AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   

 

Une humanité relative
L'obstacle fondamental sur le chemin d'une solution à un État
Par Omar Barghouti
16 décembre 2003

Omar Barghouti prépare un doctorat en philosophie (éthique) à l'Université
de Tel Aviv et est analyste politique. Son article «9.11 Putting the
Moment on Human Terms» (11-09. Rendre l'événement en termes humains) a été
classé parmi les meilleurs articles de l'année 2002 par le quotidien
britannique The Guardian.


« La conquête peut représenter le mal
autant que le bien pour l'humanité, selon la valeur comparative
des peuples conquérant et conquis. »
Théodore Roosevelt
1. Introduction
Bon débarras! La solution à deux États au conflit israélo-palestinien est
finalement morte. Cependant, il faut que quelqu'un émette un certificat de
décès officiel avant que le corps en décomposition ait droit à un
enterrement adéquat et que l'on puisse continuer et examiner l'alternative
plus juste, morale et donc plus durable, pour une coexistence pacifique
entre les Juifs et les Arabes dans la Palestine mandataire: la solution à
un État.
Aveuglé par l'arrogance du pouvoir et le confort éphémère de l'impunité,
Israël, à l'encontre de ses intérêts stratégiques sionistes, n'a pas
réussi à contrôler son appétit expansionniste insatiable et est allé de
l'avant en dévorant la toute dernière parcelle de terre qui devait former
la fondation matérielle d'un État palestinien indépendant. Depuis
l'émergence de la seconde Intifada palestinienne, Israël est entré dans
une nouvelle phase critique, dans laquelle sa répression militaire contre
les Palestiniens en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza occupés a atteint
de nouveaux fonds et son mépris pour les résolutions de l'ONU atteint de
nouveaux sommets, où ses incessantes confiscations de terres l'ont mené à
ériger un mur entourant les centres de population palestiniens, séparant
les Palestiniens de leurs terres - les dépossédant ainsi de nouveau - et
où la corruption morale et la discrimination raciale ont plus clairement
effrité la cohésion interne de la société israélienne, tout comme son
image fabriquée de «démocratie». Par conséquent, la perception d'Israël
dans l'opinion publique mondiale a plongé, l'amenant plus près du statut
d'État paria.
Cette phase comporte toutes les caractéristiques symboliques de ce qui
peut être considéré comme le chapitre final du projet sioniste. Nous
assistons à la mort rapide du sionisme et rien ne peut être fait pour le
sauver, puisque le sionisme est condamné à s'autodétruire. Pour ma part,
je favorise l'euthanasie. Pour revenir à la solution à deux États, elle
n'a jamais constitué en soi une solution morale, sans compter que la date
d'expiration est passée. Dans le meilleur des cas, c'est-à-dire par
l'application méticuleuse de la résolution 242, elle aurait répondu à la
plupart des droits légitimes de moins d'un tiers du peuple palestinien sur
moins d'un cinquième de leur terre ancestrale. Plus de deux tiers des
Palestiniens, les réfugiés et les citoyens palestiniens en Israël, ont
été, de façon douteuse et bornée, effacés de la définition de
l'appartenance palestinienne. Une telle exclusion ne peut que garantir la
perpétuation du conflit.
Qui donc offre ce «meilleur des cas»? Personne à vrai dire. La meilleure
offre à date n'approche même pas de la 242 - sans parler des principes
élémentaires de la moralité. Après avoir essayé pendant des décennies de
convaincre les Palestiniens d'abandonner leur droit aux propriétés qu'ils
ont perdues lors de la Naqba (catastrophe de 1948, la dépossession et
l'exil) en échange d'un État souverain et entièrement indépendant sur
l'ensemble des terres occupées en 1967, y compris Jérusalem-Est, Israël a
prouvé qu'il n'a jamais réellement eu l'intention de retourner toutes ces
terres acquises illégalement. De Camp David II à Genève en passant par
Taba, l'offre israélienne la plus «généreuse» a toujours été bien en deçà
des exigences minimales des diverses résolutions des Nations unies et des
principes élémentaires de la justice. Reconnaissant que la justice n'était
pas complètement servie par l'offre de son gouvernement à Camp David, le
ministre israélien des Affaires étrangères, Shlomo Ben-Ami, a donné aux
Palestiniens le choix entre «la justice ou la paix».
Toutefois, séparer la paix de la justice est non seulement moralement
condamnable, mais aussi maladroit du point de vue du pragmatisme. Cela
peut subsister pendant un certain temps, mais seulement après avoir été
vidé de son sens, devenant ainsi une simple stabilisation d'une
oppression, ou ce que j'appelle la paix «maître-esclave», où l'esclave n'a
pas de pouvoir et/ou de volonté de résistance et se soumet aux diktats du
maître, passivement, docilement, sans un semblant de dignité humaine.
Comme l'a déjà écrit Jean-Jacques Rousseau:
«L'homme le plus fort n'est jamais assez fort pour être constamment le
maître, à moins qu'il transforme la force en droit et l'obéissance en
devoir. (...) La force est un pouvoir physique; je ne conçois pas comment
ses effets pourraient engendrer la moralité. Céder à la force est un acte
de nécessité, non pas de volonté; c'est au mieux un acte de prudence.
Comment cela pourrait-il être un devoir moral?»
Eh bien, la «prudence» des Palestiniens s'épuise. Les concessions de leur
direction officielle devant la force ont simplement entraîné plus de
colonisation et la promesse d'une continuation.
2. L'humanité relative et le conflit
Dès le départ, les deux principales prétentions données par les sionistes
pour justifier leur colonisation de la Palestine étaient:
A. la Palestine était une terre sans peuple, un terrain vague non civilisé;
B. les Juifs ont un droit divin pour concrétiser la «rédemption» de la
Palestine, en accord avec une promesse venant d'une autorité non moindre
que Dieu, et parce que, selon la Bible, les Israélites avaient érigé leur
royaume sur toute la terre de Canaan il y a deux mille ans, leur donnant
le droit historique sur cette terre. Ainsi, toute dépossession des
indigènes de la Palestine, s'ils existaient, était un dommage collatéral
acceptable pour la réalisation de la volonté de Dieu. Si cela ressemble
trop au jargon de Bush, ce n'est que pure coïncidence.
À ce jour, il a été démontré que tant les arguments politiques que
religieux ne sont rien de plus que des mythes sans fondement, et ce en
grande partie grâce au travail minutieux d'historiens et d'archéologues
israéliens. [1]
Supprimant la fabrication politique et la mythologie biblique, Joseph
Weitz, dirigeant du département de la Colonisation à l'Agence juive en
1940, expliquait comment cette «rédemption» devait être réellement mise en
ouvre:
«Il doit être clair entre nous qu'il n'y a pas de place pour les deux
peuples dans ce pays. Nous ne pourrons pas atteindre notre but si les
Arabes sont dans ce petit pays. Il n'y a pas d'autre solution que de
transférer les Arabes vers les pays voisins, chacun d'entre eux. Pas un
village, pas une tribu ne doit rester.»
