AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   


Encore à propos de l'inititiative de Genève

Michel Warschawski-News from Within-mai 2004
 
On pourrait se demander pourquoi un nouvel article sur l'initiative de Genève (IG).

J'ai déjà exprimé avec mon ami Moshe Behar [*] mon analyse sur cette initiative, il y a quelques mois, avant même la signature du document. Du reste une de nos modestes prédictions s'est déjà confirmée : l'initiative de Genève n'a pas reçu de soutien populaire, ni côté israélien ni côté palestinien.

Elle a été largement rejetée par la grande majorité de l'opinion palestinienne incluant des centaines de militants connus pour le sérieux de leur lutte en faveur d'une paix juste entre les deux peuples et pour un vrai dialogue entre militants israéliens et palestiniens fondé sur les principes du droit international et le respect mutuel.

Quant au public israélien, cette initiative de Genève a disparu de son ordre du jour politique après quelques jours…

Discuter de Genève n'a pas grand sens, ni auprès du public israélien ni du palestinien : des deux côtés les gens sont occupés par les problèmes du mur, des assassinats ciblés, des colonies, du sens et des implications sanglantes de l'assassinat du Cheikh Ahmed Yassine, et des menaces de mort proférées par Ariel Sharon à l'encontre de Yasser Arafat.

Nécessité d'un débat public sur l'initiative de Genève

Contrairement à ce qui se passe en Israël et dans les Territoires Palestiniens Occupés, des militants dans le monde (occidental) s'agitent beaucoup autour de l'IG [1], quelques uns pour des raisons suspectes, beaucoup d'autres parce qu'ils croient sincèrement que leur implication dans le processus de Genève peut aider à apporter la paix dans notre région.

Après avoir échoué à promouvoir des changements au sein de leurs opinions publiques respectives quelques uns des architectes de Genève se sont aujourd'hui focalisés sur l'arène internationale, et tentent de pousser la communauté internationale et les mouvements politiques et sociaux à endosser leur initiative (j'essaierai plus loin d'expliquer en quoi un tel objectif pourrait être dangereux pour les chances de paix en Israël/Palestine.)

Le but de ce texte est de clarifier pour les militants des mouvements sociaux internationaux mon point de vue sur plusieurs aspects de l'IG qui sont souvent occultés ou mal interprétés.

En ce sens il s'agit d'une contribution à un débat international sur l'IG. Je pense qu'un tel débat est nécessaire avant d'essayer de recruter la gauche internationale et les mouvements sociaux dans un soutien inconditionnel à l'IG.

Les militants politiques et du mouvement social ont le droit et le devoir de discuter, clarifier, exprimer des réserves avant que l'on exige d'eux de soutenir une initiative politique.

Il faut avoir en mémoire les leçons de l'échec d'Oslo, lorsque nous avons été confrontés au choix de « soutenir ou rejeter en bloc » qui a paralysé notre sens critique au moment où nous pouvions encore influer sur un processus qui a progressivement dégénéré vers la catastrophe présente.

Les personnes qui pensent que l'IG est un grand pas ou même celles qui (comme moi) pensent qu'il s'agit d'un petit pas en avant, sont précisément celles qui doivent exprimer leurs réserves et leurs remarques pour améliorer cette initiative et garantir qu'elle ne sera pas victime de ses propres faiblesses ou erreurs. C'est la raison pour laquelle les supporters de l'IG devraient être les premiers à exiger un tel débat de quiconque leur demande un soutien inconditionnel.

D'un point de vue israélien : un pas en avant

Sans entrer dans le contenu de ces accords et leurs sous-entendus on peut convenir que l'IG en tant que telle est un pas en avant, du point de vue israélien.

Durant les quarante cinq derniers mois l'ensemble de la classe politique et intellectuelle a clamé à l'unisson que la répression dans les TPO [2] était nécessaire et due au fait qu'il existait une volonté palestinienne collective de détruire Israël, qu'il n'y avait pas de partenaire pour un véritable compromis, etc.… Même ceux qui savaient parfaitement qu'il s'agissait là d'un énorme mensonge et d'une cynique campagne de propagande initiée par Ehud Barak en juin 2000, n'étaient pas prêts à affronter publiquement ce nouveau consensus qui, de fait, a détruit le courant principal et majoritaire du camp de la paix israélien.

