AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   



Enfants de Palestine : Une génération d’espoir et de désespoir

Par Samah Jabr

The Washington Report on Middle East Affairs Octobre 2004

Traduit de l’anglais par Eric Colonna

Samah Jabr est palestinienne et réside à Jérusalem occupée. Médecin, elle a suivi une formation en psychiatrie dans la région parisienne. Elle est chroniqueuse pour le Palestine Report en 1999-2000, sa rubrique s’intitulait " Fingerprints " ("Empreintes digitales"). Depuis le début de l’Intifada, elle contribue régulièrement au Washington Report on Middle East Affairs et au Palestine Times of London. Lauréate du Media Monitor’s Network pour sa contribution sur l’Intifada, un certain nombre de ses articles ont été publiés dans le International Herald Tribune, le Philadelphia Inquirer, Haaretz, Australian Options, The New Internationalists et autres publications internationales. Elle a donné plusieurs séries de conférences à l’étranger pour faire partager la vision palestinienne de ce conflit dont l’Université Fordham et au St. Peter’s College à New York, à Helsinki et dans plusieurs universités, mosquées et églises en Afrique du Sud.

Plus de la moitié de la population palestinienne –53 %- a moins de 17 ans. Par conséquent, cette majorité constituante de notre communauté est très vulnérable dans la situation actuelle.

Alors qu’ils sont dans une phase cruciale de développement mental et physique, les enfants sont aussi une cible directe des violences de l’armée israélienne. De plus, en tant que 4 ème génération du trauma palestinien, ils sont les porteurs du lourd héritage accumulé de perte nationale. Alors rien d’étonnant à ce que la crise actuelle vieille de 4 ans provoque de graves problèmes au quotidien et dans le futur de ces enfants.

A l’exception des récentes couvertures médiatiques rapportant les dernières atrocités israéliennes à Gaza où furent tués 35 enfants, plus de la moitié des victimes, le parcours des enfants palestiniens est inconnu du grand public qui suit notre crise à la TV. Les reportages salissent la réputation, le caractère, la culture et même les principes religieux de nos enfants ou les traitent comme de simples statistiques. Leur réalité quotidienne est invisible des reportages internationaux.

Au contraire, les médias décrivent des enfants privés d’affection pas leurs familles, qui les poussent sur le mauvais chemin à des fins politiques ou les utilisent à des fins économiques. La fertilité palestinienne est traitée comme une épidémie ; notre culture est associée à la violence et à la haine. Bien que ce ne soit pas nous qui sommes producteurs de films d ‘horreur et de wargames dans le monde, alors que le conflit s’infiltre dans tous les aspects de la vie de nos enfants, alors que nos gamins deviennent plus accoutumés au bruit des bombardements qu’à celui du chant des oiseaux, alors que la violence pénètre dans nos foyers, nos écoles et nos espaces publics, il n’est pas surprenant qu’ils inventent leur jeux à partir d’une telle réalité. Les soldats contre les enfants de l’intifada est le jeu le pratiqué dans la plupart des maisons palestiniennes.

Que 20% du nombre de victimes de l’intifada soient des enfants pratiquant des activités journalières usuelles, comme aller à l’école, jouer, faire des courses ou simplement rester à la maison , démontre qu’Israël cible délibérément les enfants. Ils sont tués et blessés dans des attaques aériennes et terrestres, causées par des tirs aveugles de soldats ou abattus froidement par des snipers. En effet, parmi ceux qui sont blessés, 45% le sont dans les parties supérieures du corps –tête, cou ou poitrine – alors que d’autres subissent des blessures dans le dos, aux yeux et aux genoux ce qui les handicapent à vie sans augmenter la liste des tués.

De récentes études internationales ont conclu que 40% des enfants vivant en Cisjordanie et Gaza sont anémiques, tandis que 23% souffrent de malnutrition chronique ou aiguë . Ce qui les prédispose à contracter des maladies potentiellement mortelles, affecte leur intelligence et augmente largement le taux de désordre excessif de l’attention. Des femmes qui ont été mal nourries dans leur jeunesse ont fait augmenter le taux de naissances prématurées et d’hypertension dans la grossesse.

