s’organiser en formant des associations ou en créant des journaux, pour mettre en garde la population contre le projet sioniste. C’est en refusant de vendre leurs terres que nombre de grands propriétaires terriens, dans la crainte d’être dépossédés, résistent. Les deux options sont pacifiques. Les deux trouvent très vite leurs limites.

En 1922, la communauté internationale balbutiante va confirmer le mandat sur la Palestine octroyé par la Société des Nations à la Grande Bretagne à l’issue de la première guerre mondiale. Cela fait déjà 5 ans que la Palestine est occupée par les troupes britanniques et que la Couronne britannique a promis aux juifs un foyer national.

La présence coloniale ne reconnaît pas les Palestiniens autrement que comme un obstacle à la création d’un Etat juif qu’elle continue d’encourager.

Les Palestiniens, sans stratégie unifiée à la suite de dissensions initiées et attisées par les Britanniques, doivent faire face à la fois à la puissance mandataire et à l’établissement de colons sionistes toujours plus nombreux.

Leur première approche est politique, pacifique, mais toutes les demandes politiques d’indépendance sont rejetées systématiquement par la puissance mandataire. Alors la violence accompagne les actions politiques et de désobéissance civile qui se manifestent dans l’entre deux guerres.

Des grèves générales succèdent à des émeutes, des manifestations et des congrès alternent avec des attaques de colonies juives. Les femmes de Palestine aussi sont dans la rue. Dès les années vingt elles ont compris l’enjeu et elles organisent des marches pacifiques contre l’occupant britannique et la colonisation juive qui se développe. C’est dans ce contexte extrêmement tendu qu’en 1929 une émeute éclate à Jérusalem. Elle va s’étendre et à Hébron 80 juifs sont massacrés. Ce qu’on dit rarement, c’est la détermination courageuse de nombreux Palestiniens qui font tout alors pour protéger les juifs menacés, par humanité et par morale mais aussi soucieux de maintenir la coexistence ancienne entre les deux communautés.

C’est pendant la longue révolte palestinienne qui commence en 1936 que la désobéissance civile trouve son expression collective. Exigeant l’arrêt de la colonisation juive, réclamant l’indépendance, les Palestiniens se soulèvent, en Avril. Malgré la répression ils organisent une grève générale qui va durer près de six mois. Structurés autour de Amine Husseini, le mufti de Jérusalem, les Palestiniens font la grève de l’impôt, des transports, de l’éducation ou de la justice. Alors « la Palestine instaure le boycott de l’Etat ».

Mais quand, déjà, les Britanniques envisagent un partage, très défavorable aux Palestiniens, ceux-ci, qui avaient arrêté leur mouvement pour négocier, se lancent véritablement dans la résistance armée. Dans cette guerre de guérilla la résistance passive des villageois apparaît immédiatement dans le soutien logistique aux groupes armés. En leur apportant nourriture et cachettes la population des villages défie les ordres de l’occupant et permet aux combattants des victoires qui menacent les Britanniques jusqu’en 1939.

La terrible répression de la Couronne met alors fin pour longtemps à l’expression non violente de la résistance palestinienne : les destructions de maisons, les punitions collectives, une clôture de sécurité électrifiée, les couvre-feux et les déportations, sinistres annonciateurs des pratiques iniques des gouvernements israéliens un demi siècle plus tard, musèlent les Palestiniens.

Israël

La seconde guerre mondiale semble inévitable et la Grande Bretagne mandataire en quête d’alliance supplémentaire contre l’Allemagne nazie prend des positions prudentes en Palestine. Pour s’attirer un soutien arabe, elle propose un Etat palestinien à court terme, une immigration juive limitée et une protection du droit des Palestiniens sur leurs terres. Les Palestiniens sont affaiblis, divisés depuis 1939 et restent sur une ligne attentiste. L’Agence juive s’oppose au Livre Blanc de Londres et certains veulent se lancer déjà dans la lutte armée contre la puissance mandataire. Dans le même temps l’immigration illégale prend d’autant plus d’ampleur que la situation se dégrade gravement en Europe.

