AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   



"MUR"
 
Synopsis
Un film de Simone Bitton - France / Israël - 2004 - 100 mn - Couleur - 1,85 - Dolby SR

L'histoire.

«Nous aimons tellement cette terre que nous l'emprisonnons»

                  MUR est une méditation cinématographique personnelle sur le conflit
israélo-palestinien, proposée par une réalisatrice qui brouille les pistes de la haine en
affirmant sa double culture juive et arabe.
                  Dans une approche documentaire originale, le film longe le tracé de séparation
qui éventre l'un des paysages les plus chargés d'histoire du monde, emprisonnant les uns et
enfermant les autres. Sur le chantier aberrant du mur, les mots du quotidien et les chants du
sacré, en hébreu et en arabe, résistent aux discours de la guerre et se fraient un chemin dans
le fracas des foreuses et des bulldozers.

                  Toute la beauté de cette terre et l'humanité de ses habitants sont off ertes
au spectateur comme un dernier cadeau, juste avant de disparaître derrière le MUR.


                  Entretien avec Simone Bitton

                  Dans le film, on vous entend parler en hébreu et en arabe. Quelles sont vos
origines ? Où avez vous vécu, et où vivez-vous actuellement ?

                  Je suis née au Maroc, dans une famille juive traditionnelle. J'allais à
l'école française, mes parents parlaient l'arabe entre eux et le français avec leurs enfants.
Lorsque nous nous sommes installés à Jérusalem en 1966, j'ai très vite appris l'hébreu mais j'ai
continué à lire en français et à chanter en arabe. J'étais soldate en Israël pendant la guerre
de 73 : j'ai vu la mort et cela m'a rendue pacifiste pour la vie. A 20 ans, j'ai parcouru
l'Europe en stop comme une hippie, puis je me suis installée à Paris, j'ai commencé à voir des
films et j'ai eu la chance d'être admise au concours de l'IDHEC. Depuis, je vis entre Paris et
Jérusalem et je retourne au Maroc le plus souvent possible. J'ai trois pays et trois cultures.
J'ai toujours considéré cela comme une richesse et comme un privilège très rare dans un monde où des millions de personnes sont apatrides.

                  A Jérusalem, vous vivez plutôt côté israélien ou côté palestinien ?

                  Cela dépend des jours et des films. Disons que je suis une grande spécialiste
du passage de check-points, dans les deux sens. C'est tout un art.


                  Après avoir réalisé de nombreux documentaires pour la télévision, pourquoi
avez-vous choisi de vous adresser à l'avance sur recette et à un producteur de cinéma ?

                  Dès l'instant où j'en ai conçu l'idée, il était évident pour moi que MUR
serait un film de cinéma. C'est un film où l'espace est essentiel, où le ciel, la terre, les
paysages sont des personnages à part entière. Pour visualiser la défiguration de l'espace par le
mur, je voulais des plans très larges avec une vraie ligne d'horizon. Si j'avais pu tourner en
cinémascope, je l'aurais fait ! Bien sûr, nous avons dû tourner en vidéo légère à cause des
difficultés de déplacement sur le terrain, mais le film est soigneusement kinescopé en format
1,85 - et le résultat est assez impressionnant. Et puis, je voulais faire un film qui donne le
temps de voir, et cela est de moins en moins admis à la télévision.

                  Je voulais des plans-séquences, des travellings assez longs pour être perçus
comme tels, des sons plutôt que de la parole et des silences dans la parole - toutes ces choses
qui font le cinéma en général et dont la télévision ne veut presque plus. J'avais un grand désir
de cinéma et je suis heureuse que MUR sorte en salles, mais j'espère qu'il passera aussi bientôt
à la télévision. Je suis toujours émue les soirs où mon travail est à l'antenne : je regarde les
fenêtres, je vois la petite lumière de l'écran allumé derrière les rideaux et j'ai le sentiment
que je suis arrivée à bon port, chez les gens, dans leur vie. C'est un grand honneur, au moins
aussi grand qu'une sélection au Festival de Cannes.


                  Comment vous-est venue l'idée de faire un film sur le mur ?

