AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   


 

La mort traque les habitants de Khan Younis 
par Mohammed Omer (31 décembre 2004)

 
[traduit de l’anglais par Taskin Sabri]
(Ce texte est extrait du journal de Mohammed Omer, un photojournaliste palestinien de 20 ans, habitant de Rafah dans la bande de Gaza. Vous pouvez retrouver en anglais, l'ensemble de ses témoignages sur le site
www.rafahtoday.org (en anglais) et informez vos amis, les médias et tous ceux qui sont autour de vous.)
Khan Younis, dans le sud de la bande de Gaza en Palestine occupée, le vendredi 31 décembre 2004 - Il fait nuit noire dans le quartier de Nimsawi du camp de réfugiés de Khan Younis, au sud de la bande de Gaza ; 250 000 personnes habitent dans cette zone, proche de la colonie israélienne de Neve Dakalim. Soudain, l’obscurité s’embrase sous les tirs automatiques des hélicoptères Apaches qui tournent dans le ciel ; puis ce sont les éclats blancs des obus et mortiers lancés par les tanks dernier-cri qui envahissent les rues bondées. On aperçoit dans l’éclair rouge ou blanc des tirs automatiques, des vagues successives d’hommes, de femmes, de bambins, d’enfants et de vieillards qui fuient la destruction.
Le déroulement de l’attaque est bien connu des habitants de Gaza, quatre ans après le début de l’Intifada. D’abord un appel des hauts parleurs : l’armée israélienne ordonne aux gens de quitter leurs maisons ; puis commencent les tirs de mitrailleurs des hélicoptères Apaches qui tournent dans le ciel. Morts et blessés sont malheureusement des scènes familières. Seuls les noms et les raisons des incursions -car l’armée donne toujours un nom à une action prolongée -changent. Celle ci a été nommée opération « Orange Iron», et d’après les déclarations officielles, il s’agit d’une réponse à un tir de rocket Qassam que les militants ont envoyée sur la colonie de Neve Dakalim, et qui a blessé un soldat israélien.
C’est la plus meurtrière des incursions depuis la mort de Yasser Arafat le 11 Novembre. Il y a pour l’instant 11 civils tués et 71 blessés ; c’est la troisième nuit de l’attaque, et elle a commencé quelques heures après que le Premier Ministre israélien Ariel Sharon ait annoncé une perspective de paix à la presse internationale.
En observant la destruction à distance, relativement à l’abri, des images se gravent à jamais dans la tête : celle d’un vieil homme, pas vraiment capable de courir mais qui court tout de même, les sandales à la main, en essayant d’enjamber les parties de la chaussée défoncées par les tanks ; une petite fille, d’une dizaine d’années, à enfilé un manteau d’hiver par dessus sa chemise de nuit ; elle court en serrant dans ses bras son cartable d’écolière. Elle sait probablement que sa maison sera bientôt un tas de ruines, et c’est son cartable qu’elle a décidé de sauver. A côté d’elle court une femme en désarroi, qui porte son bébé et exhorte ses quatre autre enfants à la suivre de près.  Difficile de savoir quelle image est la plus obsédante, celle des personnes agées qui disent à leurs enfants de les laisser se débrouiller seuls et de s’occuper des petits enfants, ou celle des gosses accrochés d’une main à leur mère, tenant de l’autre un jouet.
Assister à la destruction d’une maison est aussi une scène poignante. En bruit de fond, le bulldozer massif, made in America, dont le grondement est noyé sous les gémissements des maisons en ciment qui s’écroulent. Il y a un tel fracas lorsque les murs, les planchers, les toits se plient et se tordent avant de s’éffondrer, qu’on dirait que les maisons elles-mêmes protestent contre leur destruction.
Dans la nuit glacée, sous la pluie, une mer humaine se précipite vers le centre du camp, mais il y a peu d’endroits où prendre refuge. Quelques familles trouvent un abri provisoire dans une classe de l’école de l’UNRWA. « C’était certainement la même chose lorsque les israéliens nous ont forcés à quitter nos maisons pendant la Nakba » dit un père d’une trentaine d’années.
La Nakba, c’est « la catastrophe », l’attaque de 1948 sur des villes et des villages de Palestine, et qui a transformé en réfugiés quelques millions de palestiniens. L’homme qui dit cela n’est visiblement pas assez âgé pour avoir vécu la Nakba, mais il en a sans aucun doute entendu parler par ses parents. Il est vrai que tous les enfants de Gaza et de Cisjordanie peuvent raconter la Nakba en détail. Les enfants se sont mis à poser des questions d’adultes, comme Ahlam, 11 ans, qui demande : « Pourquoi les soldats sont ils dans notre pays ? Pourquoi est ce qu’ils nous font ça ? Pourquoi est ce qu’ils nous tuent ? Qu’est ce qu’on a fait ? »
Au cours de la dernière nuit de l’attaque « Opération Orange Iron », environ 300 civils ont dû fuir leur maison. Des dizaines de maisons ont été démolies, laissant des centaines de personnes sans abri, mais on n’en connaîtra le nombre exact que dans quelques jours. Seuls les habitants du quartier peuvent dire quelle pile de débris était une maison à un ou à plusieurs étages. Les premiers rapports parlent de 30 ou 40 maisons aplaties, mais on ne le saura que lorsque l’armée israélienne arrêtera le bombardement aérien et le pilonnage d’artillerie. La déclaration officielle des forces d’occupation israéliennes est que l’opération « Orange Iron » va se poursuivre « aussi longtemps que nécessaire pour stopper les attaques de rocket Qassam depuis  le quartier de Al Nimsawi ».
Mais à Khan Younis, on suspecte que la férocité de l’attaque sur leur ville a été déclanchée par la tentative de coup des militants sur la tour de garde du terminal frontière de Rafah dimanche dernier. Après avoir creusé un tunnel de 800 mètres pendant plusieurs mois, les militants ont placé environ une tonne d’explosif sous un poste militaire israélien à la frontière entre l’Egypte et Gaza. La  presse israélienne confirme que l’explosion a tué 6 soldats israéliens et en a blessé 8. Deux tireurs palestiniens ont été tués dans la fusillade, deuxième phase de l’attaque des militants…

