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Palestine : le défi démocratique et laïque

Bernard Ravenel
 
La disparition de Yasser Arafat a remis au premier plan tous les problèmes que le mouvement national palestinien a à affronter après 37 ans d’occupation dans des conditions aggravées par les transformations du scénario international : un monde monopolaire dans lequel la guerre préventive « contre le terrorisme » s’est totalement substituée au droit international, avec le recours brutal à la loi du plus fort.

Que deviendront les Palestiniens après Yasser Arafat ? Que deviendra le monde et qu’en sera-t-il de la Palestine qu’Arafat a imposée à la géopolitique de la Planète ? La capacité de réaffirmer la centralité politique des droits des Palestiniens dans la question du Moyen-Orient restera le grand et irréversible acquis politique et moral d’Arafat et de l’OLP.

Quelle transition politique ?

La disparition de Yasser Arafat a remis au premier plan tous les problèmes que le mouvement national palestinien a à affronter après 37 ans d’occupation dans des conditions aggravées par les transformations du scénario international : un monde monopolaire dans lequel la guerre préventive « contre le terrorisme » s’est totalement substituée au droit international, avec le recours brutal à la loi du plus fort.

En même temps, sur le plan intérieur, l’Autorité palestinienne se doit de faire fonctionner sa Loi fondamentale, c’est-à-dire son système institutionnel élaboré et mis en place après les accords d’Oslo. Pour tout le groupe dirigeant palestinien, désormais très majoritairement installé dans les territoires occupés et non plus en exil à travers le monde arabe, l’après-Arafat réouvre le débat vite interrompu au cours des années 90 sur les options stratégiques à prendre, mais sous la pression militaire directe de l’ennemi et sous la pression politique et économique de l’environnement international. Ce qui ne peut que peser lourdement sur le niveau d’autonomie réelle de la prochaine direction politique à un moment où le peuple palestinien - « la société arabe la plus démocratique qui soit » [1] - n’est plus disposé à déléguer ses pouvoirs comme il l’a fait pour Arafat du fait de son « statut spécial ».

Le premier problème à régler est donc celui de la fin de l’ère de l’homme fort qui concentre sur lui tous les pouvoirs. D’où la nécessité d’une sorte de direction collégiale assurée par une véritable articulation des pouvoirs et sur la construction d’un système pluraliste pour établir les fondements d’un régime démocratique moderne capable de s’appuyer sur la société pour réaliser ses devoirs nationaux. Or, cette question se pose à un moment où les blocages du processus de démocratisation du monde arabe, ainsi que les échecs de tous les projets d’intégration économique et politique permettant de dépasser sa balkanisation d’origine coloniale, font que les mouvements de matrice religieuse - l’Islam politique - qui revendiquent une nation islamique ne reconnaissant ni frontières ni Etat, apparaissent comme le seul point de référence pour sortir de la domination militaire et économique américaine.

Le choix de la voie institutionnelle

Le défi est posé immédiatement aux Palestiniens. La répression israélienne, l’accentuation de la nature religieuse de l’Etat d’Israël, l’idéologie biblique qui sous-tend l’occupation et les colonies d’un côté, la fragilité des institutions démocratiques palestiniennes et l’insuffisante transparence de la gestion des finances publiques par l’Autorité palestinienne de l’autre, ont favorisé la croissance du mouvement islamiste qui désormais pourrait représenter entre 25 et 30% de la population.

En tous cas, le choix de l’OLP a été celui du respect intégral du système institutionnel qui permet la possibilité d’une légitimation démocratique rapide à travers l’élection du nouveau leadership c’est-à-dire du nouveau président de l’ANP qui devrait être Abou Mazen. Ce processus électoral doit inclure au plus vite l’élection d’un nouveau Parlement démocratiquement élu pour permettre de dépasser les limites de l’élection présidentielle. En effet, celle-ci risque de produire un pouvoir concentré et apparemment fort mais qui serait inévitablement l’objet d’une pression extrême pour accepter des soi-disant « offres généreuses » du genre de celles de Barak ou pour souscrire des engagements sans les soumettre à l’approbation d’une représentation librement élue.