                  En regardant la télévision ! Un soir de l'été 2002, j'ai vu les premières
images du mur au journal télévisé. Le ministre israélien de la défense disait que la clôture de
fer et de béton dont il venait d'inaugurer le premier tronçon, serait la panacée aux problèmes
de sécurité du pays. Cette parole et ces images étaient tellement étranges et inquiétantes que
je me suis dit : «Ca y est, ils sont devenus fous». Cette nuit-là, je n'ai pas réussi à dormir.
L'idée même de ce mur entre Israéliens et Palestiniens me déchirait physiquement. Au cours des
semaines suivantes, une grande détresse s'est emparée de moi. J'ai eu le sentiment qu'on allait
me couper en deux et nier tout ce que je suis : une Juive arabe dont la vie entière est un lieu
de dialogue permanent. Ce mur, je sentais bien qu'il serait infranchissable pour les gens de
bonne volonté de mon espèce, tout en faisant naître des centaines de nouvelles vocations
kamikazes.


                  Un film pour exorciser votre détresse ?

                  Pas seulement. C'est aussi un acte de résistance. Même si c'est une bataille
du pot de terre contre le pot de fer. Comme le dit l'un des personnages du film : «Les gens
désespérés se taisent, mais moi je ne suis pas désespéré, je me bats». Je pense comme lui.
Lorsque je serai vraiment désespérée - ce qui n'est pas à exclure vu la tournure que prennent
les choses - je ne ferai plus de films au Moyen-Orient.

                  Comment avez-vous préparé le film ? On sent qu'il est fait dans l'urgence, que
la plupart des rencontres y sont fortuites et spontanées, mais en même temps il est très écrit,
les cadres sont précis, les sons très travaillés.

                  Je suis désordonnée et impulsive dans la vie mais très calme et patiente dans
le travail. J'aime la technique et le côté artisanal du cinéma. A partir de janvier 2003, j'ai
beaucoup repéré. A l'époque il y avait peu d'information, des bouts de mur et de tranchées
surgissaient par ci par là. Je me renseignais, j'allais voir, je filmais avec ma petite caméra,
je prenais des notes. Au printemps, j'ai loué la dépendance d'une église à Jérusalem avec un
citronnier dans le jardin. C'est devenu le quartier général du film. J'ai accroché au mur une
grande carte du pays et j'y mettais des lignes du tracé, comme un général qui prépare sa
bataille. Mes deux assistantes sont un peu comme moi : elles parlent les langues de la région,
elles en connaissent les codes et les nuances.

                  Mais Jacques Bouquin - le chef opérateur - et Jean-Claude Brisson -
l'ingénieur du son - n'avaient jamais tourné en Palestine. Je tenais à cette virginité, qui m'a
beaucoup aidée à faire le tri entre les choses que je serais peut-être la seule à ressentir et
celles qui avaient une portée tellement universelle qu'elle leur sauterait aux yeux et aux
oreilles. Au mois de juin, nous sommes donc partis en camion à l'assautdu mur, une équipe plus
toute jeune, avec le désir de prendre notre temps pour faire un film documentaire comme nous les
aimons : filmer le réel, mais aussi oser le décrypter, l'interpréter par un regard particulier.
Mes techniciens ont mis tout leur coeur dans le film, ils m'ont donné tout leur talent qui est
immense, et je crois que cela se voit et s'entend.

                  Le mur est présent quasiment dans tous les plans du film, on se dit que c'est
lui le personnage central.

                  Je montre le mur sous toutes les coutures et dans toutes ses formes : muraille
de béton, barrière électronique, tranchée, rangs de barbelés. Il est dans tous les plans pour
que tout le film soit vu et entendu dans le cadre de cette obsession de séparation et
d'enfermement. Les voix, la mienne et celles des personnages sont souvent en off, mais ce ne
sont pas des voix de commentaire ou d'explication, ce sont des voix humaines qui tentent de se
faire entendre dans le fracas des bulldozers.

                  En fait, le dispositif est très simple : je longe le chantier du mur et les
gens me parlent. Souvent, on ne les voit pas, parce qu'ils se tiennent derrière la caméra, comme
nous. Ils regardent le mur pendant que nous le filmons et ils sont effarés, comme nous. Ce sont
des ouvriers en train de construire le mur, des gens qui habitent là, des gens qui essaient de
passer et qui ne peuvent pas... Le mur a une telle présence, il est tellement énorme, tellement
malsain, qu'on ne peut que ressentir, en le voyant, qu'il est le symptôme d'une grave maladie.