Hôpitaux et ambulances sont des cibles

L’hôpital Nasser de Khan Younis est envahi de blessés, accompagnés par leur famille blottie dans l’espace réduit du hall d’entrée. Au département de chirurgie orthopédique, Hassan Abu Samrah, 45 ans, chauffeur d’ambulance, est allongé sur le ventre pendant que le médecin soigne sa jambe. On lui a tiré dessus pendant qu’il essayait de secourir deux civils blessés par un tir de tank tout près de l’hôpital. Ensuite c’est lui qui a dû être secouru. Il explique « Avant d’être dans le champ de vision d’un tank, je mets en route le gyrophare de l’ambulance et je lance la sirène à fond» Le mot AMBULANCE est écrit en grosses lettres sur tous les cotés de la voiture.
« Ils auraient dû m’entendre, dit-il, mais ils ont fait feu sur l’ambulance. J’ai pensé qu’il fallait tout de même que je ramasse ces blessés et que je parte en vitesse, mais tout d’un coup je me suis retrouvé face à terre et j’ai vu que ma jambe était en sang. Ils m’avaient tiré dessus. » C’est l’équipe d’une autre ambulance qui les a finalement transportés tous les trois jusqu’à l’hôpital Nasser. L’hôpital a aussi été la cible de tirs, contrairement à toutes les lois internationales. Les bulldozers israéliens ont détruit la partie ouest de l’hôpital dans les premières heures de l’incursion, et il y a des tirs périodiques. Le directeur de l’hôpital, Dr. Mohia Al Deen Al Faraa, explique « nous sommes constamment bombardés. Certains de nos patients risquent d’être à nouveau blessés dans leur lit d’hôpital. Jusqu’à présent, nous avons reçu 11 morts et 71 blessés. La plupart sont des civils, blessés à la tête et la poitrine». Les snippers israéliens ont la réputation d’être de bons tireurs, et toutes les blessures dans le haut du corps laisse penser qu’ils ont l’ordre de tirer pour tuer.