Au cour même de la rationalisation d'une telle expulsion repose une
croyance coloniale bien établie dans l'impertinence, ou l'absence de
valeur comparée, des droits, des besoins et aspirations des indigènes
palestiniens. Par exemple, l'auteur de la Déclaration Balfour écrivait:
«Les quatre grandes puissances soutiennent le sionisme. Et le sionisme,
qu'il soit bien ou mal, est enraciné dans des traditions anciennes, dans
des besoins présents et des espoirs futurs ayant bien plus d'importance
que les désirs et les préjudices des 700.000 Arabes qui habitent
présentement cette terre ancestrale.»
C'est là un cas classique de ce que j'appelle une humanisation relative.
Je définis l'Humanité relative comme la croyance, et l'humanisation
relative comme la pratique basée sur cette croyance, voulant que certains
êtres humains, partageant divers attributs importants d'identité tels que
la religion, l'ethnicité ou la culture, sont dépourvus d'un ou de
plusieurs des attributs nécessaires pour être humains et ne sont donc en
conséquence humains que dans un sens relatif et non pas absolu et sans
équivoque. Par conséquent, de tels humains relatifs n'ont droit qu'à une
partie de ce qui serait en d'autres circonstances des droits inaliénables
dus aux humains «réels».
La perception des Palestiniens comme des humains relatifs peut expliquer
pourquoi Israël - soutenu par les États-Unis et en maintes occasions par
l'Europe également - a pu s'en tirer avec une attitude allant de soi
envers les Palestiniens, qui présume qu'ils ne peuvent pas, en fait ne
doivent pas, avoir des besoins, des aspirations ou des droits égaux à ceux
des Juifs israéliens. Ce facteur a joué un rôle fondamental dans
l'inhibition d'une évolution vers une solution à un État unitaire, comme
il sera démontré plus loin.
À côté de l'humanisation relative, il y a plusieurs obstacles sur le
chemin de cette solution moralement supérieure. Compte tenu du niveau
actuel de violence, de méfiance mutuelle et de haine entre les deux côtés,
par exemple, comment une telle solution pourrait-elle se réaliser? D'autre
part, avec l'écart de puissance si vaste entre Israël et les Palestiniens,
pourquoi les Juifs israéliens accepteraient-ils cet État unitaire où, par
définition, les Juifs seront minoritaires? Est-ce que le consentement
israélien est vraiment nécessaire en premier lieu ou peut-il être
éventuellement obtenu par l'entremise d'une combinaison de pression
intense et d'absence de solutions alternatives viables, comme cela a été
le cas en Afrique du Sud?
Ces questions sont effectivement valides et cruciales, mais au lieu de les
approfondir toutes, je me limiterai à démontrer pourquoi les alternatives
à la solution à un État sont moins susceptibles de résoudre le conflit, en
partie à cause que le principe de l'égale valeur humaine, qui constitue
l'ingrédient fondamental de toute paix juste et durable, est manifestement
ignoré, violé ou réprimé dans chacune d'entre elles. En soi, cela ne
prouve pas logiquement qu'une solution à un État soit la seule voie de
sortie de la présente abysse, mais cela peut au moins démontrer qu'elle
mérite certainement d'être sérieusement considérée comme une solution
réelle.
3. Les voies pour sortir du conflit
À l'heure actuelle, compte tenu de l'impossibilité de parvenir à une
solution négociée impliquant la création de deux États qui comblerait le
minimum des droits inaliénables des Palestiniens, il y a trois voies
logiques qui peuvent être suivies:
1. Maintenir le statu quo, préserver une quelconque solution à deux États
ne serait-ce que sur le papier.
2. «Finir le travail», ou atteindre le but logique du sionisme, en mettant
en ouvre le nettoyage ethnique de tous les Palestiniens de la Palestine
mandataire. Puisqu'un génocide de l'ampleur de ceux commis pour vider
l'Amérique ou l'Australie de leurs indigènes n'est pas politiquement
viable aujourd'hui, le nettoyage ethnique est ce qui s'en approche le
plus.
3. Lancer un nouveau processus, visionnaire et pratique, qui mènerait à
l'établissement d'un État unitaire et démocratique entre le Jourdain et la
Méditerranée.
Examinons chacune de ces trois options.
3.1 Maintenir le statu quo
En premier lieu, le statu quo comporte trois attributs: le déni des droits
des réfugiés, l'occupation militaire et la répression en Cisjordanie et
dans la Bande de Gaza et finalement la version sioniste de l'apartheid en
Israël même.
3.1.A. Le déni des droits des réfugiés
Loin d'avoir reconnu sa culpabilité dans la création du plus vieux et
large problème de réfugié dans le monde et malgré des preuves
incriminantes accablantes, Israël a systématiquement fuit toute
responsabilité. La dimension la plus étrange du discours populaire
israélien au sujet de la «naissance» de l'État est le déni presque total
de tout méfait. La vaste majorité des Israéliens considèrent l'impitoyable
destruction de la société palestinienne et la dépossession du peuple
palestinien comme leur «indépendance». Même les «gauchistes» engagés se
lamentent souvent sur la perte de la «supériorité morale» d'Israël après
l'occupation de la Cisjordanie et de la Bande de Gaza en 1967, comme si
avant cela Israël était aussi civil, légitime et respectueux de la loi que
la Finlande!
Telle une classique prédiction qui se réalise d'elle-même, les Israéliens
ont toujours aspiré à être un État normal, au point qu'ils ont commencé à
croire que c'était le cas. [2] C'est comme si la plupart de ces Israéliens
qui ont activement participé ou assisté à la Naqba étaient collectivement
infectés par une amnésie sélective chronique.
Les racines de ce déni proviennent de l'Holocauste et des circonstances
uniques qui en ont résulté, qui ont permis à Israël de prétendre que,
contrairement à tout autre État, il était obligé de dénier aux réfugiés
palestiniens leur droit sans équivoque de retourner dans leurs maisons et
sur leurs terres. Préserver le caractère juif de l'État, selon
l'argumentation, était le seul moyen de maintenir un lieu sûr pour les
Juifs du monde, les «super-victimes», qui sont en danger parmi les
Gentils, et cela était évidemment bien plus important que les simples
droits des Palestiniens. Même si nous ignorons la comparaison impérieuse
entre la sécurité des Juifs en Israël par rapport à la France, au Maroc, à
l'Espagne, aux États-Unis et même à l'Allemagne, nous ne pouvons ignorer
le fait qu'aucun autre pays dans le monde d'aujourd'hui ne pourrait s'en
tirer avec une attitude similairement manifeste et raciste au sujet de son
droit à la pureté ethnique.
En plus d'être moralement indéfendable, le déni du droit au retour par
Israël révèle aussi un degré d'inconstance morale qui est unique à bien
des points de vue.
