AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   


Haaretz, 21 janvier 2005

La coordination n'est pas la négociation
par Daniel Levy
(1)

Trad. : Gérard pour La Paix Maintenant


Le groupe de l'Initiative de Genève, dont je fais partie, n'aurait pas dû
faire le court voyage à la Muqata il y a quelques jours, et être ainsi la
première délégation israélienne à rencontrer le nouveau dirigeant
palestinien. Non pas parce que ce n'était pas ce qu'il fallait faire. Au
contraire : c'était très exactement ce qu'il fallait faire, mais c'est le
gouvernement israélien qui aurait dû faire le voyage.
Il ne s'agit pas de se faire des faveurs, des gestes, ou d'accorder une
période de grâce. Il s'agit de savoir comment mettre fin à la violence,
assurer la sécurité et s'engager vers la paix. Il s'agit des intérêts
palestiniens et des intérêts israéliens, et de rechercher là où ils
pourraient coïncider. Voilà ce que nous devons aux habitants de Sderot (2),
pas des rodomontades ou des promesses creuses.

Aujourd'hui, nous avons une direction palestinienne engagée dans la voie de
la non-violence et dans la construction d'une Palestine démocratique au côté
d'Israël. Cela ne devrait pas être anodin aux yeux des Israéliens. Avec
Mahmoud Abbas, comme nous avons pu le constater de première main, ce que
vous voyez, c'est ce que vous obtenez (3). Il veut une fin négociée du
conflit, un accord général sur tous les problèmes (et non un accord limité
ou intérimaire) fondé sur la notion de deux Etats viables, Israël et la
Palestine, vivant côte à côte.

Sa priorité immédiate est la sécurité, la fin de toutes les violences sans
exception, ce qu'il compte obtenir par une h'udna (trêve). Il ne se servire
pas de l'occupation comme prétexte pour repousser les réformes intérieures
destinées à bâtir des institutions efficaces et un état de droit. Mahmoud
Abbas pense qu'une réforme intérieure et un accord de paix négocié serviront
mieux que tout les intérêts supérieurs des Palestiniens.

Y a-t-il quelqu'un du côté israélien qui veille à nos intérêts supérieurs à
nous? Si l'on se fie à l'action du gouvernement ces derniers jours, il
semble que non. Pouvons-nous nous permettre de rater l'occasion que
représente l'élection de Mahmoud Abbas, déstabiliser un véritable partenaire
potentiel, réoccuper Gaza et renforcer le Hamas?

Il n'y a pas de solution clé en main à la situation, pour ce qui concerne la
sécurité. Ce que l'invincible armée israélienne n'a pu réussir en quatre
ans, les maigres forces palestiniennes n'ont pu le réussir en quatre jours.
La pression des opinions publiques existe des deux côtés. Il semble que le
manque d'envie de plonger la tête la première dans la guerre civile avant
d'avoir épuisé les autres alternatives ne soit pas une exclusivité
israélienne. Concernant les colons, Israël se mord la queue depuis 37 ans,
et le gouvernement Sharon en est encore à prouver qu'il remplira bien son
engagement d'évacuer les avant-postes. Il faut donc moduler les attentes
d'Israël à l'égard de Mahmoud Abbas d'une once de réalisme. Celui-ci tente
une voie non-violente vers une solution négociée, et Israël peut renforcer
les probabilités de son succès, ou les affaiblir de façon létale.

Il faut une coordination bilatérale immédiate afin de stopper l'escalade et
de stabiliser la situation. Si Mahmoud Abbas parvient à obtenir un
cessez-le-feu, alors Israël doit, par exemple, assurer qu'il n'y ait plus
d'assassinats ciblés et accepter de libérer des Palestiniens emprisonnés
pour raisons de sécurité, gestes qui illustreraient la capacité des modérés
à apporter [au peuple] des acquis, contrairement aux extrémistes.

Mais, au bout du compte, Mahmoud Abbas est un partenaire pour des
négociations de paix. Il est peu probable qu'il soit un partenaire pour
l'application d'une série de diktats israéliens. Quand Sharon parle de
reprise des négociations, il veut parler de coordination. Mais la
coordination n'est pas la négociation.

En Mahmoud Abbas, Israël dispose d'un partenaire prêt à négocier : le genre
de négociation qui ne traite pas seulement du retrait de Gaza et des
exigences israéliennes, mais aussi des questions qui sont au coeur du
conflit. La possibilité d'en finir réellement avec ce conflit, pas seulement
de le limiter ou de le maîtriser, est en train de réémerger. Est-ce quelque
chose qui peut être écarté cavalièrement, dans l'orgie de colère et de
douleur qui suit chaque attentat terroriste, même si ces émotions sont
parfaitement compréhensibles?

Peut-être Sharon ne se sent-il à l'aise qu'avec deux types d'Arabes : ceux
qui peuvent être diabolisés en tant qu'ennemis, et ceux qui peuvent être
recrutés en tant que collaborateurs. Yasser Arafat pourrait très bien
incarner le premier type. L'exemple du "bon Arabe" serait Mustafa Dudin, qui
était le leader de la Ligue des Villages au début des années 80, que Sharon
alors ministre de la Défense, avait créée pour appliquer son plan
d'autonomie limitée sans territoires.

Mais Mahmoud Abbas n'est ni Arafat, ni Dudin, et on peut difficilement le
faire passer pour l'un ou pour l'autre. Ce qui semble mettre Sharon mal à
l'aise. Le peuple palestinien a élu un dirigeant partisan d'une résolution
pacifique du conflit, et si l'on en croit les sondages publiés cette semaine
dans Haaretz (4), la majorité des Palestiniens et des Israéliens soutient
une solution à deux Etats, selon les principes des Accords de Genève.

Le manque d'enthousiasme de Sharon à s'engager de nouveau avec Mahmoud Abbas
indique-t-elle une crainte de paraître comme celui qui toujours non à une
paix raisonnable, aux yeux de son propre peuple et à ceux de la communauté
internationale?

Un Mahmoud Abbas fort, capable de faire avancer le programme de deux Etats
chez les Palestiniens, doit être de l'intérêt supérieur d'Israël. Il est
possible que, du côté du ranch d'Ariel Sharon, il y ait un Israélien qui
regrette la période de Mustafa Dudin et de Yasser Arafat.



(1) Daniel Levy a été conseiller politique de Yossi Beilin, membre de
l'équipe des négociateurs israéliens à Oslo et à Taba, et l'un des
principaux concepteurs israéliens de l'initiative de Genève.

(2) Sderot, ville israélienne aux portes du désert du Néguev et proche de
Gaza, a été la cible principale des tirs de roquettes Qassam, qui ont
récemment fait plusieurs victimes.

3) allusion à WYSIWYG, l'acronyme de la locution anglaise What You See Is
What You Get souvent utilisée en informatique, et signifiant littéralement
"ce que vous voyez est ce que vous obtenez " ou plus élégamment "tel écran,
tel écrit".

4) cf http://www.lapaixmaintenant.org/article969

Source : La Paix Maintenant

 

Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62,  parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue."

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