L'IG est une brèche ouverte dans ce consensus national et une affirmation forte par des membres reconnus de la classe politique et intellectuelle que le refrain du « pas de partenaire et pas de solution politique » est une mystification. D'ailleurs son dessein principal, du moins selon les déclarations de ses porte-parole, est de libérer la majorité de l'opinion israélienne de ce mensonge.

Qui voudrait s'opposer à un tel dessein ? Une question essentielle demeure cependant : Comment convaincre le public israélien de croire à nouveau en une perspective de paix ? Et une autre question : Quid de l'opinion publique palestinienne ? Ne doit-elle pas elle aussi être gagnée à l'idée d'une perspective de paix, et de quelle manière ?

Précisément parce que l'IG est une ouverture d'un point de vue israélien, et parce que de nombreuses questions restent posées pour remettre sur rails le train des négociations, il est crucial de mener un large débat public sur l'IG et de discuter ses points faibles. L'initiative elle-même est le fruit d'un débat (non public) et un certain nombre de dirigeants du parti travailliste israélien - dont Shimon Pères par exemple - ne l'avalisent pas.

A propos du texte de l' « accord »

Sur la formule politique qui pourrait mettre fin à l'occupation et créer les conditions d'une trêve entre Israéliens et Palestiniens, le document de Genève constitue sans doute la meilleure proposition à ce jour, susceptible d'obtenir un large soutien dans les deux populations. En tant que document prétendant mettre fin au conflit et préparer le chemin de la réconciliation il est totalement insatisfaisant et marque même un recul par rapport aux paramètres de Clinton acceptés à Taba en 2001.

Il n'est donc pas accidentel que par exemple, les articles concernant la question des réfugiés aient été présentés par les signataires palestiniens à leur propre opinion publique comme la première reconnaissance israélienne du droit au retour, dans le même temps que les signataires israéliens expliquaient à leur opinion publique que pour la première fois les Palestiniens avaient accepté de renoncer au droit du retour. Et l'on peut dire la même chose à propos des articles sur le caractère juif de l'Etat d' Israël.

L'ambiguïté constructive est peut-être utile dans les contrats d'affaire, certainement pas dans un document visant à réconcilier deux peuples. Le test qui validerait un document capable de réussir à établir véritablement la paix entre Israéliens et Palestiniens serait sa capacité à être présenté aux deux populations sans commentaire additionnel adapté à chacune d'elle.

Si l'on veut gagner l'opinion palestinienne à une solution de Genève concrète - et non à la formule abstraite d'une paix virtuelle- une toute autre approche doit être développée sur la question des réfugiés : tout Palestinien impliqué dans le processus le sait parfaitement et la suggestion de Clinton de séparer une reconnaissance par Israël du droit au retour - point sur lequel aucune direction palestinienne ne pourrait transiger - d'un processus négocié sur le retour véritable des réfugiés, pourrait être un point de départ pour un accord sur cette question.

De même pour la définition d'Israël par les Palestiniens comme Etat Juif, qui ne relève d'aucune logique : il appartient aux Israéliens uniquement de décider de la nature de leur Etat, juif ou démocratique, capitaliste ou socialiste, république ou dictature.

Qu'arriverait-il si la majorité des israéliens se choisissait un Etat démocratique et non celui de tous les juifs du monde ? Devrait-elle en être empêchée parce qu'il existe un accord signé avec les Palestiniens ? ! Dans un accord de paix chaque côté reconnaît avant tout l'existence de l'autre. La « nature » de l'autre est affaire d'autodétermination.

Si l'on veut gagner l'opinion palestinienne à la solution de Genève, elle doit être largement discutée et amendée. Mais l'opinion publique palestinienne est-elle pour l'IG un objectif d'importance égale à l'opinion publique israélienne ? Rien n'est moins sûr.

Les sous-entendus de Genève

On y trouve comme pendant tout le processus d'Oslo un immense manque de symétrie entre Israéliens et Palestiniens : les premiers déterminent les lignes rouges, et pour les Palestiniens c'est à prendre ou à laisser.