Par exemple, la loi du retour pour les Juifs est basée sur le principe
que, puisqu'ils ont été expulsés de la Palestine il y a plus de 2.000 ans,
ils ont le droit d'y retourner. Ainsi, en niant les droits des réfugiés
palestiniens, dont l'exil de 55 ans est une injustice bien plus jeune,
Israël affirme essentiellement que les Palestiniens ne peuvent avoir le
même droit parce qu'ils ne sont pas également humains.
Voici quelques autres exemples de cette inconstance morale:
Des milliers d'Israéliens dont les grands-parents étaient citoyens
allemands ont demandé avec succès le droit au retour en Allemagne, la
citoyenneté allemande, et ont reçu pleine compensation pour la propriété
pillée. Le résultat étant que la population juive de l'Allemagne est
passée de 27.000 au début des années quatre-vingt-dix à plus de 100.000
l'année dernière.
La Belgique a aussi passé une loi «permettant le retour à leurs
propriétaires des biens qui appartenaient à des familles juives». Elle a
aussi accepté de payer à la communauté juive locale une restitution de 55
millions d'euros pour les propriétés volées qui «ne peuvent être
restituées» et pour «les polices d'assurances non réclamées appartenant à
des victimes de l'Holocauste».
Mais la quintessence de l'hypocrisie morale est révélée par l'exemple
suivant rapporté par le Ha'aretz:
«Plus de cinq siècles après que leurs ancêtres ont été expulsés d'Espagne,
les Juifs d'origine espagnole... ont demandé au gouvernement et au
parlement espagnols de leur accorder la nationalité espagnole... L'Espagne
devrait passer une loi «pour reconnaître que les descendants des Juifs
expulsés font partie de l'Espagne et pour les réhabiliter», affirme Nessim
Gaon, président de la Fédération séfarade mondiale. (...) Certains Juifs
séfarades ont même préservé la clé de la résidence de leur ancêtre en
Espagne...»
Puisque soutenir le droit au retour des réfugiés palestiniens est, selon
moi, le test décisif de moralité pour quiconque suggère une solution juste
et durable au conflit israélo-palestinien, plusieurs, y compris Bill
Clinton, et tout le spectre de la gauche officielle en Israël, ont échoué
à ce test.
La gauche et la droite sont partout des termes relatifs, mais en Israël,
la distinction peut être complètement floue par moments. Quand vient le
temps de parler de la pureté ethnique, de la démographie et du
chauvinisme, les politiciens israéliens et les intellectuels de gauche,
même ceux qui se sont autoproclamés comme «la gauche» [3], ont fait en
sorte que les partis de l'extrême-droite européenne sonnent aussi humains
que Mère Teresa. Toutefois, la différence cruciale est que dans le cas
d'Israël, l'immoralité est aggravée par le fait que, contrairement aux
immigrants étrangers en Europe, l'autre est en fait l'indigène.
Malgré ce qui vient d'être mentionné, on ne peut nier que le droit au
retour des réfugiés palestiniens contredit les exigences d'une solution
négociée à deux États. Israël ne l'acceptera tout simplement jamais, en
faisant le talon d'Achille de toute solution négociée à deux États, comme
le démontre l'histoire. Cela n'a rien à voir avec les mérites ou les
compétences des négociateurs palestiniens, aussi maigres qu'ils aient pu
être, mais plutôt avec un stupéfiant déséquilibre de pouvoir qui permet à
un État ethnocentrique et colonial de préserver sa nature exclusiviste en
dictant les conditions à un interlocuteur pathétiquement plus faible.
C'est précisément pourquoi le droit au retour ne peut être réellement
accompli, sauf dans une solution à un État. Cela permettrait à la
faiblesse palestinienne de devenir une force, s'ils décident d'adopter une
voie non violente afin d'établir un État laïque et démocratique, acquérant
par le fait même un soutien international crucial et transformant le
conflit en une lutte non dichotomique pour la liberté, la démocratie,
l'égalité et la justice non mitigée. De nouveau, le modèle sud-africain
doit être une inspiration à ce niveau.
3.1.B. Occupation militaire: les crimes de guerre [4], grands et petits
Suite à une visite dans la Bande de Gaza entièrement clôturée, Oona King,
une parlementaire britannique juive, a commenté l'ironie à laquelle font
actuellement face les Juifs israéliens, affirmant: «... en fuyant les
cendres de l'Holocauste, ils ont incarcéré un autre peuple dans un enfer
similaire en sa nature - mais pas dans son étendue - au ghetto de
Varsovie».
Tout être humain ayant une conscience et qui a récemment visité les
Territoires occupés ne peut faire autrement qu'être d'accord avec King.
Faisant face à l'aspiration apparemment inextinguible des Palestiniens
pour la justice et l'émancipation, Israël a repris depuis trois ans une
campagne de destruction gratuite, d'atrocités systématiques et de sièges à
caractère médiéval, avec la claire intention de punir collectivement les
Palestiniens, les forçant potentiellement à abandonner leur terre en
masse. Le reste n'est que simples détails, aussi pénibles et affligeant
qu'ils puissent être.
- Le mur d'apartheid israélien [5], les droits humains des Palestiniens vs
les droits des animaux et des plantes israéliens:
Bien qu'Israël essaie actuellement de présenter le Mur comme une barrière
de sécurité pour «arrêter les kamikazes», la vérité est que le présent
tracé du Mur est tout sauf nouveau. Il a été recommandé à Ariel Sharon par
le tristement célèbre «prophète de la menace démographique arabe», le
démographe israélien Arnon Sofer, qui soutient que la carte mise en ouvre
est la sienne. Et contrairement aux doucereux politiciens israéliens,
Sofer confesse sans la moindre honte que le tracé du Mur a été dessiné
avec un but spécifique à l'esprit: maximiser la terre devant être annexée
par Israël tout en minimisant le nombre d'«Arabes» qui viendraient avec.
Mais Sofer s'accorde peut-être trop de crédit. Ron Nahman, le maire de la
colonie d'Ariel en Cisjordanie, a révélé au journal à grand tirage Yedioth
Aharonot que: «la carte de la clôture, dont on voit ici l'ébauche, est la
même carte que j'ai vue lors de toutes les visites que [Ariel Sharon] a
faites ici depuis 1978. Il m'a dit qu'il y pensait depuis 1973.» Il n'y
avait pas beaucoup d'«attentats suicides» à cette époque!
Il y a quatre ans, bien avant le début de l'Intifada, Ariel Sharon
lui-même avait, dans un style évocateur, nommé le projet du mur le «plan
Bantoustan», selon Ha'aretz.
Malgré les graves transgressions envers l'habitat, l'environnement et les
droits politiques des Palestiniens, un «consensus presque total» existe
parmi les Juifs israéliens en sa faveur. Cependant, plusieurs groupes
officiels ou non gouvernementaux en Israël sont préoccupés par les effets
adverses que le Mur pourrait avoir sur les animaux et les plantes.
