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Uri Avnery


Le Roi George
 
En fait, les Etats-Unis sont une colonie israélienne et Israël est une colonie américaine. Les relations entre les deux pays sont une symbiose

Quand le roi George V est mort, nous avons eu un jour de congé scolaire en signe de deuil. La Palestine était alors une partie de l’Empire britannique, qui dirigeait le pays sous mandat de la Société des Nations. Depuis ce jour-là, une rue au centre de Tel-Aviv, non loin de chez moi, porte le nom du Roi George. A George V a succédé (après un bref interlude) George VI, qui était jusqu’à récemment le dernier George dans notre vie. Maintenant nous avons un nouveau roi George, pas britannique mais américain.

Les relations entre les Etats-Unis et Israël sont difficiles à définir. Les Etats-Unis n’ont pas de mandat officiel sur notre pays. Ce n’est pas une alliance normale entre deux nations. Ni une relation entre un Etat satellite et le pays dominant.

Des gens disent, pour rire mais seulement à moitié, que les Etats-Unis sont une colonie israélienne. Et franchement, sous certains aspects, ça y ressemble. Le Président Bush danse sur la musique d’Ariel Sharon. Les deux composantes du Congrès sont totalement soumises à la droite israélienne - plus encore que la Knesset. On a dit que si le lobby pro-israélien présentait une résolution au Capitole appelant à l’abolition des dix commandements, les deux Chambres du Congrès l’adopteraient à une écrasante majorité. Chaque année, le Congrès confirme le paiement d’une contribution énorme à Israël.

Mais d’autres affirment le contraire : qu’Israël est une colonie américaine, et, bien sûr, cela est également vrai sous de nombreux aspects. Il est difficile pour le gouvernement israélien de refuser une demande précise du Président des Etats-Unis. L’Amérique défend à Israël de vendre à la Chine un avion-espion très cher ? Israël interrompt la vente. L’Amérique interdit une action militaire à grande échelle, comme c’est arrivé la semaine dernière à Gaza ? Pas d’action. L’Amérique veut que l’économie israélienne soit menée conformément aux préceptes américains ? Aucun problème : un Américain (circoncis pour plus de sûreté) vient d’être nommé gouverneur de la Banque centrale d’Israël.

En fait, les deux versions sont vraies : les Etats-Unis sont une colonie israélienne et Israël est une colonie américaine. Les relations entre les deux pays sont une symbiose, un terme défini par le dictionnaire d’Oxford comme « une association de deux organismes vivant attachés l’un à l’autre ou l’un dans l’autre » (des mots grecs qui veulent dire « vivre » et « ensemble »).

Beaucoup a déjà été dit sur les origines de cette symbiose. Le sionisme chrétien américain a précédé la fondation de l’organisation juive sioniste. Le mythe américain est presque identique au mythe sioniste israélien, à la fois dans son contenu et dans son symbolisme. (Les colons fuyant la persécution dans leur patrie, un pays vide, des pionniers conquérant des espaces vierges, des indigènes sauvages, etc.). Les deux pays sont des pays d’immigration, avec tout ce que cela implique de bon ou de mauvais. Les deux gouvernements croient que leurs intérêts coïncident. Le Jour de l’Indépendance en Israël, on peut voir de nombreux drapeaux américains à côté des drapeaux israéliens - un phénomène sans équivalent dans le monde.

La prestation de serment de George Bush la semaine dernière a donc pris une signification spéciale pour Israël. La chaîne de télévision contrôlée par l’Etat a diffusé la cérémonie en direct. Sous de nombreux aspects, le Président des Etats-Unis est également le roi d’Israël.

George Bush est une personne très simple, très violente et avec des points de vue extrêmes, en même temps que très ignare. C’est un mélange très dangereux. De tels gens ont provoqué de nombreuses catastrophes dans l’histoire humaine. Maximilien Robespierre, le révolutionnaire français qui a inventé le règne de la terreur, a été appelé « le Grand Simplificateur » à cause de la terrible simplicité de ses conceptions, qu’il essayait d’imposer par la guillotine.

Les idéologues qui gouvernent les pensées et les actions de Bush sont appelés « néo-conservateurs » mais c’est une appellation erronée. En fait, ils forment un groupe révolutionnaire. Leur but n’est pas de conserver mais de renverser. Principalement juifs, ce sont les élèves de Leo Strauss, un professeur juif allemand, avec un passé trotskyste, qui a fini par développer des théories semi-fascistes qu’il propage à l’Université de Chicago. Il a illustré son attitude à l’égard de la démocratie en citant l’histoire de Gulliver : quand un incendie se déclare dans la cité des nains, il éteint le feu en urinant sur eux. C’est la façon d’après lui dont les petits groupes d’élites doivent traiter les gens ignorants et innocents qui ne savent pas ce qui est bon pour eux.

