AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   


Uri Avnery :
Qui a besoin d'une copie ?

3 janvier 2004

Le croiriez-vous? Le parti travailliste a un programme politique.

Il paraît que ce programme est dans l'air depuis déjà deux mois. Je n'en avais même pas entendu parler jusqu'à ce que quelqu'un ait pitié de moi et m'en faxe une copie l'autre jour.

Il s'agit du parti travailliste qui envisage maintenant de prolonger d'un an ou deux le mandat de Shimon Peres comme président du parti. Shimon Peres qui a été ministre des Affaires étrangères de Sharon et qui aspire à revenir dans le gouvernement de Sharon.

Alors, qu'a donc à offrir ce parti? Que des bonnes choses.

Le programme commence ainsi: «L'activité de colonisation et la responsabilité sur le peuple palestinien portent préjudice à la sécurité de l'État et de ses citoyens. La balance démographique entre la mer Méditerranée et le Jourdain met en danger l'existence d'Israël en tant qu'État juif démocratique. Par conséquent, la séparation politique et démographique entre les deux entités nationales est le fondement de toute solution.»

Que manque-t-il dans ce paragraphe? Au moins un mot concernant la moralité et la justice. Moralité et justice se vendent mal, et les gens prudents devraient s'en tenir à l'écart. Il n'y a aucun mot sur les iniquités de l'occupation. Les iniquités ne se vendent pas non plus. Tout bon rédacteur vous dira qu'un programme ne devrait faire ressortir que le mauvais état de la situation des Juifs. Les femmes palestiniennes font trop d'enfants.

Alors, quelle est la solution? La séparation. Comme le travailliste Ehoud Barak avait l'habitude de le dire: «Nous sommes ici et ils devraient être là.» Pas de vie ensemble dans deux États amis. Pas de réconciliation. Bien sûr, pas de frontières ouvertes. Même pas comme perspective d'avenir. Seulement la séparation. Ehoud Barak reste le vrai philosophe du parti.

«La paix entre Israël et l'État palestinien ne se fera que par la négociation politique. Néanmoins, aussi longtemps que les actions terroristes contre Israël continueront, Israël utilisera sans relâche et sans conditions tous les moyens...»

C'est la quintessence du refrain de Sharon. La racine de tout le mal n'est pas l'occupation, mais la résistance à l'occupation. Aussi longtemps qu'il y a résistance, appelée «terreur», il faut intensifier l'oppression. Aussi longtemps qu'il y a terreur, il n'y a pas lieu de négocier.
À ce propos, j'attire votre attention sur le mot «néanmoins». Il est tellement commode. Nous désirons la paix avec ferveur, «néanmoins» nous faisons le contraire.

Le parti travailliste a-t-il des «Principes pour un accord de paix»? Tu parles!

Le premier est «arrêt du combat et du terrorisme sous ses différentes formes». Pas la fin de l'occupation, Dieu nous en garde. Cela peut attendre. Avant tout, le terrorisme doit cesser. Du pur Sharon.

«La frontière sûre et reconnue entre Israël et l'État palestinien sera fixée sur la base des frontières du 4 juin 1967». Excellent. Mais voyons la suite: «et comprendra des changements découlant des besoins de sécurité et de la mise sous souveraineté israélienne de blocs de colonies juives, sur la base du principe de l'échange de territoires entre les deux États.»

Donc, pas vraiment la Ligne Verte de 1967. Il y a des «besoins de sécurité» qui, naturellement, seront décidés par le gouvernement d'Israël. Quels besoins? L'agrandissement en surface de l'État? L'annexion de la vallée du Jourdain? L'absorption d'autres territoires? Et, concernant «les blocs de colonies juives» - ici nous avons la légitimation des colonies - de Kedoumim au centre de la Cisjordanie septentrionale (fondée par Shimon Peres) jusqu'à Kiryat Arba au sud (fondée par le travailliste Yigal Allon)?