Le mur en cours de construction et le siège constant de nos villes et villages affectent la scolarité de nos enfants. Un taux d’abandon significatif est en corrélation avec les mesures oppressives israéliennes. Non seulement des étudiants ont été tués, blessés et arrêtés par les forces d’occupation mais celles ci ont bombardé et attaqué des centaines d’écoles, en ont fermé plusieurs, les transformant en bases militaires et ont entravé l’enseignement de beaucoup d’autres. Enfants et professeurs sur le chemin de l’école sont régulièrement soumis aux gaz lacrymogènes, harcelés ou présents quand les soldats ouvrent le feu. Tout ceci, inutile de le dire, perturbe la qualité de l’enseignement et la capacité de l’enfant à bien suivre une fois en classe. Une situation difficile aggravée par d’autres facteurs supplémentaires tel un environnement familial de plus en plus stressant et des raids militaires dans les quartiers résidentiels. Nos enfants subissent aussi un taux de pauvreté croissant. Un taux vertigineux de 66,5% de Palestiniens vivent en dessous du seuil de pauvreté. Le chômage a augmenté de plus de 65% parmi la population active. Par conséquent, un grand nombre d’enfant sont forcés d’endosser un rôle d’adulte et travailler afin d’aider leurs familles à survivre. Environ 2,3% d’enfants palestiniens entre 10 et 17 ans travaillent. On entend des histoires poignantes d’enfants abandonnant l’école à cause des circonstances économiques difficiles qui les obligent à se faufiler entre montagnes et vallées pour atteindre Jérusalem où ils peuvent vendre cigarettes et bouteilles d’eau sur les carrefours pour des petits gains.

Nos enfants figurent aussi parmi ceux qui souffrent dans les prisons israéliennes. Actuellement, Israël en détient 370, y compris quelques jeunes de 11 ans, dans ses centres et ses prisons ; 209 enfants supplémentaires ont eu 18 ans durant leur emprisonnement. Des témoignages d’enfants prisonniers et confirmés par des organisations locales et internationales de droits de l’homme (1), indiquent qu’au moment de l’arrestation et jusqu’à leur incarcération, ils subissent systématiquement toute une panoplie d’abus physiques et psychologiques allant jusqu’à la torture. De telles pratiques incluent être battu, maintenu dans des positions inconfortables durant des périodes indéfinies, être privé de nourriture et de sommeil, être menacé et humilié. Les visites des familles et des avocats sont constamment entravées ou refusées.

La soumission des enfants palestiniens aux meurtres, tortures et déportations est flagrante et touche chaque aspect de leur vie. Ces violations constantes de la Convention des droits des enfants de 1989 et de Genève de 1949 ont soulevé les inquiétudes de chercheurs, d’universitaires ainsi que d’institutions gouvernementales et non gouvernementales, tout particulièrement concernant la santé mentale des enfants.

Quelques études laissent penser qu’un trauma psychologique aurait affecté plus de 68% des enfants palestiniens, altérant un développement psychologique, mental et social, équilibré. En tant que médecin spécialisée en psychiatrie et lorsque j’exerçais ma profession en Palestine, j’ai rédigé les notes suivantes basées sur mes impressions et mes observations limitées.

Beaucoup d’enfants amenés en pédiatrie et psychiatrie, souffraient de symptômes consécutifs à leur participation directe aux affrontements ou en tant que témoins. Ils présentaient des symptômes liés à la dépression tels que sentiments de tristesse, de solitude et de désespoir et physiques liés à une perte d’appétit. D’autres montraient des signes d’anxiété, tel le sentiment d’être malade et inquiet ou ressentir des douleurs sur tout le corps juste en pensant à des choses négatives et effrayantes. Quelques uns se plaignaient d’insomnie, de faire des cauchemars et de mauvais rêves, de développer une peur de l’obscurité ou se réveiller fréquemment durant la nuit. Des problèmes cognitifs se manifestaient à travers des résultats scolaires insuffisants, en lecture, en écriture, ou par des difficultés de concentration et de mémoire. Des symptômes d’agression se signalaient par une hostilité incontrôlée, un comportement destructeur et par des querelles et affrontements avec des adultes et des pairs.

