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Il faut faire obstacle à Sharon
The Palestine Monitor, 29 décembre 2003

La semaine dernière, le Premier ministre israélien Ariel Sharon a déclaré que, si les Palestiniens ne prenaient pas bientôt de mesures significatives pour réduire "la violence", il lancerait de façon unilatérale un "plan de séparation" afin de se désengager complètement des négociations avec l'Autorité palestinienne.

Cet ultimatum résume le fond de l'habile stratégie médiatique du gouvernement israélien tout au long de l'année 2003. Sharon prend en quelque sorte la température ambiante et se risque à proclamer tout haut ce pour quoi il travaille depuis sa prise de fonctions : le renforcement de la main-mise israélienne illégale sur 58% des terres de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza et, ainsi, l'assujettissement total du peuple palestinien.

Ce succès de Sharon, qui s'est rapproché de son but en 2003, est profondément préoccupant. Sur le terrain, les soldats israéliens se sont constamment employés à traduire ce plan en actes, imposant une occupation militaire dont chaque action est calculée pour dégrader, humilier et emprisonner la population palestinienne. L'enfermement est réalisé au prix d'une violence brutale et indiscriminée contre des civils innocents et de milliers de vies humaines. Rien qu'aujourd'hui, 10 Palestiniens ont été tués lors d'attaques israéliennes à Gaza et la semaine passée a vu des invasions quotidiennes soutenues par des blindés dans le camp de réfugiés de Balata, à Naplouse.

Un peuple occupé tenu pour responsable de la sécurité de ses occupants

Pourtant les Palestiniens se trouvent dans une situation unique en politique moderne, celle d'un peuple occupé tenu pour responsable de la sécurité de ses occupants. Le droit légal des Palestiniens de s'opposer à l'hégémonie israélienne est retourné contre eux par Sharon qui présente le conflit comme opposant des forces militaires de même niveau et reçoit un soutien presque inconditionnel d'un grand nombre de puissances, en particulier des États-Unis.

La réaction en sourdine de la communauté internationale à l'annonce de Sharon ne peut qu'enhardir celui-ci. Tout au long de 2003, la stratégie du Premier ministre a consisté à jouer les prolongations, sachant qu'à l'approche de l'élection présidentielle, le président des États-Unis le plus pro-israélien de l'histoire ne tentera rien qui soit susceptible de lui aliéner le soutien de ses partisans juifs et chrétiens de droite. En octobre, Sharon a eu l'audace de lancer des attaques aériennes contre la Syrie pour la première fois en 30 ans, tentant de positionner Israël comme allié opérationnel des États-Unis pour remanier la région.

Les yeux du monde étant tournés vers l'Irak, Sharon a saisi l'occasion de jeter aux orties la tiède initiative de la feuille de route tout en continuant de présenter Israël comme une victime aux médias du monde et en gagnant du temps pour sa stratégie draconienne sur le terrain. Il en a résulté une réoccupation de l'ensemble de la Cisjordanie et de 60% de la Bande de Gaza ainsi qu'une féroce politique d'expansion de la colonisation. Depuis Oslo, la taille et la population des colonies d'Israël ont augmenté de 200 %, cette évolution ne suscitant là encore que de faibles protestations à l'étranger. En 2002 et 2003 seulement, 56 nouvelles colonies ont été établies et, sur les huit -seulement- que Sharon prétend avoir démantelées, cinq ont été reconstruites en cachette. Comme les soldats israéliens, les colons eux-même soumettent les Palestiniens à des attaques fréquentes, tentant de les chasser de leurs foyers et de s'approprier leurs terres et leurs propriétés. Rien n'est épargné pour tenter de détruire leurs libertés civiles et leur possibilité de gagner leur vie. Les couvre-feu restent en vigueur en de nombreux endroits, imposés sous la menace constante de la violence. Selon l'OCHA (Bureau des Nations Unies pour la Coordination des Affaires Humanitaires), le nombre de points de contrôle israéliens en Cisjordanie a atteint 757.

L'ultime objectif d'une destruction stratégique de toute possibilité d'État palestinien

Destinée à renforcer les colonies et à parfaire la confiscation des terres, la construction par Sharon du mur de séparation en Cisjordanie continue. S'il est terminé, ce mur s'étendra sur au moins 1.000 kilomètres, parachevant l'ultime objectif de Sharon d'une destruction stratégique de toute possibilité d'État palestinien. La Cisjordanie sera alors réduite à des agglomérations de ghettos et de prisons dont l'accès, la sécurité et les ressources resteront aux mains des Israéliens, la population palestinienne se retrouvant enfermée, hors de vue du monde.

Là encore, toute réaction internationale à la construction du mur a été paralysée par la stratégie médiatique de Sharon. Des dirigeants internationaux ont exprimé leurs craintes que le mur et les nouvelles frontières qu'il définit ne se transforment en fait accompli irréversible mais aucune action n'a encore été suggérée à l'exception des platitudes habituelles appelant à une nouvelle ronde de négociations de paix que Sharon ne court pas grand risque à ignorer. L'effort international s'est également trouvé distrait par l'accord de Genève, un plan qui, bien que rejeté tant par les Israéliens que par les Palestiniens, consomme du temps et étourne l'attention alors que Sharon continue d'imposer son propre ordre du jour.

Cependant, et malgré tous ses succès, Sharon se trouve dans une impasse stratégique alors même qu'il continue d'appliquer son plan. Il a usé de la même politique du bulldozer qu'au cours de ses guerres précédentes comme soldat, mais son milieu l'a rendu aveugle aux autres réalités politiques que la force militaire seule est impuissante à résoudre. Il a en particulier continué d'ignorer le problème démographique croissant dans les territoires occupés. La population palestinienne représente maintenant 4,8 millions de personnes, égalant celle d'Israël, avec un taux de naissances bien supérieur à celui de l'occupant. Ces gens ne peuvent être simplement rayés de la carte, quel que soit le désir qu'en a Sharon.

En outre, ce dernier a complètement échoué à assurer la sécurité qu'il avait promise au peuple israélien. Alors qu'il poursuit dans les territoires occupés une politique destinée à tuer et à opprimer, qu'il abandonne même toute apparence de recherche de solution pacifique, il devient tout à fait évident aux yeux des Israéliens que le Premier ministre ne peut garantir leur sécurité. En réduisant la population palestinienne à un état de désespoir écrasant qui ne peut qu'assurer la perpétuation du conflit, Sharon met sciemment en danger la vie de ses propres concitoyens et celle des Palestiniens. Sharon a également échoué à briser la résistance palestinienne et, en tentant de voler aux Palestiniens leur pays et les possibilités d'y assurer leur vie, il élève génération sur génération de Palestiniens dont le seul objectif deviendra l'opposition à l'occupation israélienne.

Ni les Israéliens, ni les Palestiniens ne connaîtront la paix tant que cet homme restera au pouvoir

L'histoire a montré qu'un mur seul ne peut suffire à contenir une telle opposition. Si le passé de criminel de guerre de Sharon est bien connu, les crimes actuellement perpétrés par son gouvernement et ses troupes d'occupation sont aussi des crimes contre son propre peuple. Ni les Israéliens, ni les Palestiniens ne connaîtront la paix à laquelle ils aspirent tant que cet homme restera au pouvoir, et il ne peut exister de tâche plus importante pour le monde pour les mois à venir que de faire obstacle à cet homme.

* Dr. Mustafa Barghouthi
Secrétaire général de l'Initiative Nationale Palestinienne

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