Le ministre israélien de l'Environnement, Yehudit Naot, protestait contre
le Mur, affirmant:
«La clôture de séparation coupe la continuité d'aires ouvertes et est
dommageable pour le paysage, la flore et la faune, les corridors
écologiques et le drainage des ruisseaux. Le système de protection
affectera de manière irréversible les ressources de la terre et créera des
enclaves de communautés [d'animaux évidemment] qui seront coupées de leur
environnement. Je ne souhaite surtout pas arrêter ou retarder la
construction de la clôture, parce qu'elle est essentielle et sauvera des
vies... D'un autre côté, je suis perturbée par les dommages
environnementaux qui en découlent.»
Son ministère et l'Autorité de protection des Parcs nationaux ont organisé
un effort de sauvetage afin de préserver une réserve d'iris affectée en la
déplaçant vers une autre réserve. Ils ont aussi créé de petits passages
pour les animaux et permis la circulation de l'eau dans les ruisseaux.
Pourtant, le porte-parole de l'autorité de parcs n'était pas satisfait. Il
s'est plaint:
«Les animaux ne savent pas qu'il y a maintenant une frontière. Ils sont
habitués à un certain habitat et ce qui nous préoccupe est de voir leur
diversité génétique affectée parce que différents groupes de population ne
seront plus capables de se rejoindre et de se reproduire. Isoler les
populations des deux côtés d'une clôture va créer définitivement un
problème génétique.»
Même Thomas Friedman a prédit - assez correctement, selon moi - dans le
New York Times que le Mur «achèvera» éventuellement la solution à deux
États, devenant ainsi «la mère de toutes les conséquences involontaires».
- Les plus petits crimes de l'occupation:
Ce ne sont pas tous les crimes de l'occupation militaire israélienne qui
sont aussi écrasants que le Mur. Je ne citerai plus bas que quatre
exemples de crimes de guerre de moindre importance quoiqu'endémiques:
i) Naissance et mort à un barrage de l'armée israélienne
Rula, une Palestinienne, était au dernier stade de sa grossesse. Son
époux, Daoud, ne réussissait pas à convaincre les soldats à un barrage
militaire typique de les laisser passer pour rejoindre l'ambulance qui
était retenue par les mêmes soldats de l'autre côté. Après une longue
attente, Rula ne pouvait plus retarder l'accouchement. Elle a commencé à
hurler de douleur, devant la plus totale apathie des soldats. Daoud a
décrit cette expérience traumatisante au journaliste exceptionnellement
consciencieux du Ha'aretz, Gideon Levy, affirmant:
«Près du barrage, il y avait une roche... Ma femme a rampé jusqu'à la
roche et s'y est étendue. Pendant ce temps, je continuais de parler avec
les soldats. Un seul d'entre eux faisait attention, les autres ne
regardaient même pas. Elle a essayé de se cacher derrière la roche. Elle
n'aimait pas qu'ils la voient dans cette condition. Elle a commencé à
hurler, hurler. Les soldats ont dit: «Tire-la dans notre direction, ne la
laisse pas s'éloigner.» Et elle criait de plus en plus. Cela ne l'a pas
ému. Soudainement, elle s'est mise crier: «J'ai accouché, Daoud, j'ai
accouché!» J'ai alors répété ce qu'elle venait de dire pour que les
soldats l'entendent. En hébreu et en arabe. Ils ont entendu.»
Peu après, Rula a crié: «La fillette est morte! La fillette est morte!»
Daoud, affolé et craignant pour la vie de sa femme, a dû couper le cordon
ombilical avec une pierre. Plus tard, le docteur qui a examiné le corps à
l'hôpital a révélé que la fillette était morte «d'une blessure sérieuse
infligée lorsqu'elle est sortie du conduit utérin».
Commentant la mort similaire d'un autre nouveau-né palestinien à un autre
barrage israélien, une porte-parole de Médecins israéliens pour les droits
de l'Homme a dit:
«Nous ne savons pas combien sont mort ainsi parce que plusieurs personnes
ne prennent même pas la peine d'aller à l'hôpital, sachant que les soldats
les en empêcheraient. (...) Ces personnes ne représentent pas une menace
pour Israël. Ceux qui le sont, tels les kamikazes, ne passent évidemment
pas par les barrages, qui existent uniquement pour contrôler, subjuguer et
humilier les gens ordinaires. C'est comme un terrorisme routinier.»
ii) Chasser les enfants comme sport
Le journaliste vétéran états-unien Chris Hedges décrit dans Harper's
comment les soldats israéliens dans la Bande de Gaza maudissent et
provoquent systématiquement les enfants qui jouent dans les dunes au sud
de Gaza. Puis, lorsque les enfants deviennent finalement excédés et
commencent à lancer des pierres, les soldats répondent avec préméditation
à balles réelles à l'aide de fusils mitrailleurs munis de silencieux.
«Plus tard», écrit Hedges, «à l'hôpital, je vois les ravages: les estomacs
arrachés, les trous béants dans les côtes et les torses». Il conclut
ensuite: «Des enfants ont été tués dans d'autres conflits auxquels j'ai
assisté,... mais je n'avais encore jamais vu des soldats attirer des
enfants comme des souris dans une trappe et les tuer comme un sport.»
iii) Les patients et le siège
Rapportant un incident particulièrement horrible, Gideon Levy écrit dans
Ha'aretz:
«Les soldats ont obligé Bassam Jarar, un double amputé ayant des problèmes
aux reins, et Mohammed Asasa, complètement aveugle, à sortir de
l'ambulance. Les deux hommes revenaient d'une dialyse. Environ une
demi-heure s'est écoulée, et le sang a commencé à couler du tube qui est
inséré en permanence dans l'abdomen de Jarar. «J'ai dit aux soldats dans
le blindé que je saignais. Il m'a dit de m'asseoir et qu'ils me
conduiraient vers un médecin. Nous nous sommes assis là au soleil pendant
près d'une heure.» (...) Le saignement s'est aggravé. Après environ une
heure, deux soldats sont arrivés et ont soulevé Jarar et l'ont placé sur
le plancher de leur jeep. «Je leur ai dit que je ne pouvais pas voyager
dans une jeep. Ils ont dit que c'est tout ce qu'il y avait et qu'ils me
conduisaient chez un docteur. Il a conduit comme un maniaque, j'étais
secoué de tous bords et j'avais mal partout. Je leur ai dit que je
souffrais. Ils ont dit: «N'aie pas peur, tu ne mourras pas.» Il y avait
quatre soldats dans la jeep et j'étais sur le plancher. Il ne ralentissait
pas. Et les soldats riaient et ne me regardaient pas du tout.»
iv) Violences sexuelles
Lors d'un autre crime, deux officiers de la police frontalière israélienne
ont contraint un berger palestinien à porter sur son dos la selle de son
âne et à marcher d'avant en arrière devant eux; ensuite, sous la menace de
son arme, un des deux l'a forcé à avoir une relation sexuelle avec son âne
pendant une demi-heure, tel que documenté par B'Tselem.
