AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   


Y a-t-il de l'espoir ? Vers où se tourner ?
par Ran HaCohen

 29 décembre 2003

Il paraît indéniable que quelque chose a changé dans le discours public israélien, au cours des deux ou trois derniers mois. Des failles importantes sont apparues dans le rempart du refus national - cette idéologie de l'Armée transformée en dogme d'État par le Premier ministre Barak (ce cheval de Troie qui a détruit de l'intérieur le camp de la paix israélien), puis consolidée par Sharon.

Il y a eu tout d'abord les 27 pilotes des forces d'aviation qui ont refusé de servir, «opposés à mener des attaques indéniablement illégales et immorales, comme celles menées par Israël dans les Territoires occupés»; dans leur sillage se profilent de nouvelles vagues de «refuzniks». Ensuite, il y a eu l'ancien président de la Knesset, le travailliste Avraham Burg, qui, dans un article remarqué surtout hors d'Israël, a qualifié le pays de «nation (qui) s'appuie sur un échafaudage de corruption et des fondations d'oppression et d'injustice». Il y a eu l'interview retentissante de quatre anciens chefs des services de renseignement, qui ont déclaré que Sharon conduisait l'État d'Israël vers «le point où il ne serait plus ni une démocratie, ni un foyer pour le peuple juif», et ont critiqué la colonisation, le Mur de l'apartheid, la politique d'assassinats, l'humiliation et le harcèlement quotidiens des Palestiniens, ainsi que l'emploi démagogique et abusif de la «prévention du terrorisme» en guise «d'excuse à ne rien faire» pour mettre fin à l'occupation. Il y a eu le livre du sergent d'état-major de réserve Liran Ron-Furer, décrivant la manière dont il s'était «transformé en animal» tandis qu'il servait à un «check-point» des Territoires occupés. L'armée israélienne a même admis qu'elle avait délibérément menti à la presse, à propos des détails opérationnels d'une attaque à Gaza qui avait tourné au bain de sang. Et enfin, il y a eu l'appel à la démission du premier ministre Sharon, lancé le 18 novembre dans Ha'aretz par Yoel Marcus, analyste politique senior de tendance centriste.

Par-dessus le marché, les deux principaux développements politiques du moment sont le lancement hautement médiatisé de ce qu'il est convenu d'appeler les accords de Genève, et l'appel au retrait unilatéral de la plus grande partie des Territoires occupés - y compris le démantèlement de certaines colonies - par un politicien chevronné du Likoud, Ehoud Olmert, qui a obtenu un soutien significatif au sein même de son parti. Le récent discours du premier ministre Sharon, menaçant de «déménager» - mais non de retirer! - certaines colonies tout en renforçant d'autres, si (et quand) la Feuille de route «échouait», peut être interprété comme une réponse à ces défis, qui semblent montrer que le public israélien n'est pas aussi enthousiaste à l'idée de «laisser gagner l'armée» que l'espérait la junte de ses dirigeants.

Pneumonie certes, mais pas atypique

En ce qui concerne les accords de Genève, trop d'énergie a déjà été gaspillée à débattre chaque paragraphe et chaque mot de ce document non contraignant, qui n'a guère d'autre prétention que de réfuter l'affirmation pernicieuse de Barak: «Israël n'a pas de partenaire pour la paix»... «vérifiée» de manière proactive par l'élimination de tout partenaire potentiel (à vrai dire, il serait plus juste de traduire cette phrase par: «Israël n'est pas un partenaire pour la paix»).

Il est facile de trouver à redire au texte de Genève: pour ma part, j'y trouve beaucoup à approuver, quoiqu'une phrase comme «les forces de l'air israéliennes auront le droit de survoler le territoire palestinien à des fins d'entraînement» soit tout simplement outrageuse. Mais débattre de tels détails revient à ignorer le nœud du problème. Les partisans enthousiastes de Genève - qui à vrai dire sont souvent d'anciens enthousiastes des accords d'Oslo, plus âgés de dix ans mais guère plus sages - ont tendance à présenter le conflit israélo-palestinien comme s'il s'agissait d'une pneumonie atypique - une maladie terrible, à laquelle aucune cure n'a encore été trouvée. Il s'agirait donc de trouver le remède approprié, de l'avaler et de recouvrer la santé.

Mais c'est là une grave erreur. Le conflit israélo-palestinien ressemble plus à une pneumonie classique qu'à une pneumonie atypique, car le remède est connu depuis des dizaines d'années. À l'exception du gouvernement israélien, intéressé à maintenir le statu quo, on n'a que trop lancé de plans de paix, en une pléthore solennelle: plan Clinton, plan Nusseibeh-Ayalon, initiative de paix saoudienne, Feuille de route de Bush, accords de Genève et bien d'autres. Les différences entre ces plans ressemblent à celles qui existent entre plusieurs marques de pénicilline. Ils mentionnent tous de manière claire les mesures pratiques que doit prendre Israël afin de parvenir à la paix: démanteler ses colonies, retirer l'armée et les civils israéliens hors des Territoires occupés, laisser se constituer un État palestinien viable et trouver une solution créative en ce qui concerne le droit au retour des réfugiés palestiniens. À court terme, ce sont là les conditions nécessaires et suffisantes pour aboutir à la paix entre Israël et les Palestiniens. Les «inventer» revient un peu à réinventer la roue.