                  On ne sait pas toujours de quel côté du mur se trouve la caméra, ni dans
quelle région du pays. La géographie du lieu, et donc du conflit, est comme occultée.

                  C'est vrai et c'est voulu. J'ai fait venir quelques personnes au montage pour
tester ce que j'étais en train de faire. Certains m'ont conseillé d'ajouter une carte, ou
quelques intertitres pour situer les lieux. On m'a même suggéré d'utiliser des lettres de
couleurs différentes dans les sous-titres, selon la langue des dialogues. Mais si j'avais fait
cela, le film n'existait plus. Que ce soit dans la vie ou dans mon film, rien ne me touche plus
que de prendre un Juif pour un Arabe, et vice-versa.

                  Les Israéliens et les Palestiniens se ressemblent, comme finissent toujours
par se ressembler geôliers et prisonniers. Pour moi, ce pays est un seul pays, un tout petit
pays peuplé à la fois de Juifs et d'Arabes. Je m'identifie à lui parce que moi aussi je suis
juive et arabe à la fois. Le judaïsme fait partie de l'histoire de ce pays, mais il faudra bien
aussi qu'un jour les Israéliens acceptent d'être un peu arabes. Ce jour là les murs tomberont.

                  Il n'y a qu'une seule interview «posée» dans le film, c'est celle d'un officiel israélien.

                  C'est le général Amos Yaron, directeur de cabinet du ministère de la défense.
Un proche d'Ariel Sharon qui a d'ailleurs été mis en cause avec son patron après les massacres
de Sabra et Shatila en 1982. Le mur est construit par son ministère, il en est le principal
responsable : d'un coup de crayon sur une carte, il peut voler des champs, arracher des
oliviers, fermer la seule route d'accès à un village. Et il ne se prive pas de le faire. Depuis
deux ans, on pourrait même dire qu'il ne fait que cela.

                  Comment se fait-il qu'il vous ait accordé cette longue interview, où il n'apparaît pas vraiment à son avantage, entouré de deux drapeaux, tellement sûr de son bon droit ?

                  Il ne voit pas les choses comme vous et moi. Il s'est mis en scène, sa
porte-parole a installé les drapeaux et vérifié le cadre, les questions lui ont été transmises
d'avance et cela fait partie de son travail que de vendre sa salade aux médias. Sa parole n'est
pas manipulée, il est en plan séquence et en longueur. Je ne lui ai posé que des questions
techniques. Il fait partie du mur. Il est aussi infranchissable que lui.

                  Donnez nous une raison d'espérer.

                  Nommer la folie participe déjà de la thérapie. L'espoir réside dans l'humanité
des gens, dans les paroles de cet Israélien qui dit qu'il est prêt à réunir tous les dirigeants
de la région chez lui et à leur donner sa maison pour la paix, dans la dignité des Palestiniens
sur les check-points, dans le rire du psychiatre qui me dit que je ne suis pas folle et que
c'est moi qui ai raison de refuser le mur. Mais je ne veux pas vendre de l'illusion facile. Nous
avons trop souffert du show-biz de la paix, toutes ces poignées de mains pendant que les peuples
continuent de mourir. Depuis 20 ans que je parcours la Palestine et Israël de long en large, je
n'avais jamais vu une telle cruauté, une telle démence.

                  Le mur n'est pas seulement une souffrance symbolique infligée à ceux qui
veulent la paix, un crime contre l'un des paysages les plus beaux et les plus chargés d'histoire
du monde. Pour les Palestiniens, c'est aussi et surtout une machine de spoliation et
d'expropriation. Quant aux Israéliens, c'est terrible de voir comment ce peuple, le mien, qui a
traversé les mers pour fuir les ghettos, s'emprisonne aujourd'hui lui-même de son plein gré.
                  L'un des personnages le dit très bien : «Nous aimons tellement cette terre que
nous l'emprisonnons».
                  Un autre dit que la terre sainte est aujourd'hui livrée au Diable, et c'est
exactement mon sentiment, bien que je ne croie ni en Dieu ni au Diable.

                  PARIS, AVRIL 2004

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