Influencé par cette culture d'humanisation relative de «l'autre», Nathan
Lewin, candidat potentiel à un poste de juge fédéral à Washington et
ancien président de l'Association internationale des avocats et juristes
juifs, écrit:
«Si l'exécution de la famille de quelques kamikazes sauve la vie ne
serait-ce que d'un nombre égal de victimes potentielles civiles, l'échange
est, je crois, éthiquement acceptable. (...) C'est une politique issue de
la nécessité - le besoin de trouver un véritable dissuasif lorsque la
peine capitale est apparemment sans effet.»
Mettant de côté la diplomatie, «civil» ne s'applique ici qu'aux «Juifs»,
évidemment.
Alan Dershowitz, professeur de droit à Harvard, a conseillé similairement
à Israël de raser complètement tout village palestinien qui abrite un
kamikaze.
Il n'est pas surprenant, dans ce contexte, qu'une personne aussi
moralement constante que Shulamit Aloni, ancienne membre de la Knesset,
trouve nécessaire de dire: «Nous n'avons pas de chambres à gaz ni de fours
crématoires, mais il n'y a pas qu'une seule façon de perpétrer un
génocide.»
- Est-ce que les Israéliens savent?
Selon moi, le journaliste britannique Jonathan Cook dit vrai lorsqu'il écrit:
«[Les Israéliens] savent précisément ce qui arrive: leur conditionnement
sioniste les empêche simplement de voir la signification. Tant que
l'ennemi est Arabe, tant que l'excuse fourre-tout de la sécurité peut être
invoquée et tant qu'ils croient que l'antisémitisme persiste partout,
alors le public israélien peut dormir paisiblement quand un autre enfant
[palestinien] est tué en roulant sur sa bicyclette, quand la maison d'une
autre famille est rasée, quand une autre femme fait une fausse couche à un
barrage. (...) Il semble qu'un peuple qui a été éduqué à croire que tout
peut être fait en son nom - tant et aussi longtemps que cela sert les
intérêts des Juifs et de leur État - n'a pas besoin d'ignorance. Il peut
commettre des atrocités en ayant les yeux grands ouverts.»
Cela n'est pas nouveau. Le penseur sioniste Ahad Ha'am a décrit ainsi
l'attitude anti-arabe des colons juifs qui venaient en Palestine pour
échapper à la répression en Europe, bien avant qu'Israël soit créé:
«Ils étaient serfs en terres de diaspora, et ils se sont soudainement
trouvés en liberté [en Palestine]; ce changement a réveillé en eux une
inclination au despotisme. Ils traitent les Arabes avec hostilité et
cruauté, les privent de leurs droits, les offensent sans raison et se
vantent même de ces actions. Et personne parmi nous ne s'oppose à cette
inclination ignoble et dangereuse.»
Mais si c'est vrai, on peut alors apporter deux explications - qui ne
s'excluent pas nécessairement l'une l'autre - pour expliquer l'acceptation
des Israéliens, et parfois leur soutien fervent, à cette violation
systématique des droits fondamentaux de l'Homme:
1. Une croyance répandue voulant que leur guerre démographique contre les
Palestiniens puisse être gagnée en mettant en ouvre la suggestion du
ministre Benny Elon, qui a appelé à l'intensification du siège et de la
répression afin de «rendre leur vie si pénible qu'ils se transféreront
eux-mêmes volontairement».
2. Laïque ou non, la racine de la perception bien arrêtée des Israéliens
selon laquelle les Palestiniens sont moins humains, est nourrie par une
tradition coloniale raciste et un fondamentalisme juif en croissance.
Je vais m'attarder un peu sur ce dernier point.
Il est banal de lire quelque chose au sujet du fondamentalisme islamiste
et de son activisme, de son anachronisme et de sa haine intrinsèque de
«l'autre». Toutefois, le fondamentalisme juif est un tabou qui n'est
pratiquement jamais évoqué en Occident pour des raisons qui dépassent la
portée de cet essai. Mais le fondamentalisme juif gagne constamment du
terrain en Israël, faisant de l'État, tel que le décrit le journaliste
vétéran britannique David Hirst le décrit, un État «non seulement
extrémiste par le tempérament, raciste par la pratique, [mais aussi] de
plus en plus fondamentaliste par l'idéologie qui le conduit».
Par exemple, se référant à la loi juive, ou Halacha, le rabbin Ginsburg,
rabbin d'une puissante secte hassidique, a défendu le massacre de
Musulmans dans la mosquée d'Hébron en 1994, en disant:
«Légalement, si un Juif tue un non Juif, il n'est pas considéré comme un
meurtrier. Il n'a pas transgressé le sixième commandement... Il y a
quelque chose de bien plus sacré et unique dans une vie juive que dans une
vie non juive.»
Le rabbin Shaoul Israeli, une des plus hautes autorités rabbiniques du
Parti religieux national et du sionisme religieux en général, a justifié
le massacre de Qibya de 1953, perpétré par une unité de l'armée
israélienne dirigée par Ariel Sharon, en citant lui aussi la loi juive. Il
a écrit:
«Nous avons établi qu'existe le terme spécial de «guerre de revanche» et
que c'est une guerre contre ceux qui haïssent les Juifs et [il y a] des
lois spéciales qui s'appliquent à une telle guerre... Lors d'une telle
guerre, rien n'oblige à prendre des précautions au cours des actes de
guerre afin que les non combattants ne soient pas blessés, puisque lors
d'une guerre, les bons et les mauvais sont tués. (...) La guerre de
revanche est basée sur l'exemple de la guerre contre les Mèdes au cours de
laquelle les petits enfants ont aussi été exécutés, et nous pouvons nous
interroger sur cela, à savoir comment ils avaient péché. Mais nous avons
déjà trouvé dans les paroles de nos sages - que leur mémoire soit sacrée -
que les petits enfants doivent mourir à cause des péchés de leurs
parents.»
3.1.C. Le système israélien de discrimination raciale: intelligent,
nuancé, mais toujours de l'apartheid
L'universitaire états-unien Edward Herman a écrit:
«Si les Juifs de France devaient avoir en leur possession des cartes
d'identité les désignant comme Juifs (bien que citoyens français), ne
pouvaient acheter une terre ou se porter acquéreur ou locataire d'une
résidence dans la majeure partie du pays, n'étaient pas admis au service
militaire et si la loi française bannissait tout parti politique ou
législation demandant les droits égaux pour les Juifs, est-ce que la
France serait largement louée aux États-Unis en tant que «symbole de la
décence humaine» (New York Times) et un modèle de démocratie? Y aurait-il
de vastes protestations si la France, en conséquences de telles lois et
pratiques, était qualifiée, par une majorité de membres de l'ONU, d'État
raciste?»
