Gaza : Cimetière de
l’enfance
et silence du monde
Par Abou Amir le 17 mai à Gaza
Au cœur de Gaza, dans ce coin abandonné par
l’Histoire, se dévoilent les plus douloureux chapitres de la souffrance
humaine de notre époque. Ce n’est pas seulement une question de nombre de
morts ou d’ampleur des destructions, mais de ce crime silencieux qui ne
figure pas dans les bulletins d’information comme il le devrait : l’orphelinat
des enfants, la plus grande amputation collective de l’enfance dans
l’ère moderne. Les statistiques confirment que plus de 39.384 enfants
ont perdu l’un ou les deux parents depuis le début de la dernière guerre
israélienne — un chiffre que ni la raison ni la conscience humaine ne
peuvent concevoir.
Des enfants, dont certains n’ont pas encore
atteint l’âge de compter sur les doigts d’une main, se sont réveillés un
matin en pleurs, sans plus entendre personne les appeler par leur prénom.
Plus de mère pour coiffer leurs cheveux, plus de père pour soutenir leur
dos. Ils couraient après les papillons, les voilà maintenant à courir
derrière les ambulances. Ils apprennent les noms des morts à la place des
lettres, dessinent des cimetières au lieu de fleurs.
À Gaza aujourd’hui, l’enfance est amputée sans
anesthésie, la sécurité est arrachée à des âmes qui n’ont jamais connu la
vie. Elles se sont seulement trouvées sur cette terre pour y être
lentement égorgées, sans que personne ne leur demande : « Est-ce que tu
vas bien ? »
Dans les centres d’hébergement saturés à
l’étouffement, ces enfants vivent sans étreinte, sans chaleur d’un sein,
sans jouet ni histoire du soir. Ils s’endorment au bruit des
bombardements et se réveillent à l’odeur des cadavres et aux cris des
mères désespérées. Dans ces camps, on voit un enfant fixer le plafond de
la tente d’un regard éteint. On lui demande : « Qu’as-tu ? », il
répond : « Je rêvais de ma maman… puis je me suis réveillé. » Les
mots se figent, car le rêve est devenu plus précieux que la réalité. Les
mères de Gaza n’apparaissent plus que dans des photos suspendues ou des
noms gravés sur des pierres.
Des histoires qui feraient pleurer même la pierre
: une fillette de six ans serrant la main morte de sa mère pendant des
jours, ou cet enfant qui ne cesse de demander : « Pourquoi maman ne se
réveille-t-elle pas ? Pourquoi est-elle froide ? »
Combien d’enfants le monde doit-il encore voir
pour croire qu’il y a un massacre ? Combien de cris faut-il pour attirer
son attention ? Nous écrivons — et nous continuons à écrire — chaque jour
sur Gaza, sur les massacres, sur la mort sous les décombres, sur la faim,
sur les convois humanitaires bloqués, sur les cris étouffés dans les
gorges des petits, sur les yeux vieillissant de peur, sur l’enfance
pendue sans corde… Mais quelqu’un nous a-t-il écoutés ? Le monde s’est-il
levé ? Ou bien l’humanité est-elle devenue un luxe dans l’ère du silence
mondial ?
Plus de 17.000 enfants vivent aujourd’hui
à Gaza sans accompagnant, selon les rapports des Nations Unies, un
chiffre qui reflète l’effondrement complet du système international de
protection. Ces enfants ne souffrent pas seulement d’un orphelinat
affectif, mais aussi matériel, social et psychologique. Qui soignera
leurs blessures ? Qui caressera leurs âmes brisées ? Qui leur rendra une
étreinte dont ils ignoraient même le besoin ?
À Gaza, l’enfance est enterrée vivante, la vie
est arrachée des yeux qui brillaient encore, et des histoires se
terminent avant même de commencer.
Et face à tout cela, les gouvernements du monde —
occidentaux comme arabes — adoptent une posture de spectateur silencieux,
de complice muet, ou de diplomate froid et justificateur. Personne ne se
soucie. Le monde voit et entend, mais ne parle pas. Ou plutôt, il parle
dans une langue qui ne sauve aucun enfant, n’envoie aucune cargaison de
farine, n’ouvre aucun couloir humanitaire.
Certains brandissent des slogans sur les droits
humains lors des conférences, puis serrent la main du bourreau, signent
des contrats avec lui, et lui envoient les armes pour achever la mission.
Quant aux régimes arabes, ils pratiquent un silence amer, craintif,
humilié — certains parient sur le temps. Mais le temps n’a plus aucun
sens à Gaza.
Chaque heure de retard signifie un nouveau
cadavre, un nouvel orphelin, une nouvelle histoire à ajouter à la longue
liste de la honte.
Dans les camps assiégés, on voit des enfants se
partager une seule couverture, échanger des photos de leurs proches,
chacun racontant comment est mort celui qu’il aimait. L’autre écoute sans
verser une larme, car pleurer est un luxe qu’ils n’ont plus après tout
cela.
Imagine être âgé de six ans, comprendre la mort,
vivre le deuil, t’habituer au son des avions, et distinguer les types de
bombes à leur bruit. Imagine que tout cela fasse désormais partie de
l’enfance à Gaza. Une enfance qui ne ressemble à aucune autre.
Et quand elle émerge des décombres, elle ne
trouve qu’un monde aveugle et sourd, comme si le drame ne s’était jamais
produit.
Nous écrivons, parce que nous n’avons rien
d’autre. Nous écrivons parce que le silence est un crime, et se taire
face à ce crime, c’est y participer.
Nous écrivons pour que peut-être un mot compense
une étreinte, console une veuve, ou caresse la tête d’un orphelin.
Nous écrivons, même si écrire n’arrête pas un
missile, ne sauve pas une maison de l’effondrement.
Cela préserve les restes de notre dignité en tant
qu’êtres humains défendant encore le droit à la vie.
Les enfants de Gaza n’ont pas besoin de pitié, ni
de discours de «profonde inquiétude». Ils ont besoin que le monde leur
rende leur droit à la sécurité, à la famille, à la chaleur, au simple
fait d’être des enfants.
Mais il semble que l’humanité soit morte là-bas…
sans avoir encore été enterrée.
Et nous vivons apparemment dans une époque où la
conscience mondiale s’érode comme les murs des maisons de Gaza, et où
l’enfance est écrasée comme les os sous les gravats.
Et si quelqu’un lit cela un jour, qu’il sache que
des enfants ici, à Gaza, sont devenus orphelins, non seulement parce que
la guerre est cruelle, mais parce que le monde entier a choisi de ne pas
arrêter cette cruauté.
Oui, à Gaza, une génération
entière est massacrée, et le monde — tout le monde — est témoin du crime…
et se tait.
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