La guerre éclate et quand elle se clôt après 5 ans de massacres, les victimes se comptent par millions, résistants, communistes ou autres, et surtout des millions de juifs. Le génocide, l’innommable de la barbarie nazie alimentent la demande d’un Etat juif par le mouvement sioniste, soutien des Britanniques pendant ces 5 années.

Sur fond d’hégémonie naissante des Etats Unis, dans un contexte de guerre froide annoncée, la Grande Bretagne mandataire est soumise au terrorisme sioniste et finit par accéder aux demandes de Washington qui entame une relation privilégiée avec les dirigeants sionistes. Un rapport est fourni, sur la base de rencontres organisées par l’Agence juive, qui amène les envoyés à interroger surtout des immigrants. Bien que la moitié des rescapés juifs du génocide déclare par ailleurs préférer se rendre aux Etats- Unis les Nations Unies ignorent les voix pacifiques, juives et palestiniennes, qui prônent la coexistence et décident de la création d’un plan de partage en 1947.

La Nakba

Le partage est inégal, les Palestiniens deviennent des réfugiés chez eux et les sionistes se préparent à la conquête du pays. Dès avril 1948, alors que les Nations Unies annoncent une pause de leur plan, la Hagana (branche militaire du mouvement sioniste) attaque et défait des forces palestiniennes réduites dans un combat disproportionné. C’est pour reconquérir le territoire dévolu aux Palestiniens par le plan de partage que les armées arabes entrent en guerre en mai 48. Ben Gourion déclare alors unilatéralement la création de l’Etat d’Israël immédiatement reconnu par les Etats Unis.

La défaite arabe est consommée, la Nakba commence. Dans une ambiance de fin du monde, chassés, terrorisés, massacrés, avec comme seul choix le départ ou la mort, les Palestiniens doivent se résoudre à partir.

C’est alors que se manifeste à nouveau la résistance non violente récurrente dans la société Palestinienne. Fermant la porte de la maison sur leurs vies, leurs espoirs, ils en emportent la clé, toujours conservée, et jetés par milliers sur le chemin de l’exode et de l’exil, ils ne vont jamais renoncer à faire vivre leur histoire ,leur culture, leur avenir.

Par la tradition maintenue, les familles dispersées ou reconstituées au fil des errances font vivre la Palestine. Dans les camps de réfugiés qui sont devenus depuis si longtemps le foyer temporaire des Palestiniens dépossédés de tout, les quartiers se sont constitués sur la base des villages d’avant l’expulsion, dont plus de 400 ont été rasés depuis. Les petits-enfants se disent toujours du village dont les grands parents ont été violemment chassés. Cette détermination à faire vivre l’histoire et la tradition familiale, villageoise et nationale s’accompagne de la volonté des nouvelles générations de développer l’éducation et de s’ouvrir sur le monde, de se construire un avenir sans rien oublier du passé. Le nombre de diplômés palestiniens dans la diaspora et en Palestine en atteste.

Ce refus du renoncement, cette capacité à faire face à la volonté coloniale affirmée d’éradiquer la culture palestinienne sont une des formes de la résistance qui défait depuis 55 ans le rouleau compresseur israélien. L’exigence du retour ou tout du moins de la reconnaissance de ce droit qui, de Beyrouth à Toronto ou d’Amman à Balata, anime des centaines de milliers de réfugiés, en est une autre. Inaliénable, comme l’identité palestinienne.