Défendre une égalité complète et sans équivoque entre les Arabes et les
Juifs en Israël est devenu synonyme de sédition, voire de trahison. Un
juge de la Cour suprême israélienne a récemment déclaré qu'il «est
nécessaire d'empêcher un Juif ou un Arabe qui appelle à l'égalité des
droits pour les Arabes de siéger à la Knesset ou d'y être élu».
Un sondage récent, réalisé par l'Institut israélien de démocratie, révèle
que 53% des Juifs israéliens s'opposent à ce que des droits égaux soient
accordés aux citoyens palestiniens d'Israël, et qu'un stupéfiant 57%
croient qu'ils devraient être «encouragés à émigrer». Une des principales
conclusions est que lorsque les Juifs israéliens disent «nous», ils y
incluent bien peu souvent les citoyens palestiniens de l'État.
En ce qui concerne les droits à la propriété immobilière, l'inégalité est
catégorique. «En terre d'Israël, il est interdit de vendre un appartement
à un Gentil», affirmait le Grand rabbin d'Israël en 1986, commentant la
tentative d'un Palestinien pour acheter un logement appartenant au Fond
National Juif à Jérusalem-Est.
Dans les autres aspects vitaux de la vie, y compris les lois sur le
mariage, le développement urbain et l'éducation, Israël a perfectionné un
système complet de discrimination raciale envers ses citoyens
palestiniens, qui n'a aucun parallèle dans le monde d'aujourd'hui.
Du fait de toutes les dimensions de l'occupation militaire décrite
ci-avant, le statu quo est intenable, que ce soit à cause de la résistance
palestinienne ou de la condamnation internationale croissante.
4. Le nettoyage ethnique: la solution finale d'Israël face au problème
démographique palestinien
Les politiciens, intellectuels et médias de masse israéliens débattent
souvent passionnément pour trouver la meilleure façon de faire face à la
«guerre» démographique avec les Palestiniens. Peu d'Israéliens se
dissocient de la croyance voulant qu'une telle guerre existe ou devrait
exister. L'appel populaire en faveur de la subordination de la démocratie
à la démographie a cependant entraîné l'adoption de mécanismes de contrôle
de la population, visant à contrôler le nombre de Palestiniens, qui ne
sont pas sans rappeler quelque chose.
Donnant un pur exemple d'un tel mécanisme, le Conseil démographique
israélien a été reconvoqué l'année dernière pour «encourager les femmes
juives israéliennes - et elles seules - à augmenter le nombre de leurs
enfants; un projet qui, si on en juge par les activités du précédent
conseil, essayera aussi de limiter les avortements», tel que rapporté par
Ha'aretz. Ce groupe prestigieux, qui est formé des plus importants
gynécologues, figures publiques, avocats, scientifiques et médecins
israéliens, se concentre sur l'augmentation du ratio de Juifs par rapport
aux Palestiniens en Israël, en employant «des méthodes pour augmenter le
taux de fertilité israélien et pour empêcher l'avortement».
À côté de cette ingénierie démographique, cette «guerre» ouverte contre la
croissance de la population palestinienne a toujours impliqué l'incitation
à l'immigration en Israël pour les non Arabes, juifs ou non, d'un peu
partout dans le monde - de préférence, mais pas nécessairement, la partie
blanche - pour être éventuellement israélisés [6]. L'universitaire
israélien Boaz Evron a écrit:
«La crainte de la «menace démographique» a hanté le sionisme depuis ses
tous débuts. En son nom, des Éthiopiens ont été faits juifs malgré
l'objection de rabbins. En son nom, des centaines de milliers de Slaves
sont venus ici en portant la Loi du Retour comme feuille de figuier. En
son nom, des émissaires ont été envoyés de par le monde pour trouver de
plus en plus de Juifs.»
Avec le soutien du gouvernement, par exemple, une organisation sioniste,
Amatzia, a organisé l'adoption d'enfants étrangers par des familles juives
ayant des problèmes de fertilité, insistant seulement sur la condition que
les enfants doivent être convertis au judaïsme à leur arrivée en Israël.
La Roumanie, la Russie, le Guatemala, l'Ukraine et les Philippines étaient
les principaux pays d'origine des enfants; mais maintenant, après qu'ils
se soient «taris», l'Inde est devenue la source de choix, principalement
pour la relative facilité d'y acquérir les «biens». La directrice
d'Amatzia, Shulamit Wallfish, recherche particulièrement les enfants du
nord de l'Inde, «où la peau des enfants est plus pâle, ce qui convient
mieux aux familles israéliennes», selon elle.
Plus préoccupé par l'imminente augmentation de la majorité arabe entre le
Jourdain et la Méditerranée que par la «pureté juive» souvent invoquée et
sanctifiée, Ariel Sharon a en effet demandé aux dirigeants religieux
d'accélérer la progression de l'immigration et de l'absorption des non
Arabes, même s'ils ne sont pas juifs, afin de fournir à Israël un
«régulateur à la population arabe en plein essor», rapporte le Guardian.
La vision du gouvernement israélien est que «tandis que la première
génération de chaque vague d'immigration peut avoir de la difficulté à
embrasser Israël et la judéité, leurs fils et filles deviennent
fréquemment de fervents sionistes. Dans le climat actuel, ils sont souvent
très à droite.»
Quoique très populaire, une telle politique n'est pas endossée par tous.
Par exemple, Eli Yishai, le dirigeant du plus important parti juif
séfarade, le Shas, qui est particulièrement préoccupé par l'influx de
Gentils, prévient hystériquement:
«D'ici la fin de l'année 2010, l'État israélien perdra son identité juive.
Un État laïque amènera... des centaines de milliers de goy qui
construiront des centaines d'églises et ouvriront plus de magasins pour
vendre du porc. Dans toutes les villes, nous verrons de sapins de Noël.»
Le ministre israélien d'extrême-droite Effie Eitam prédit une autre
alternative: «Si vous ne donnez pas le droit de vote aux Arabes, le
problème démographique se résoudra de lui-même.»
Le Dr Amnon Raz-Krakotzkin de l'Université Ben Gourion est un des
Israéliens consciencieux qui est révolté par ce langage de contrôle
démographique qui n'est pas sans rappeler quelque chose. Il a écrit:
«C'est effrayant, lorsque les Juifs parlent de démographie.»
Se dissociant également de la principale vision israélienne, Boaz Evron
écrit:
«Lorsque nous arrêterons de définir notre essence nationale par des
critères religieux, de forcer la conversion de ceux qui sont de bons
citoyens israéliens, et que nous abandonnerons les préférences
effectivement illégales accordées aux Juifs, il deviendra subitement
évident qu'il n'y a aucune raison de se préoccuper de la «menace
démographique.»
Cependant, le mécanisme favori a toujours été le nettoyage ethnique. Sans
cesse pratiqué, toujours populaire, mais continuellement nié par les
sionistes, le nettoyage ethnique a été ressorti des cartons du sionisme au
cours des dernières années pour occuper son propre trône.