Dans son discours du couronnement, Bush a promis d’apporter la liberté et la démocratie dans tous les coins du monde. Ni plus ni moins. Il a cité les deux pays dans lesquels il est parvenu à ce but, l’Irak et l’Afghanistan. Tous les deux ont été dévastés par les avions américains qui ont lancé le message de leur bombardiers. Récemment, les soldats américains ont balayé une grande ville de la surface de la terre afin de rallier les opposants aux valeurs américaines. Maintenant Falloudja a l’air d’avoir été frappée par un tsunami.

Ce n’est pas un secret que les Néo-Cons. ont l’intention d’« apporter la démocratie » en Iran et en Syrie, éliminant du même coup les deux ennemis traditionnels des USA et d’Israël. Dick Cheney, le vice-président (certainement pas vertu-président) a déjà prédit qu’Israël peut attaquer l’Iran, comme s’il menaçait de lâcher un rottweiler [1] .

On aurait pu espérer que, après la débâcle totale en Irak et le moins évident mais également sérieux échec en Afghanistan, Bush éviterait de recourir encore à de telles actions. Mais comme cela arrive presque toujours avec les dirigeants de ce genre, il ne peut admettre la défaite et s’arrêter. Au contraire, l’échec le conduit à d’autres extrêmités, à s’entêter, un peu comme le capitaine du Titanic, « à maintenir le cap ».

On ne peut pas savoir ce que Bush peut entreprendre maintenant qu’il a été réélu par son peuple. Son ego a pris des proportions gigantesques, réaffirmant ce que le fabuliste grec Esope disait il y a quelque 27 siècles, « plus l’esprit est petit, plus la vanité est grande. »

Il a mis dehors l’infortuné et faible Colin Powell (comme David Ben-Gourion avait éliminé Moshe Sharett en prévision de son massacre de 1956 en Egypte) et nommé Condoleezza Rice, son assistante personnelle (comme Ben-Gourion avait remplacé Moshe Sharett par Golda Meir).

Aujourd’hui le mot d’ordre est de « débarrasser le pont pour l’action ». Sur ce pont, Bush est un canon sans contrôle, un danger pour tout le monde alentour. Le résultat de ces élections peut être considéré d’un point de vue historique comme une catastrophe mondiale.

Dans les affaires intérieures, il peut causer des catastrophes semblables. Au nom des « valeurs américaines », il est sur le point de détruire une des plus importantes valeurs américaines : la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Sa religion est celle d’un converti nouveau né, une religion sans moralité ni compassion. Imposant cette religion dans tous les domaines de la vie - de l’interdiction des avortements et du mariage des individus du même sexe, à la révision des livres scolaires - il peut renvoyer la société des siècles en arrière et vider la Constitution de son contenu. Après quatre ans de ce régime, l’Amérique peut devenir un pays totalement différent de celui que nous aimions et admirions dans notre jeunesse.

Un de mes amis affirme qu’il y a deux âmes dans la nation américaine, une bonne et une mauvaise. Cela peut être vrai pour toute nation, y compris même Israël et la Palestine, mais en Amérique c’est beaucoup plus marqué. Il y a l’Amérique de Thomas Jefferson (même s’il n’a libéré ses esclaves qu’à sa mort), Abraham Lincoln, Woodrow Wilson, Franklin Delano Roosevelt et Dwight Eisenhower, l’Amérique des idéaux, du plan Marshall, des sciences et des arts. Et il y a l’Amérique du génocide perpétré contre les Indiens d’Amérique, le pays des marchands d’esclaves et du mythe du Far-West, l’Amérique d’Hiroshima, de Joe Mac Carthy, de la ségrégation et du Vietnam, l’Amérique violente et répressive.

Pendant le second mandat de Bush, cette seconde Amérique peut atteindre de nouvelles profondeurs dans la laideur et la brutalité. Elle peut offrir au monde entier un modèle d’oppression. Je ne voudrais pas que mon pays, Israël, soit identifié à une telle Amérique. Tout avantage que l’on peut en tirer peut se transformer à court terme en dommages à long terme et peut-être irréversibles.

Un des avantages de la Constitution américaine est que Bush ne peut pas être réélu pour un troisième mandat. Comme le dit la chanson populaire israélienne : « Nous avons survécu à Pharaon, nous survivrons à cela également. ». Elle pourrait devenir un hymne pour le monde entier.

[1] Chien de garde allemand issu du croisement de molosse et de chien de berger (déf. Petit Larousse) ndt

Article publié le 22 janvier 2005, en hébreu et en anglais, sur le site de Gush Shalom - Traduit de l’anglais « King George » : RM/SW

Source : France Palestine
http://www.france-palestine.org/article987.html

Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62,  parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue."

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