Les années fedayin

Assujettis, démunis, les Palestiniens reconstituent dans les camps, les villes aussi et hors du pays un semblant de tissu national. Ce sont des étudiants que viendra le mouvement de libération, d’abord nationaliste ou panarabe, révolutionnaire ou anticolonial sur fond de « rapports mouvementés avec les régimes arabes ». La lutte armée se prépare sur une ligne claire : le retour. Elle commence à l’aube du 1er janvier 1964 dont l’anniversaire était célébré encore en 2003 par une fresque éclatante sur les lambeaux de murs de la Muqata’a à Ramallah. La Muqata’a, quartier général du président Yasser Arafat qui en 64 est déjà indissociable de la résistance et dont la ténacité, la longévité personnelle et politique à travers 50 ans de cette lutte meurtrière, se calque sur la capacité des Palestiniens à se relever toujours. Au delà du symbole indétrônable de la légitimité de la lutte palestinienne, il représente la Palestine qui, quelles que soient les formes de lutte choisies, ne renonce jamais à ses droits et à son avenir. Ces années seront celles des fedayin avec comme points d’orgue la guerre israélo- arabe de 1967 puis la victoire palestinienne à Karamé en 1968 qui confirme le choix de la lutte armée. Cependant des manifestations non violentes, des grèves, des boycotts, toute une série d’actions de désobéissance civile apparaissent aussi. Le mouvement des travailleurs volontaires soutenu par les municipalités palestiniennes crée des clubs, des bibliothèques, des écoles même. Le Front National Palestinien, avec des représentants de toute la Palestine, tente en 1973 de s’opposer par des moyens non violents à l’occupation. Mais Israël réagit par une répression exacerbée, dissolution des conseils municipaux, assassinats ou expulsion des dirigeants. Parallèlement les actions de guérilla se développent, de l’extérieur, et culminent dans les attaques spectaculaires des années 70. Elles imposent la mise en veilleuse pour un temps des stratégies non violentes en Palestine tandis que l’occupation israélienne s’installe et envahit tous les aspects de la vie des Palestiniens.

L’Intifada

1987. Après 20 ans d’occupation par l’Etat d’Israël de ce territoire restreint qu’il avait été contraint par les Nations Unies de concéder aux Palestiniens, l’explosion qui couvait se produit. Les jeunes Palestiniens se lèvent dans la révolte des pierres. Les chars israéliens se dressent tout de suite devant les barricades enflammées dans les rues de Gaza et de Cisjordanie. Des jeunes courageux, des gamins souvent, arborent le keffieh et le drapeau que l’occupant leur dénie dans un défi qui paraît dérisoire. Sans armes, ils vont changer l’histoire de leur lutte nationale.

La non violence va être systématique dans le soulèvement palestinien de 1987 à 1992.

Ainsi à Beit Sahour, près de Béthléem un groupe de pacifistes palestiniens crée dès le début de l’Intifada le mouvement « Rapprochement ». Ils prônent la résistance à l’occupation et à la répression de l’Etat israélien par la désobéissance civile. Ainsi ils organisent une révolte des impôts, et mettent en place de nombreuses activités non violentes, notamment des écoles clandestines, des jardins pour la paix, des comités de quartiers. Puis dans la période intérimaire après la signature des accords d’Oslo, alors que la colonisation est officiellement arrêtée, ils s’opposent pacifiquement à la construction de Har Homa, cette colonie qui dépossède les Palestiniens de la colline alors boisée de Abou Ghoneim. Elle est en fait prévue sur la ligne de front de la colonisation qui vise à encercler Jérusalem-est, à la couper de la partie orientale de la Cisjordanie et à en empêcher le développement. Les Palestiniens et Rapprochement ne s’y trompent pas et les pacifistes organisent un camp de la paix pour tenter de résister à cette nouvelle dépossession de leurs terres. Quatre mois de résistance non violente s’articulent autour de manifestations, d’interposition devant les bulldozers, de travail d’explication à l’intention de l’opinion internationale.

Autre exemple, Mubarak Awad, un autre militant palestinien de la non violence, crée également un mouvement à la fin des années 80, basé essentiellement à Jérusalem. Le « Centre Palestinien pour l’Etude de la Non Violence » vise surtout à l’éducation à la résistance non violente, en incitant, dans les écoles et les clubs qu’il visite, les jeunes à refuser l’autorité de l’occupant, à « remplacer la peur par le courage ». Awad réussit avec des villageois dépossédés à reprendre la terre aux colons en abattant la clôture autour de la terre volée et en refusant de quitter les lieux, sans qu’une pierre soit jetée. Il appelle au boycott, des produits des colonies surtout, aux pressions diplomatiques, aux manifestations pacifiques, à refuser de reconnaître l’existence des occupants en Palestine. Ce message est suffisamment entendu et repris par les Palestiniens pour que les autorités israéliennes décident d’expulser Mubarak Awad.