Cependant, malgré les circonstances pénibles de leur existence, les enfants palestiniens font preuve de caractère. Comme par exemple la participation des étudiants au nettoyage des décombres après la destruction de la maison d’un ami, des visites à un collègue blessé, des prises de rôles actifs dans des manifestations pacifiques et des cours d’éducation alternative alors qu’ils continuent à se rendre à l’école en dépit de tous les obstacles.

Un sondage a montré que 85% des enfants sondés pensent que la situation politique ne va pas s’améliorer, 90% ont répondu que pour se sortir de la situation actuelle et se préparer au futur, ils ne comptent que sur eux mêmes. Bien que la souffrance de nos enfants continuera aussi longtemps qu’Israël occupe notre pays, en attendant, il est essentiel que nous fassions tout ce qui est en notre pouvoir pour leur apporter les conditions nécessaires à un développement sain, telle que stabilité, sécurité, détente et nourriture équilibrée. Au lieu de cela, ce qu’il faudrait pour répondre à ce vide, est une reconnaissance publique et des efforts collectifs pour les protéger des dangers qui les entourent.

Cela peut être fait à deux niveaux :

Premièrement, en brisant leur isolement par un développement de " l’adoption " et des programmes d’amitié avec des personnes à l’étranger, y compris des Palestiniens de la Diaspora et des gens sensibilisés de la communauté internationale. Cela apportera une aide morale et intellectuelle à nos enfants mais aussi cela leur permettra de savoir qu’il y a des gens vivant à l’extérieur d’Israël qui pensent à eux et qui leur offre de l’amour. Cela leur permettra aussi de mieux communiquer entre eux à travers les arts, les langues et les technologies modernes.

Les enfants palestiniens qui vivent sous occupation devraient, eux aussi, être poussés à agir. Durant la première intifada, ceux qui ont participé de façon active à la résistance contre les soldats israéliens ont développé moins de symptômes que ceux qui sont restés passifs. Leur capacité de survie étaient plus importantes que ceux qui dégageaient un sentiment d’impuissance et restaient confinés chez eux.

Au niveau de la société, les Palestiniens ont besoin d’être soudés, surtout après la mort de leurs leaders. Ils disposent déjà de solides structures sociales et d’une solidarité familiale. Malgré toute la pauvreté, les gens ne cherchent pas leur nourriture dans des décharges. Malgré les centaines de maisons détruites, personne ne dort dehors. Depuis que l’on a constaté , durant la première intifada, que les enfants qui avaient eu des expériences de grande complicité avec leurs parents avaient moins de symptômes, un système d’assistance efficace pourrait avoir un effet positif sur toute la société.

Un engagement pour une cause et une compréhension du fil des évènements peut être un moteur important à la ténacité d’un peuple, des gens dotés de conscience politique pourront mieux appréhender les temps difficiles. Alors comment ne pas penser qu’Israël s’en prend délibérément aux enfants palestiniens afin d’en faire une génération traumatisée, passive, perdue et incapable d’esprit de résistance. Ce n’est pas un secret, après tout, qu’un trauma psychologique n’est pas une crise temporaire mais un phénomène avec des effets à long terme qui deviendra plus préoccupant que des séquelles de blessures physiques. Clairement, cela prendra de nombreuses années pour atténuer les dommages infligés à cette génération. Pourtant, et même plus que jamais, nos enfants représentent notre espoir.

Samah Jabr

Source : 

 

Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62,  parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue."

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