«Le Grand Jérusalem sera la capitale d'Israël.» C'est sans ambiguïté. «Grand Jérusalem» est un terme connu. Il comprend l'ensemble de la Jérusalem-Est arabe. Mais les acrobaties verbales des rédacteurs du parti travailliste franchissent facilement cet obstacle: «L'accord concernant Jérusalem-Est sera basé sur le principe: ce qui est juif aux Juifs, ce qui est arabe aux Arabes.» Ainsi les quartiers arabes de Jérusalem-Est seront en même temps la «capitale d'Israël» et appartiendront «aux Arabes». Est-ce clair? Clair comme de l'encre!

«Il n'y aura pas de retour de réfugiés palestiniens dans les territoires de l'État d'Israël.» C'est la phrase la plus explicite de tout le document, et c'est également la seule référence à quatre millions de Palestiniens. Ils ne comptent pas. On ne doit rien leur proposer. Pas de solution, sans même parler d'une excuse ou d'une reconnaissance verbale. Nous ferons la paix avec la moitié du peuple palestinien, et que l'autre aille au diable! Mais les dirigeants du peuple palestinien devront confirmer que ce sera la «fin du conflit», comme indiqué dans le paragraphe qui suit. Même Ehoud Barak ne pourrait mieux l'exprimer.

«Des accords spéciaux de sécurité sauvegarderont les intérêts sécuritaires de l'État d'Israël.» Bien sûr. Les Palestiniens n'ont pas d'intérêts sécuritaires. Et s'ils en ont, qu'est-ce qu'on en a à faire?

Et, le plus important: «Les Palestiniens reconnaîtront Israël comme l'État du peuple juif.» Ce qui veut dire: les Palestiniens doivent confirmer que l'État d'Israël appartient à un Juif à Brooklyn et aux Falachas d'Éthiopie, qui prétendent être juifs. Mais Israël ne confirmera même pas que l'État de Palestine appartient aux réfugiés de Sabra et Chatila.

Tels sont les principes pour la paix. Qu'en est-il des «mesures unilatérales» de Sharon? Ne vous en faites pas, elles ont aussi leur place légitime dans le programme du parti travailliste.
Dans la Bande de Gaza, par exemple. «La barrière de sécurité sera améliorée et perfectionnée.» Israël continuera de «contrôler l'air et la mer». C'est dire que Gaza restera une grande prison.

Mais ce n'est pas tout: «La bande de sécurité entre la Bande de Gaza et l'Égypte sera élargie et renforcée.» Ce qui veut dire que de nouveaux quartiers à Rafah seront détruits afin de couper tout contact entre la Bande de Gaza et le reste du monde.

«Après que le terrorisme à Gaza et provenant de Gaza aura pris fin», beaucoup de bonnes choses interviendront. Voilà le déroulement des événements: la première étape ne sera pas l'évacuation des colonies, conduisant à la fin des attaques, mais le contraire: d'abord toutes les attaques doivent cesser, et seulement alors les colonies seront évacuées. Et les Palestiniens vont croire cela!

Que reste-t-il? La barrière, bien sûr. À l'origine, l'idée en a été conçue par les dirigeants travaillistes. Plus tard, Sharon l'a transformée en un monstre qui dévore tout. Qu'est-ce que le parti travailliste a à en dire maintenant?

«Une barrière de sécurité continue sera construite sans délai le long de la Ligne Verte. La barrière de sécurité comprendra les villages israéliens qui sont à proximité étroite de la Ligne Verte.»

Villages israéliens? Cela veut dire des colonies construites sur des terres palestiniennes. Et que veut dire «proximité étroite»? Un mile? Dix miles? La colonie Alfei-Menashe? Elkana? Le bloc Etzion? Efrat? Maale Adoumim? Ariel? Kedoumim? Quelle différence entre cela et la barrière-serpent entortillé de Sharon?

Mais il n'y a pas à s'inquiéter. Pendant ce temps, «des mesures significatives pour améliorer les conditions de vie des habitants seront prises». Comme dans tous les discours de Sharon.

Une seule question demeure: qui convaincra-t-on de voter pour un tel programme? Pas les gens du camp de la paix. Ni les électeurs du «centre» qui n'existe qu'en imagination. Tous ceux qui cherchent des subterfuges verbaux pour déguiser la poursuite de l'occupation se retrouveront avec Sharon. Alors qui a besoin de Peres? Pourquoi choisir la copie si vous pouvez avoir l'original?

[ Traduit de l'anglais - RM/SW ]
Solidarité Palestine

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