Pendant ces années, les jeunes Palestiniens n’en finissent pas de se dresser, et de tomber seuls et sans armes devant les soldats d’Israël. Cette stratégie de soulèvement non armé perturbe l’armée israélienne, habituée à un ennemi militarisé et qui « ne sait pas comment traiter une résistance non violente de masse » . Les chars et les hélicoptères ultra modernes de l’Etat d‘Israël sont démunis devant les pierres et les frondes des enfants des camps et des villes de Palestine.

Les femmes

Pendant que les jeunes palestiniens désarmés sont abattus aux barricades de l’Intifada, la force de la désobéissance civile est portée par les femmes de Palestine. Comme elles ont su le faire courageusement pendant la guerre de 1967 elles reprennent les manifestations et rassemblements non violents pour en appeler à la conscience du monde, pour mettre fin à l’occupation. Ames de la famille et de la maison, elles sont aussi des organisatrices de la résistance passive. Que ce soit en « faisant face »à l’horreur de l’occupation quotidienne, en gérant l’absence, la mort ou l’emprisonnement des hommes de la maison, en maintenant l’identité familiale et collective, les Palestiniennes se lèvent pacifiquement contre la répression et l’occupation. De même quand elles organisent des comités populaires comme elles en créèrent en 67 pour aider les prisonniers, ou pour l’éducation des femmes qu’elle affirment primordiale pour résister à l’injustice. Leur implication non violente dans cette organisation de la société palestinienne sous occupation est « une forme d’affirmation de soi et de libération qui permet aux personnes de rester debout même quand elles sont confrontées à une violence implacable, et de garder leur humanité ».

L’Intifada, qui affirme dans la douleur et la lutte la vie et l’identité palestiniennes, accouchera des négociations qui, la guerre du Golfe terminée, mèneront à Oslo.

Les années Oslo

Entre espoir et désillusion, entre exigences et répression , les Palestiniens ne voient aucune amélioration de leur situation. Certes Yasser Arafat est rentré d’un trop long exil, le drapeau palestinien flotte enfin sur Jericho ou Gaza. Certes les grandes villes autonomes commencent à respirer et prospérer. A Naplouse les Israéliens viennent visiter les Samaritains sur le Mont Gerizim puis faire tranquillement leurs courses dans la Vieille Ville.

Cependant la colonisation s’accentue, la pression militaire continue à se manifester par des assassinats ciblés ou des bouclages. La répression sanglante perdure comme en 96 quand des Palestiniens manifestent pacifiquement contre le creusement du tunnel sous l’Esplanade des Mosquées à Jérusalem, ce qui va déchaîner une violence meurtrière.

Parallèlement l’asphyxie économique de l’ensemble de la Palestine se met en place. Ce sont « des années hybrides de mi indépendance mi occupation...une période de tous les dangers ». Découpage de la Palestine en zones hermétiques, colonisation accrue, maisons palestiniennes détruites, « retards » israéliens à se retirer comme conclu dans les accords intérimaires, humiliations quotidiennes, « pour la majorité des Palestiniens, la vie quotidienne s’est dégradée depuis la signature des accords d’Oslo ». Aussi quand le 28 septembre 2001 A. Sharon impose, malgré les mises en garde palestiniennes, sa présence et celle de ses centaines de soldats sur l’Esplanade des Mosquées, la réaction exaspérée des Palestiniens, reprenant leurs pierres, n’étonne aucun observateur, aucun visiteur des Territoires Palestiniens Occupés.

