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Le discours de Sharon, décodé pour les néophytes
Uri Avnery
22 décembre 2003

Il a lu le texte écrit de son discours, mot à mot, sans lever les yeux de son papier.
Il était vital pour lui de s'en tenir à la formulation exacte, puisqu'il s'agissait d'un texte codé. Il est impossible de le déchiffrer sans accéder au code. Et il est impossible d'accéder au code sans connaître Ariel Sharon vraiment très bien.

Aussi, qu'il y ait eu un ridicule torrent d'interprétations en Israël et à l'étranger n'est pas une surprise. Les commentateurs n'ont simplement pas compris ce qu'ils avaient entendu. C'est pourquoi ils ont écrit des choses comme «Il n'a rien dit de nouveau», «Il n'a pas de plan», «Il piétine», «Il est vieux et fatigué». Et l'habituelle réaction de Washington: «Un pas positif, mais...»

C'est n'importe quoi! Dans son discours, Ariel Sharon a tracé les contours d'un plan complet, détaillé - et extrêmement dangereux. Ceux qui n'ont pas compris - Israéliens, Palestiniens et diplomates étrangers, seront incapables de réagir efficacement.

Voici le texte déchiffré du «discours d'Herzliya» de Sharon

Le nom du jeu est Hitnakut («nous enlever un morceau nous-mêmes»). Cela signifie: La plus grande partie de la surface de la Cisjordanie deviendra de facto une partie d'Israël, et nous laisserons le reste aux Palestiniens, qui seront enfermés dans des enclaves isolées. Les colonies se trouvant dans ces enclaves seront déplacées.

Première étape : Pour faire cela, nous avons besoin de temps - environ six mois. Nous parlons d'une opération militaire de grande envergure et compliquée. L'armée devra occuper et fortifier de nouvelles lignes tout en réinstallant des dizaines de colonies isolées. Ceci exigera une planification détaillée qui n'a pas encore commencé. Il faudra préparer les forces et les instruments nécessaires. Six mois, c'est le minimum.

Pendant cette période, nous ne serons pas inactifs. Au contraire, nous terminerons la «clôture de séparation» et celle-ci jouera un rôle majeur dans le nouveau déploiement. Nous développerons les «blocs de colonies» vers lesquels seront transférés les colons qui seront réinstallés.

L'exécution du plan est parfaitement minutée. À ce moment précis, la campagne électorale américaine atteindra son point culminant. Aucun homme politique américain n'osera prononcer un mot contre Israël. Les Démocrates ont besoin des voix et de l'argent juifs. Les Républicains ont aussi besoin des voix et de l'argent des 60 millions de chrétiens fondamentalistes, qui soutiennent en Israël les éléments les plus extrémistes.

Alors que nous préparerons tranquillement la grande opération, nous continuerons à flatter le Président Bush et à faire l'éloge de sa stupide Feuille de route sans, bien sûr, remplir aucune des obligations qui nous incombent selon elle. Mais nous accuserons les Palestiniens de la violer.

En même temps, nous affirmerons que nous cherchons à négocier avec les Palestiniens. Nous essaierons de rencontrer Abou Ala'a aussi souvent que possible et jouerons le jeu jusqu'à la fin. Quand nous serons prêts, nous mettrons fin aux contacts, déclarerons que la Feuille de route est morte et constaterons avec regret que tous nos efforts pour entamer des négociations de paix auront échoué à cause d'Arafat.

Deuxième étape : À ce moment-là, le «mur de séparation» sera prêt. Les territoires palestiniens (Zones A et B des accords d'Oslo) seront encerclés de tous côtés. Dans la pratique il y aura environ une douzaine de poches isolées. Afin de remplir nos promesses sur la «contiguïté» palestinienne, nous relierons les enclaves entre elles par des routes spéciales, des ponts et des tunnels, qu'il nous sera possible de barrer à tout moment.

L'armée se retirera progressivement vers la barrière de séparation et se redéploiera dans les territoires qui auront été annexés à Israël, y compris, entre autres, les blocs de colonies de Karnei Shomron, lkana, Ariel et Kedoumim; la route Modi'in et le territoire au sud de celle-ci jusqu'à la Ligne Verte, toute la zone du Grand Jérusalem déjà annexée en 1967; les nouveaux quartiers autour de Jérusalem jusqu'à Maale Adoumim et peut-être au-delà; la colonie juive à l'intérieur de Hébron et à Kiryat Arba et les colonies dans la zone de Hébron; tout le littoral de la mer Morte; toute la vallée du Jourdain, comprenant environ 15 kilomètres de rives. Au total plus de la moitié de la Cisjordanie.

Ces zones ne seront pas annexées officiellement, mais, dans la pratique, nous les annexerons aussi rapidement que possible. Nous les remplirons de colonies (en utilisant aussi les colons venant des colonies déplacées), de zones industrielles, de routes; d'institutions publiques et d'installations militaires, de telle sorte qu'il deviendra difficile de les distinguer des parties d'Israël même.

En même temps, nous évacuerons les colonies situées au-delà de la barrière, y compris celles de la Bande de Gaza (avec ou sans le bloc Qatif).

Conformément à la proposition américaine, nous appellerons les enclaves palestiniennes «un État palestinien avec des frontières temporaires». Cela donnera aux Palestiniens l'illusion qu'ils pourront négocier les frontières «permanentes». Mais, bien sûr, la «clôture de séparation» sera la frontière finale.

La terreur ne s'arrêtera pas complètement, mais les enclaves palestiniennes seront à notre merci et nous pourrons isoler chacune d'elles à tout moment, empêchant la circulation de l'une à l'autre et rendant la vie impossible en leur sein. Il ne sera pas intéressant pour leurs habitants de mener des actions violentes.