On mesure alors le rôle de la communauté internationale pour créer les conditions d’élections libres et transparentes, c’est-à-dire pour imposer à Israël le retrait des centres habités et la cessation de l’état de siège permanent des villes. En outre, la libre participation des Palestiniens de Jérusalem et du reste des territoires occupés peut dessiner dans les faits sous le regard du monde entier les frontières des territoires revendiqués pour l’Etat palestinien. Du même coup, au moins sur le plan politique, tomberaient toutes les thèses de Sharon et de la droite israélienne concernant l’avenir de Jérusalem et des territoires que le Mur voudrait inclure dans l’Etat d’Israël.

Mais rien ne garantit que le processus électoral pourra être mené à son terme dans des conditions satisfaisantes. On le mesure déjà avec les entraves mises aux candidats de la gauche, en particulier pour aller à Jérusalem. Si la pression internationale faiblit, on peut tout craindre des provocations israéliennes.

Un enjeu international et idéologique

Au-delà de ces enjeux internes déterminants, la Palestine se retrouve au cœur d’un monde touché par la guerre qui se caractérise toujours plus par le choc entre courants intégristes, juif et chrétien d’un côté, musulman de l’autre.

Le nouveau leadership palestinien devra se positionner sur le choix de la méthode de résistance et de lutte contre l’occupation israélienne pour fuir le piège mortel que l’emploi organisé de la violence produit sur les peuples concernés. Pour les Palestiniens, il devient vital d’enlever à la droite israélienne et à la droite américaine au pouvoir l’alibi qui a été utilisé pour justifier la guerre préventive et permanente. En clair, il lui faut faire, avec le consensus majoritaire de la société, le choix de la non-violence comme forme de lutte pour l’affirmation du droit. Ce choix, celui de la mobilisation pacifique de masse, est défendu par le candidat de la « Nouvelle initiative démocratique », Mustapha Barghouti, très lié au mouvement des ONG, et il est soutenu par des personnalités de grand prestige comme Haider Abd el Shafi. Choix non évident, qu’il peut même apparaître naïf de proposer à un peuple victime continue de la violence armée depuis des décennies mais qui, outre qu’il a été celui de la Première Intifada (1987-1993) apparaît comme le choix susceptible d’enrayer la logique de barbarisation et de mort qu’alimente la guerre permanente et préventive.

Tout cela pose d’immenses problèmes, à commencer par l’avenir politique qui doit être permis au mouvement islamiste palestinien (Hamas et Djihad). L’enjeu pour le pouvoir palestinien est d’assurer une citoyenneté démocratique pleine à une culture religieuse islamique et aux organisations qui l’incarnent dans la société pour qu’elles jouent leur rôle dans les règles d’un Etat démocratique et laïque. En Terre sainte, la question religieuse reste politiquement incontournable et la façon de la régler renvoie au rêve lointain des années 60 de construire en Palestine un Etat démocratique sans discriminations ethniques et religieuses. Aujourd’hui, la construction de deux Etats, Israël et Palestine, démocratiques et sans discriminations ethniques et religieuses, pourrait être la réponse au très actuel conflit entre religions et cultures voulu par les droites politiques.

On mesure à travers tous ces problèmes auxquels le peuple palestinien est confronté, combien la Palestine se trouve, sans en avoir été forcément à l’origine, au centre d’un conflit qui incendie une grande partie du monde et auquel la société française est de moins en moins insensible. La réponse palestinienne à tous ces défis aura nécessairement une signification régionale et mondiale d’une immense portée. Mais qui aidera les Palestiniens à faire ces choix décisifs pour l’avenir ?

[1] Ami Ayalon, ancien chef du Shin Bet - Le Monde 11.11.2004

Article publié dans le numero de janvier 2005 du mensuel Confluences (Forum de la gauche citoyenne- FGC)

 

Source : France Palestine
http://www.france-palestine.org/article918.html

 

Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62,  parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue."

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