L’Intifada Al Aqsa

Le soulèvement populaire de 2001 prend assez rapidement des formes, organisées, de résistance armée à l’occupation. « Le mépris total et la violation par Israël de toutes les normes et réglementations internationales sous un régime d’occupation prolongé ont été les catalyseurs de l’effondrement du mouvement de résistance non violente ». Cette stratégie prévaut pendant plusieurs mois, créée et alimentée par les provocations incessantes de l’armée israélienne, par les brutalités criminelles de soldats assurés de l’impunité.

Cependant dans le même temps la population palestinienne fait montre encore une fois de sa capacité à résister aussi par sa détermination à continuer à vivre. On s’organise, les campagnes et les villes solidaires en complémentarité, les camps en première ligne de résistance. Les premières cibles aussi. Quand, à toucher Naplouse, les tirs des chars ou provenant des camps militaires israéliens qui surplombent Balata terrifient et assassinent la population civile du camp, visent les écoles de l’UNWRA et amènent les combattants à défendre les leurs, c’est tout Naplouse qui proteste. Quand des militants sont assassinés en pleine ville, à coups de missiles tirés des hélicoptères qui empêchent pour longtemps les petits de dormir, c’est la grève générale en ville.

Quand, la défaite consommée, au printemps 2002, les combattants doivent se replier, c’est la Vieille Ville qui les accueille et en paiera un prix terrible, défigurée à jamais par la barbarie des attaques israéliennes répétées. Mais solidaires, tous, les Naboulsis, comme ailleurs en Palestine, se relèvent.

Printemps 2002

L’attaque en règle du gouvernement Sharon en Avril 2002 est si intense qu’elle ne permet pas à la population palestinienne de manifester la moindre résistance organisée.

Bien sûr individuellement la solidarité se met en place, par maisons, rues ou quartiers. Dans les rues des villes autonomes réinvesties où seuls les chars israéliens rôdent, des volontaires courageux d’Ong comme le Secours Médical tentent d’accéder aux blessés, d’évacuer les morts, d’apporter aide ou médicaments aux personnes malades ou démunies. Malgré le couvre-feu imposé 24h sur 24 les ONG organisent, avec les Internationaux qui viennent depuis un an déjà manifester pacifiquement leur solidarité avec les Palestiniens de l’Intifada, des manifestations aux check points qui empêchent tout accès aux villes palestiniennes ou à Jérusalem.

De la même manière c’est avec ces ONG qui organisent sur place la solidarité internationale que la décision est prise de tenter d’aller pacifiquement à la Muqata’a à Ramallah. Oubliant les divergences politiques qui sont l’apanage de toute société démocratique, la société civile palestinienne, par l’intermédiaire du GIPP(Grassroots International Protection for the Palestinians), fait face sans violence. Elle fait front derrière son représentant élu, le président palestinien assiégé dans son QG avec environ 350 civils et militaires. Les Internationaux entrent, restent et partagent avec les Palestiniens encerclés 33 jours d’un siège très dur, soutenus par les contacts permanents et l’aide logistique des héros anonymes qui dehors dans les ambulances criblées de balles bravent les tirs israéliens pour porter secours aux leurs.

Ramallah, Naplouse, Jénine, Hébron, aux actes barbares des occupants répond une capacité à tenir qui fait la force de la société palestinienne. Les chars à peine partis du centre de Naplouse, on voit les enfants courir dans les rues défoncées et leur ballon voler dans les ruines où l’odeur de la mort est omniprésente. La poussière n’est pas encore retombée sur le centre éventré de Ramallah que les étudiants et d’autres jeunes s’affairent à nettoyer, à enlever les monceaux de carcasses de voitures écrasées par les chars. Quand les jeeps quittent les check-points qui asphyxient les villages, les monticules de terre qui empêchent le passage sont dégagés et la vie reprend.