Les journalistes sont des cibles

Journalistes et photographes qui couvrent cette incursion prennent toutes les précautions pour être identifiables. Un groupe de cinq photographes et journalistes a été néanmoins la cible d’un tank israélien. Malgré leurs gilets pare- balle et leurs vestes marquées « TV » et « Presse » en lettres phosphorescentes, leur groupe à reçu un obus tiré par un tank. Mahmoud Al Hums, de l’AFB, Mohammed Saber de l’ABI, and Hatem Mussa de l’Associated Press ont été blessés, d’après un autre journaliste du groupe qui s’en est tiré : «  Ce ne pouvait pas être un accident, le tireur du tank ne pouvait pas ignorer que nous étions des reporters. Nos vestes et nos gilets sont identifiables. Les lettres se voient bien la nuit. Mais ils ont tiré ; nous nous sommes dispersés, et trois de mes collègues ont été  touchés par les éclats d’obus. D’après le médecin, deux d’entre eux ont des blessures graves au visage et à la tête et sont sous surveillance médicale, le troisième est dans un état stable.
Pénurie dans toute la ville
Bien que  le quartier de Al Nimsawi ait connu le pire dans l’opération « Orange Iron », c’est l’ensemble des 250 000 habitants de Khan Younis qui souffre des coupures. La plus grande partie de la ville est sans eau et sans électricité depuis les premières heures de l’attaque qui a duré trois jours. Les familles n’ont plus de bouteilles d’eau potable non plus, mais elles ne peuvent pas être ré-approvisionnées par le Croissant Rouge/Croix Rouge ou autre agence de secours car l’armée israélienne cordonne la ville.
On n’en voit pas la fin : « les troupes sont prêtes à rester dans le camp de réfugiés aussi longtemps qu’il le faudra pour assurer la tranquillité de la communauté israélienne » a déclaré le Lieutenant Colonel Ofer Vinter à une station de radio israélienne.
Dans tout Gaza, l’impression de « déjà vu » domine et inquiète. La même chose s’est produite pendant l’opération « Rainbow » à Rafah en mai dernier. Une attaque qui a tué 40 personnes a entraîné des protestations dans la communauté internationale. Khan Younis assiégé n’avait même plus assez de place pour enterrer ses morts. En mai, les chambres froides de la morgue étaient pleines, les familles en deuil étaient sous attaque et ne pouvaient pas quitter leur maison pour enterrer leurs morts. On a dû amasser les corps dans les frigos des magasins de légumes.
Voilà que quelques mois plus tard, le même scénario sordide se reproduit, les chambres mortuaires de l’hôpital Nasser sont bourrées de cadavres et le cimetière est attaqué par l’armée israélienne. Les familles en deuil ne peuvent pas enterrer les leurs. A Gaza, les morts aussi sont des sans abri.
Le premier ministre israélien Sharon parlait de paix future quelques heures avant le début du carnage de l’opération « Orange Iron » à Khan Younis. Le premier ministre britannique Tony Blair est attendu dans la ville de Ramallah, en Cisjordanie, pour discuter du redémarrage du processus de paix avec le chef du PLO,  Mahmoud Abbas et le premier minister Ahmed Qurie ;  et pendant ce temps, les Apaches continuent de bombarder Khan Younis. Comme on pouvait le prévoir, l’autorité palestinienne a condamné cette dernière attaque sur des populations civiles. « L’escalade des agressions va ruiner toute chance d’avancer dans le processus de paix » a déclaré le porte-parole de l’Autorité palestinienne Nabil Abu Rudinah.
Les diplomates confortablement installés dans leurs salles de conférence font des déclarations modérées pendant que les palestiniens meurent dans les rues. Les habitants de Gaza connaissent bien le scénario.
Comme le dit un vieil homme « Nos combattants parviennent parfois à tuer un soldat ou un colon israélien, et ils ripostent en tuant 10 ou 20 personnes chez nous. Est cela la justice ? Peuvent-ils imaginer un instant que cela apaisera notre colère ? » Et une mère, qui serre ses enfants contre elle dans le hall d’entrée de l’hôpital « nous ne rêvons plus de paix ; nous nous contentons des nuits où nous pouvons dormir sans entendre les tirs d’obus et les Apaches au-dessus de nos têtes, sans craindre de devoir fuir  dès qu’arrivent les tanks. »
 
 

Source : Extrait du Point d'information Palestine, newsletter publiée par La Maison d'Orient, abonnement gratuit sur simple demande à :
LMOmarseille@wanadoo.fr

 

 

Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62,  parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue."

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