Officiellement, les Palestiniens auront le libre accès aux passages frontaliers vers l'Égypte et la Jordanie, mais en pratique nous maintiendrons une présence militaire effective nous permettant d'y interrompre la circulation à tout moment.

Au début, le monde hurlera, mais, devant le fait accompli, les gens se calmeront. Même si Bush reste à la Maison Blanche, il sera paralysé jusqu'après les élections de la fin de 2004. Si un démocrate est élu Président, il lui faudra quelques mois pour s'installer. À ce moment-là tout sera terminé et nous pourrons accepter généreusement quelques aménagements mineurs.

Tel est le plan. Est-il réalisable ?


Il est tout à fait possible que Sharon arrive à convaincre l'opinion publique israélienne. La grande majorité se retrouve sur deux points: (a) l'aspiration à la paix et à la sécurité, et (b) le manque de confiance dans les Arabes et la réticence à traiter avec eux. (Il y a quelques semaines, un supplément satirique a publié un slogan: «OUI à la paix, NON aux Palestiniens».)

Le plan de Sharon promet les deux. Il promet la paix et la sécurité et il est entièrement «unilatéral». Il ne nécessite aucune négociation, ne dépend pas de la volonté des Arabes qui peuvent être totalement ignorés.

À cet égard, le plan de Sharon possède un grand avantage sur l'initiative de Genève qui est entièrement basée sur la présomption qu'«il y a un partenaire» et que nous pouvons négocier avec les Palestiniens et faire la paix avec eux. De longues années de lavage de cerveau, sous la houlette d'Ehoud Barak et de la plupart des autres dirigeants de la «gauche sioniste», ont convaincu les Israéliens qu'il n'y a pas de partenaires, que les Arabes trichent, qu'Arafat a violé chacun des accords qu'il a signés, etc. Le plan de Sharon est conforme à tous ces mythes, alors que l'initiative de Genève les bat en brèche.

Mais, sous la route de l'application du plan de Sharon, il se trouve deux grosses mines: les colons et les Palestiniens.

Les habitants des colonies qui sont supposées être réinstallées ailleurs comprennent en leur sein quelques-uns des éléments les plus extrémistes du mouvement des colonies. Il n'y a aucune chance que ceux-ci acceptent de partir pacifiquement. Il faudra les déplacer par la force.

Cela nécessitera un énorme effort militaire. Alors que beaucoup de colons modérés partiront volontairement si on leur offre une compensation substantielle, beaucoup d'autres résisteront. Selon une estimation fiable, quelque 5.000 soldats et policiers seront nécessaires pour déplacer un seul petit «avant-poste»: Migron, près de Ramallah, que Sharon était censé avoir démantelé il y a longtemps en vertu de la Feuille de route. Quand des dizaines de colonies plus grosses et mieux implantées devront être déplacées, une opération géante, quasi guerrière, sera nécessaire, exigeant l'appel de réservistes, avec toutes les implications politiques que cela suppose.

L'armée ne peut tout simplement pas quitter ces territoires en laissant derrière elle des colonies. Aussi longtemps que les colonies sont là, l'armée sera là. En d'autres termes, l'application du plan ne sera ni rapide ni ordonnée, comme la dernière nuit au sud Liban, mais ce sera un processus qui prendra de nombreux mois, peut-être des années.

Alors que le déploiement dans les zones qui seront de facto annexées à Israël sera rapide et efficace, le transfert des territoires qui seront rendus aux Palestiniens sera très lent.

Il est totalement illusoire de croire que pendant tout ce temps les Palestiniens regarderont tranquillement faire les bras croisés. Ils verront l'exécution d'un plan qu'ils considéreront, à juste titre, comme un dispositif pour la destruction des objectifs nationaux du peuple palestinien. Il est clair qu'il n'y aura pas de place dans les enclaves palestiniennes pour le retour de réfugiés (sans parler d'un retour de réfugiés en Israël même). Appeler cette structure un «État palestinien» est une plaisanterie de mauvais goût.

Si Sharon réussit à exécuter son plan, un nouveau chapitre sera ouvert dans le conflit israélo-palestinien qui dure depuis cent ans. Les Palestiniens seront entassés dans des territoires qui ne constitueront que 10% du territoire d'origine de la Palestine d'avant 1948. Ils n'auront aucune chance d'étendre ce territoire. Au contraire, ils craindront que Sharon et ses successeurs essaient de les chasser de ce qui leur sera laissé, complétant le nettoyage ethnique du Grand Israël.

Par conséquent, les Palestiniens se battront contre ce plan et leur lutte s'intensifiera au fur et à mesure qu'il progressera. Tous les moyens possibles seront employés: tirs de missiles et d'obus de mortier par-dessus la barrière de séparation, envoi de kamikazes à l'intérieur d'Israël, et ainsi de suite. Probablement, la lutte violente essaimera dans de nombreux autres pays à travers le monde, sur terre et dans les airs. Il n'y aura pas de paix, pas de sécurité.

À la fin, ce sont les éléments de base qui seront décisifs: l'endurance des deux peuples, leur détermination à poursuivre un combat sanguinaire, avec toutes les conséquences économiques et sociales que cela implique, ainsi que la volonté du monde à regarder faire passivement.

L'idée de «paix unilatérale» est d'une originalité frappante. «La paix sans l'autre partie» sont des termes contradictoires. Les gens savants diront que c'est un oxymore, un terme grec qui signifie, littéralement, une pure folie.

Finalement, le sort de ce plan sera le même que celui des autres grandioses plans mis en avant par Sharon au cours de sa longue carrière. Il suffit de penser à la guerre du Liban et à ce qu'elle a coûté.

http://www.solidarite-palestine.org/mpi-uri-031222-1.html

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