Jusqu’à la guerre

Cette émergence d’une réponse structurée non violente à l’occupation prend de l’ampleur à l’été 2002. Naplouse, encerclée, envahie est investie pendant près de 100 jours par l’armée israélienne. Les couvre-feux qu’on ne peut braver sans risquer de se faire tuer empêchent toute vie et la rentrée scolaire n’a pas lieu. Alors pendant des semaines les Palestiniens vont organiser des écoles clandestines. De même à Ramallah ou Jénine ou Hébron...De la même manière les secours médicaux vont s’organiser, toujours avec ces volontaires discrets et héroïques, parfois accompagnés d’Internationaux, qui sont le seul lien souvent des populations séquestrées ou affamées par les occupants.

C’est en Septembre 2002 quand le gouvernement Sharon s’attaque encore une fois directement au président palestinien toujours reclus à la Muqata’a que va s’afficher la non violence organisée de la résistance. Unie, toutes tendances confondues, la population de Ramallah descend dans la rue et paie le prix de son refus de l’occupation par des morts. Les jeunes lancent les pierres dérisoires que les chars font taire. D’autres leur succèdent, comme les manifestations qui ont lieu tous les jours. Alors s’instaure une nouvelle tactique, décidée collectivement par les partis et les ONG et reprise immédiatement par les manifestants. Pas une pierre n’est lancée, les jeunes gens forment des cordons qui contiennent les plus jeunes qui ne connaissent que la fronde. Ca marche et, assis par terre, des dizaines de manifestants font face aux chars israéliens embusqués ou qui barrent l’accès vers la Muqata’a. Et pour la première fois les soldats, perplexes, ne tirent pas, il n’y a pas de morts, pas de blessés, pas d’asphyxiés par les gaz incapacitants, et les Palestiniens sont conscients d’avoir gagné une victoire.

Cette dynamique se confirme quand, sous couvre-feu total, Ramallah est encore dans la rue, devant les chars israéliens ou aux fenêtres pour dénoncer le siège de la Muqata’a et l’occupation, dans un tintamarre assourdissant qui rappelle la résistance aux dictatures sud-américaines des années 70. Les chars n’avancent pas, les Palestiniens réinvestissent pacifiquement leur ville, comme à Naplouse un peu plus tard.

Cette unité dans l’action non violente s’affiche à nouveau quand la guerre américano-britannique contre l’Irak se précise. En Palestine on craint le pire. Dans l’hypothèse d’une attaque frontale des troupes du gouvernement Sharon, les Palestiniens organisent la résistance, des comités sont créés, les partis et ONGs se répartissent les tâches. Les vieilles habitudes ont parfois la vie dure mais on arrive à une organisation solide qui assurera les besoins élémentaires de la population, des villes vers la campagne ou inversement selon le dispositif que l’occupation mettrait en place.

Il s’avère que les Etats Unis ont retenu le bras de Sharon, le pire n‘a pas lieu. Mais la leçon apprise dans les moments les plus noirs, les plus mortels des mois passés reste dans la conscience collective. On l’a vu à nouveau quand le cabinet de sécurité israélien à décidé de se défaire du président Arafat et que des milliers de Palestiniens ont afflué vers la Muqata’a pour, à l’instar des Internationaux 18 mois plus tôt, lui apporter la protection pacifique de leur présence.

Conclusion

Un an s’est écoulé depuis cette réflexion et la situation a connu des évolutions significatives dans un contexte qui, lui, n’a pas varié.

Dans le monde unipolaire que contrôlent les Etats-Unis, dans la stratégie globale de guerre préventive et de chasse au terrorisme de l’après 11- septembre, le Moyen-Orient reste le pré carré des intérêts économico-stratégiques américains. Bush, embourbé dans l’occupation de l’ Irak, vient d ’être réélu, réellement cette fois, et entend imposer son modèle à la région. Son instrument en est Israël, dans une relation dialectique où l’intérêt des deux gouvernements et des deux idéologies qu’ils servent est interdépendant.

Le projet colonial sioniste, représenté par Sharon, de s’approprier la terre palestinienne en niant la réalité et l’identité du peuple palestinien, a pris une visibilité plus grande avec la construction du mur qui annexe et fragmente la Cisjordanie, et le plan de désengagement de la Bande de Gaza.