Le célèbre historien Benny Morris a récemment affirmé que si la Palestine
avait été complètement vidée de sa population indigène arabe en 1948, cela
aurait conduit à la paix au Proche-Orient.
En réponse, Baruch Kimmerling, professeur à l'Université hébraïque, a écrit:
«Laissez-moi compléter la logique de Benny Morris... Si le programme de la
solution finale nazie au problème juif avait été mené à son terme, il y
aurait assurément la paix en Palestine aujourd'hui.»
Alors, pourquoi Israël n'agit-il pas maintenant en fonction de ses désirs?
Le professeur Ilan Pappé de l'Université de Haïfa a une réponse
convaincante:
«Les contraintes qui pèsent sur le comportement d'Israël ne sont pas de
nature morale ou éthique, mais plutôt techniques. Jusqu'où pouvons-nous
aller sans transformer Israël en un État paria? Sans susciter des
sanctions européennes, ou sans rendre la vie trop difficile aux
États-Unis?»
Offrant une explication diamétralement opposée, Martin Van Creveld, le
plus important historien militaire israélien, qui soutient le nettoyage
ethnique, écarte avec arrogance toute préoccupation face à l'opinion
internationale, émettant le formidable avertissement suivant:
«Nous possédons plusieurs centaines d'ogives nucléaires et de missiles et
pouvons les lancer sur des cibles dans toutes les directions, peut-être
même sur Rome. La plupart des capitales européennes sont des cibles pour
notre aviation. (...) Laissez-moi citer le général Moshe Dayan: «Israël
doit être comme un chien fou, trop dangereux pour l'ennuyer.» (...) Notre
armée n'est pas la trentième plus puissante au monde, mais plutôt la
deuxième ou la troisième. Nous avons la capacité d'entraîner le monde avec
nous dans une chute. Et je peux vous assurer que cela se produira avant
qu'Israël coule.»
Cela devrait amplement expliquer pourquoi les Européens ont récemment
rangé Israël au premier rang des pays qu'ils considèrent comme une menace
à la paix.
Pourtant, une troisième explication, qui converge avec celle de Pappé, est
qu'Israël jouit présentement du meilleur des deux mondes: il met en ouvre
- sur le terrain - un réseau élaboré de politiques qui rendent la vie des
Palestiniens progressivement plus intolérable, et crée ainsi un
environnement favorable à un nettoyage ethnique graduel, tout en ne créant
pas de scène dramatique - du style Kosovo - qui alarmerait le monde,
suscitant la condamnation et de possibles sanctions. [7]
5. Israël: les contradictions essentielles indéfendables
L'exclusivité raciale inhérente d'Israël, telle que démontrée plus haut, a
convaincu plusieurs citoyens palestiniens de l'État qu'ils ne sont pas
seulement dans les marges, mais somme toute non désirés. Ameer Makhoul, le
directeur général d'Ittijah, l'organisation qui regroupe les ONG
palestiniennes en Israël, a écrit:
«L'État d'Israël est devenu la principale source de danger pour le million
de Palestiniens qui sont citoyens de l'État qui leur a été imposé en 1948;
un État qui a été érigé sur les ruines du peuple palestinien... Les
citoyens palestiniens d'Israël ne peuvent se défendre en se basant sur le
système juridique et la Knesset. Ce public n'a pas confiance dans l'État
et ses institutions, puisque les règles du jeu israélien ne permettent que
la discrimination, le racisme et la répression des aspirations
collectives.»
À côté de ce que les Palestiniens pensent ou veulent, la question devrait
être posée: est-ce qu'un État qui insiste sur la pureté ethnique peut être
qualifié de démocratie, sans priver ce concept de son essence? Même les
loyaux amis d'Israël ont commencé à perdre foi en sa capacité à
réconcilier ce qui est fondamentalement irréconciliable: la démocratie
libérale moderne et l'ethnocentrisme anachronique. Écrivant dans le New
York Review of Books, le professeur de l'Université de New York Tony Judt
affirme que:
«Dans un monde où les nations et les peuples s'entremêlent et se marient
entre eux, où les obstacles culturels et nationaux à la communication se
sont effondrés, où de plus en plus de gens parmi nous ont des identités
multiples et se sentiraient contraints s'ils devaient ne se rattacher qu'à
une seule, dans un tel monde, Israël est vraiment un anachronisme. Et pas
simplement un anachronisme, un anachronisme dysfonctionnel. Dans le «choc
des cultures» d'aujourd'hui entre les démocraties ouvertes et pluralistes
et les États ethniques agressivement intolérants et conduits par la foi,
Israël risque bel et bien de finir dans le mauvais camp.»
Avraham Burg, un dirigeant sioniste engagé, est parvenu à une conclusion
similaire. Attaquant la direction israélienne comme une «clique amorale»,
Burg soutient qu'Israël, qui «repose sur un échafaudage de corruption et
sur des fondations d'oppression et d'injustice», doit «abandonner ses
illusions et choisir entre l'oppression raciste et la démocratie».
6. Un État laïque et démocratique: de nouveaux horizons
Peu importe ce qu'en disent nos hypocrites, nos vendus ou nos «faux
prophètes», Israël, en tant qu'État exclusiviste et colonial [8], n'a
aucune chance d'être accepté ou pardonné par ses victimes - et comme il
devrait le savoir, ce sont les seuls dont le pardon est important.
Malgré la peine, la perte et la colère que l'humanisation relative
engendre inévitablement en eux, les Palestiniens ont l'obligation de
différencier la justice de la revanche, la première impliquant une
décolonisation essentiellement morale, tandis que la deuxième descend dans
un cycle vicieux d'immoralité et de désespoir. Comme l'a écrit l'éducateur
brésilien feu Paulo Freire:
«La déshumanisation, qui ne marque pas seulement ceux dont l'humanité a
été volée, mais aussi (quoique de façon différente) ceux qui l'ont volée,
est une distorsion de la vocation à devenir plus humain. (...) [La] lutte
[pour l'humanisation] est possible uniquement parce que la
déshumanisation, tout en étant un fait historique concret, n'est pas un
destin, mais le résultat d'un ordre injuste qui engendre la violence chez
l'oppresseur qui, à son tour, déshumanise l'opprimé. (...) Afin que cette
lutte ait un sens, l'opprimé ne doit pas, en cherchant à recouvrer son
humanité (qui est une voie pour la créer), devenir l'oppresseur des
oppresseurs, mais plutôt restaurateur de l'humanité des deux.»