Le vrai problème est que le patient - Israël en l'occurrence - refuse d'avaler ses médicaments. Inventer de nouveaux remèdes alors que le malade ne veut même pas recourir aux anciens peut être une mesure de propagande utile - en définitive, c'est ici que les accords de Genève prennent toute leur importance -, mais c'est loin d'être suffisant pour aboutir à la paix.

Depuis 1967, Israël n'a jamais renoncé à ses prétentions sur les Territoires palestiniens occupés; Israël n'a pas démantelé la moindre colonie, et n'a jamais cessé de s'approprier le sol palestinien au moyen d'un arsenal d'annexion toujours plus sophistiqué: «routes de contournement», «check-points», harcèlement incessant de la population palestinienne, et aujourd'hui Mur de l'apartheid, incarnation par excellence de la politique d'expropriation.

Mises en garde

Pour ces raisons, tout examen de l'évolution du conflit israélo-palestinien doit prendre en compte les éléments suivants:

  1. Il n'y a rien de neuf dans le discours public israélien contre l'occupation: la plupart des Israéliens se sont toujours opposés à la politique de colonisation, comme tous les sondages n'ont cessé de le montrer.

  2. Tous les gouvernements israéliens ont appris à coexister avec un certain degré d'opposition à l'occupation, voire à en tirer parti pour intensifier l'occupation. Rien de mieux pour détourner l'attention des médias de nouvelles constructions pour les colons qu'une manifestation pacifiste à Tel Aviv et de belles photos des pancartes proclamant «Nous voulons la paix».

  3. Il y a un immense écart entre ce qu'Israël dit - pour la paix - et ce qu'Israël fait - contre la paix. Cette dichotomie culmine quand les Travaillistes sont au pouvoir (le Likoud étant plus honnête en matière d'objectifs coloniaux), mais rien n'empêche Sharon de pratiquer une politique de discours contre l'occupation tout en faisant de son mieux pour la consolider.

  4. En politique israélienne, gagner du temps est un pilier dont Sharon est le fondateur. Oui, dit Israël, nous sommes prêts à démanteler les «avant-postes» «illégaux» et même certaines colonies, mais pas maintenant. Pas avant que le «terrorisme» n'ait cessé pendant sept jours, ou trois mois, ou cinq ans. Pas avant que les Palestiniens ne cessent de nous défier. Pas sans négociations, et pas avant qu'un accord de statut final n'ait été conclu. Pas avant qu'Arafat ne soit parti, et pas avant que la Feuille de route n'ait échoué. Pas avant les élections aux États-Unis, pas avant celles en Israël, et pas avant que les Palestiniens sous occupation n'aient créé une véritable démocratie à l'occidentale. Bien sûr, nous allons mettre fin à l'occupation, mais donnez-nous d'abord quelques années pour l'intensifier.

  5. Il faut être extrêmement naïf ou parfaitement hypocrite pour surestimer l'évolution du discours public israélien. Depuis 1967, Israël a «manqué» chaque occasion de mettre fin à l'occupation - la plus notoire au cours des années du processus d'Oslo, qui ont vu le nombre des colons augmenter de 100%. L'occupation n'est pas plus conduite par les journalistes qu'elle n'est décidée par les électeurs: elle est profondément ancrée dans l'idéologie et les intérêts politico-financiers de l'armée, qui à vrai dire contrôle le pays; elle est appuyée par des pans majeurs des élites dirigeantes et par l'appareil d'État dans son entièreté, du ministère de la Santé à celui de l'Agriculture en passant par ceux de l'Éducation et de la Construction. Le Parlement israélien, où les colons sont fortement sur-représentés, n'est que la pointe de l'iceberg.

Oslo remis sur orbite ?

Ainsi, pour juger si Israël abandonne son attitude traditionnelle de refus, alors qu'il est appuyé plus que jamais par l'administration Bush, il ne faut pas écouter le premier ministre ou ses interprètes autoproclamés: il faut se tourner vers les Territoires occupés eux-mêmes. Et là, aucun signe d'amélioration quelconque n'est perceptible: presque ignorées des médias, les incursions militaires et leur imposant cortège de morts et de blessés palestiniens, les immenses «dommages collatéraux» qu'elles infligent et la destruction incessante des maisons constituent le lot quotidien des Palestiniens.

Nous avons tous entendu parler des quatre Israéliens innocents tués le jeudi 25 décembre près de Tel-Aviv dans un attentat-suicide, la première opération aboutie de ce genre depuis le début du mois d'octobre. Mais qui a entendu parler des quatre Palestiniens innocents tués le même jour à Gaza, en même temps qu'un activiste du Jihad? Ou de l'enfant palestinien de cinq ans - eh oui, c'était l'âge de Mohammed Al-Araj - et du garçon de seize ans tués tous deux près de Naplouse, le dimanche? Ou des dix Palestiniens tué la semaine précédente par les forces israéliennes, et des trente-et-une maisons détruites au passage?

Aujourd'hui, le principal danger qui nous guette est de tomber dans un nouveau piège d'Oslo: se concentrer sur les discours et les accords, les rendez-vous diplomatiques et les séances photogéniques, en ignorant la réalité sur le terrain: la déshumanisation quotidienne des Palestiniens, la destruction systématique de leur société et la construction accélérée du Mur de l'apartheid. Tant que cette politique israélienne ne change pas, il n'y a pas lieu d'être optimiste. Et dix ans après la fraude d'Oslo, il est grand temps de se rappeler que les discours et les textes pourront être oubliés demain, mais que les réalités de terrain sont là pour durer.

Ran HaCohen

Traduit de l'anglais par Marcel-Étienne Dupret

Source Solidarite Palestine

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