Il est tout à fait crucial de convaincre l'opinion publique israélienne qu'il existe une perspective de paix, après qu'Ehud Barak les a convaincus que du côté palestinien il n'y a pas de véritable intention de compromis.

Mais la mentalité coloniale israélienne a de la peine à comprendre qu'il existe aussi une opinion publique palestinienne, qu'elle aussi a perdu confiance dans la volonté israélienne d'accepter un compromis honnête.

Huit années de « négociations » qui ressemblaient plutôt à des diktats israéliens, servant de couverture à un mouvement de colonisation sans précédent, accompagnées d'un bouclage qui a constitué l'une des plus sévères agressions contre la vie des Palestiniens depuis le début de l'occupation, ont produit un immense scepticisme palestinien quant à la bonne foi des Israéliens lorsqu'ils parlent de paix.

Il semble toutefois que pour la plupart des Israéliens artisans de l'initiative de Genève il n'existe pas d' « opinion publique palestinienne », tout au plus un troupeau de chèvres aisément dirigeable ou manipulable par une direction forte.

S'ils avaient pris au sérieux cette opinion publique palestinienne ils auraient immédiatement compris que pour commencer à influer sur elle, une prise de position israélienne claire contre les assassinats ciblés, contre la poursuite de la colonisation, ainsi qu'une action forte et concrète contre le mur, au côté de leurs partenaires palestiniens, devait figurer dans l'IG, au côté du projet de paix.

N'est -ce pas évident ?

Le peuple palestinien vit quotidiennement une guerre totale de destruction visant à entraîner sa capitulation : pour qu'il puisse croire en la bonne foi de ceux qui promettent une paix virtuelle dans l'avenir, n'a-t-il pas besoin de voir clairement leur forte opposition aux crimes réels de la guerre réelle perpétrée par le gouvernement israélien, l'armée israélienne, avec le soutien d'une grande majorité du public israélien ?

Les ambassadeurs de Genève :

Le manque de symétrie (pour ne pas dire plus) dans l'IG apparaît clairement dans la manière dont la campagne de soutien est menée à travers le monde.

Des « Ambassadeurs de Genève » ont été nommés en Europe : si je ne me trompe ce sont tous des Juifs Sionistes qui ont systématiquement refusé de critiquer la politique de Sharon dans les territoires occupés et ont concentré toutes leurs attaques sur les Palestiniens ; parmi ces ambassadeurs, pas un seul arabe.

Les « amis de la paix maintenant » monopolisent la campagne publique, rendant impossible avec leur ligne politique, l'intégration d'une quelconque organisation arabe locale ou palestinienne dans cette campagne, ils maintiennent cette campagne dans le cadre étroit d'une connexion israélo internationale, parfois avec un représentant palestinien de Genève, choisi par eux, selon leurs propres critères de qui mérite de représenter le côté palestinien.

Comme je l'ai dit précédemment un débat public est nécessaire autour de l'IG. Cependant il doit être conduit dans un esprit d'égalité, de réciprocité et de respect mutuel, et non dans un esprit colonialiste, paternaliste ou pire encore manipulateur.

Les militants du mouvement social dans le monde doivent prendre leur place dans ce nécessaire débat public autour de l'IG, et user de leur influence et du respect gagné par leurs combats pour garantir que le colonialisme et le paternalisme cèdent la place à un vrai dialogue fondé sur l'égalité.

Ce faisant, non seulement ils renforceront les meilleurs éléments parmi les artisans de l'initiative de Genève, qui luttent contre ceux qui refusent de tirer les leçons du fiasco d'Oslo, mais aideront à améliorer cette initiative, de telle sorte qu'elle puisse créer une nouvelle dynamique de confiance entre les peuples palestinien et israélien, une confiance qu'il s'agit encore de construire.

[*] *Moshé Behar : Directeur de l'AIC - Jérusalem
[1] IG = Initiative de Genève
[2] Territoires Palestiniens Occupés

Traduit de l'anglais et transmis par M.Sibony (UJFP)

Source : http://www.france-palestine.org

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