Rejetant la relative humanité de tout bord, et insistant sur la cohérence
ethnique, je crois que la façon la plus morale de parvenir à une paix
juste et durable dans l'ancienne terre de Palestine passe par
l'établissement d'un État laïque et démocratique entre le Jourdain et la
Méditerranée, ancré dans une égale humanité et, en conséquence, dans les
droits égaux. La solution à un État, qu'il soit binational - une notion
qui est largement basée sur la fausse prémisse voulant que la seconde
nation en question soit définie [9] - ou laïque et démocratique, offre une
véritable chance à la décolonisation de la Palestine sans transformer les
Palestiniens en oppresseurs de leurs anciens oppresseurs. Le cycle vicieux
qui a commencé avec l'Holocauste doit prendre fin une fois pour toutes.
Cette nouvelle Palestine devrait:
1. Avant toute autre chose permettre et faciliter le retour et la
compensation à tous les réfugiés palestiniens, seule restitution éthique
acceptable à l'injustice qu'ils ont vécue depuis des décennies. Toutefois,
un tel processus devra continuellement maintenir un impératif moral,
c'est-à-dire éviter d'infliger une souffrance inutile ou injuste à la
communauté juive en Palestine;
2. Accorder une citoyenneté pleine, égale et sans équivoque à tous les
citoyens, Juifs ou Arabes;
3. Reconnaître, légitimer et même nourrir les particularités culturelles,
religieuses et ethniques et les traditions de chacune des communautés.
Comme règle générale, je souscris à ce que le professeur Marcelo Dascal de
l'Université de Tel-Aviv a proposé avec perspicacité:

«La majorité a l'obligation d'éviter autant que possible l'identification
de la structure de l'État avec des traits qui empêchent la minorité de s'y
engager.»
Les Israéliens devraient reconnaître ce défi moral palestinien posé devant
leur existence coloniale non pas comme une menace existentielle, mais
plutôt comme une invitation magnanime à démanteler le caractère colonial
de l'État, à permettre aux Juifs de Palestine de jouir finalement de la
normalité, en tant qu'humains égaux et citoyens égaux d'un État laïque et
démocratique - une terre réellement prometteuse en lieu et place d'une
fausse Terre Promise.
Cela confirmerait certainement que Roosevelt n'est pas seulement mort,
mais qu'il était aussi dans l'erreur.
Omar Barghouti
Traduit de l'anglais par Olivier Roy
(Montréal, Québec)
Notes
L'article anglais comporte 61 notes. La majorité d'entre elles fournissent
les références des nombreuses citations qui émaillent le texte. Nous avons
choisi de ne traduire que les notes qui ajoutent un contenu au texte.
[1] Plusieurs études archéologiques ont démontré que la plupart des
histoires contenues dans la Bible et utilisées par les sionistes pour
étayer leur revendication de la Palestine ne sont pas soutenues par
l'histoire de la région, qui «est basée sur des évidences directes
provenant de l'archéologie et de la géographie historique et est soutenue
par des analogies qui sont principalement issues de l'anthropologie, de la
sociologie et de la linguistique», comme l'a écrit l'archéologue Thomas L.
Thompson. Ses découvertes sont soutenues par les recherches étendues,
méticuleuses et faisant autorité de distingués archéologues israéliens
tels que Ze'ev Herzog et Israël Finkelstein.
[2] Henry Kissinger a défini l'objectif israélien ultime comme «une
normalité qui met un terme à toutes les revendications [palestiniennes] et
détermine un statut légal permanent». En conséquence, il a continuellement
conseillé à Israël, en retour de la reconnaissance de l'État palestinien,
d'insister sur une contrepartie qui inclurait «une renonciation formelle à
toute revendication [palestinienne] future». Cela, affirme-t-il, était
«l'essence d'un caractère raisonnable pour les États-uniens et les
Israéliens».
[3] Les célèbres écrivains israéliens A.B. Yehoshua et Amos Oz ont écrit:
«Nous ne pourrons jamais accepter le retour des réfugiés à l'intérieur des
frontières israéliennes, puisqu'un tel retour signifierait l'élimination
de l'État d'Israël.»
[4] L'examen par Amnistie Internationale de la conduite israélienne au
cours de l'actuelle Intifada l'a amené à conclure que: «Il y a un modèle
de violations grossières des droits de l'Homme qui pourraient très bien
constituer des crimes de guerres.»
[5] Plusieurs chercheurs ont démontré que l'ainsi nommée «clôture de
séparation» sépare effectivement les Palestiniens de leurs terres et les
isole dans des bantoustans restreints, pleinement sous contrôle de l'armée
israélienne. Ainsi, le seul nom correct et adéquat pouvant être appliqué à
cette clôture gargantuesque est: Mur de l'Apartheid, comme plusieurs ont
commencé à l'appeler.
[6] «L'assimilation israélienne» d'étrangers non Juifs dissout la majorité
juive selon de récentes études démographiques. Selon les statistiques les
plus conservatrices - et à mon avis trompeuses - environ 10% de la
supposée population juive d'Israël est réellement non juive.
[7] Les militants pacifistes Gadi Algazi et Azmi Bdeir expliquent: «Le
transfert n'est pas nécessairement un moment dramatique, un moment où les
gens sont expulsés et fuient leurs villes et villages. Ce n'est pas
nécessairement un mouvement planifié et bien organisé avec des autobus et
des camions emplis de gens... Le transfert est un processus plus profond,
un processus rampant caché à la vue. (...) La principale composante du
processus et le sapement graduel de l'infrastructure de vie de la
population palestinienne dans les Territoires: son étranglement continu au
milieu des bouclages et des sièges qui empêchent les gens d'aller au
travail ou à l'école, de recevoir les services médicaux et de permettre le
passage des citernes d'eau et des ambulances, ce qui repousse les
Palestiniens à l'âge de l'âne et de la charrette. Prises ensemble, ces
mesures minent l'emprise de la population palestinienne sur sa terre.»
[8] Même l'ancien adjoint au maire de Jérusalem, Meron Benvenisti, a dit:
«...au cours des deux dernières années, je suis arrivé à la conclusion que
nous avons affaire à un conflit entre une société d'immigrants et une
société indigène. En un tel cas, nous parlons d'un conflit entièrement
différent. (...) Parce que l'élément fondamental ici ne consiste pas en
deux mouvements nationaux qui se font face; l'élément fondamental en est
un d'indigènes et de colons. C'est l'histoire d'indigènes qui sentent que
des gens venant de la mer ont infiltré leur habitat naturel et les ont
dépossédés.»
[9] Le binationalisme est basé sur deux suppositions problématiques: que
les Juifs forment une nation, et qu'une telle nation a le droit d'exister
en tant que telle en Palestine. Clairement, le binationalisme ne peut
fonctionner entre les Palestiniens d'un côté et les Juifs du monde de
l'autre. Mais est-ce que les Juifs israéliens se définiraient comme une
nation? Probablement que non, puisque cela contredirait la prémisse
fondamentale du sionisme. Alors, est-ce que les Israéliens se voient comme
une nation? Certainement pas, puisqu'en plus de se séparer du sionisme,
cela impliquerait aussi la minorité de 20% de Palestiniens

Source: Radio Campus

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