L’antienne de l’absence de partenaire pour la paix s’est exacerbée dans la diabolisation du Président Arafat et l’unilatéralité du plan de retrait. De même, la communauté internationale a été mise hors jeu de facto par l’aval donné par Bush à Sharon en avril 2004 et les confirmations par Weisglass, conseiller de Sharon, du gel indéfini du processus de paix, en octobre 2004 (la formule du formol où l’on conserverait à jamais la Feuille de route).

Sur un fond de turbulences politiques et économiques en Israël, les agressions militaire de la puissance occupante se sont poursuivies en Palestine : attaques répétées contre les camps de réfugiés de la Bande de Gaza ( systématiques et certaines longues et d’envergure comme en mai 2004 à Rafah ou en Octobre 2004 à Jabalyia), bouclages des villes et villages de Cisjordanie (Naplouse est coupée du monde depuis des semaines), assassinats extrajudiciaires dont ceux des représentants du Hamas au printemps 2004 (Sheikh Yacine et le dr Rantissi), ou de responsables des brigades Al-Aqsa à Jénine en novembre et décembre.

Le peuple palestinien est fatigué, exsangue. Les morts et les blessés se comptent par milliers (3500 morts), les prisonniers restent incarcérés en Israël, au mépris du droit international (7500), la situation économique est désastreuse (environ 60% de la population vit en dessous du seuil de pauvreté, le chômage atteint 70% dans de nombreuses régions, notamment à Gaza, dans les zones emprisonnées par le Mur, dans les camps de réfugiés), la Cisjordanie est une succession de bantoustans et Gaza une prison en ruines, à ciel ouvert.

En novembre 2004 le Président Arafat est mort, de mort naturelle ou pas, et le peuple palestinien a vacillé sous la tristesse et l’inquiétude. Mais s’est, comme toujours, redressé.

Le chaos prédit et espéré par les dirigeants israéliens et leur médias ne s’est pas produit, les institutions démocratiques palestiniennes continuent d’assurer la continuité de l’ « état », et préparent les élections présidentielles prévues par la Constitution palestinienne.

Abu Mazen, devenu responsable de l’OLP, candidat du Fatah, la force politique principale en Palestine, sera vraisemblablement le prochain président palestinien. Opposé à la lutte armée, défavorable à l’Intifada, il incarne la ligne modérée de la direction palestinienne, celle que l’on pourrait encore contraindre à faire des concessions et serait alors acceptable pour les neo-conservateurs de George Bush.

Marwan Barghouti, député du Conseil Législatif Palestinien kidnappé à Ramallah en avril 2002, emprisonné illégalement en Israël, a été condamné 5 fois à vie pour « terrorisme » par un tribunal israélien dans il a toujours contesté le droit à le juger. Représentant populaire de la « jeune garde » politique en Palestine, il est porteur des exigences exprimées par l’Intifada et vient de les rappeler au Fatah et au gouvernement israélien en envisageant de se porter candidat à l’élection.

Le peuple palestinien, qui ne se reconnaît pourtant pas dans Abu Mazen, va vraisemblablement trancher de manière pragmatique en sa faveur, pour une période intérimaire, et reprendre son souffle. Le débat va s’engager sur les formes de lutte à mettre en œuvre dans la période qui s’ouvre.

Mise en forme par la société civile, la lutte non violente demeure une des options de la résistance palestinienne, dans l’exigence de la fin de l’occupation israélienne et de la reconnaissance des droits nationaux du peuple palestinien.

Sources :
Alain Gresh
Elias Sanbar
Abdel Jawad Saleh
Abraham Burg
GIPP
Mubarak Awad
Rapprochement


Claude Léostic
Le corps de l’article a été écrit il y a un an pour la revue du MAN, Alternatives non-violentes. Introduction et conclusion, 12 12 2004

 

Source : France Palestine  http://www.france-palestine.org/article872.html

 

Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62,  parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue."

Retour  Ressources  -  Communiques  -  Accueil