« La
torture comme politique d’État » :
Israël
face au comité de l’ONU contre la torture
Par l’Agence
Média Palestine, le 28 octobre 2025
https://agencemediapalestine.fr/blog/2025/10/28/la-torture-comme-politique-detat-israel-face-au-comite-de-lonu-contre-la-torture/
Depuis la ratification
de la Convention des Nations unies contre la torture en 1991, Israël a
systématiquement manqué à ses obligations, tout en maintenant des
politiques qui violent les droits humains. Depuis le 7 octobre 2023, la
torture et les punitions ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
(cruel, inhuman or degrading treatment or punishment : CIDTP) ont
fortement augmenté, atteignant des niveaux sans précédent et étant
pratiqués dans une impunité quasi totale.
Plus que des abus, ces
actes de torture et de CIDTP sont une « politique d’État »,
comme le révèle une vaste enquête menée conjointement par le Comité
public contre la torture en Israël (PCATI), Adalah – Centre juridique
pour les droits de la minorité arabe en Israël, HaMoked – Centre pour la
défense de l’individu, Parents contre la détention des enfants (PACD),
Médecins pour les droits humains en Israël (PHRI).
Cette enquête, qui
comprend de nombreux témoignages et statistiques incriminantes, sera
présenté au Comité de l’ONU contre la torture (UNCAT) dans le cadre du 6e
examen d’Israël, qui se tiendra pendant la 83 session du comité, du 18 au
21 novembre prochain. Elle s’appuie sur des témoignages recueillis auprès
de détenu-es et ancien)nes détenu-es, de professionnel-les de santé, sur
des visites dans des prisons, ainsi que sur un suivi juridique et des
procédures judiciaires en cours.
L’Agence Média
Palestine a pu avoir accès à ce rapport, intitulé « La torture comme
politique d’État : maltraitance des détenus palestiniens en Israël et
impunité depuis le 7 octobre 2023 ».
« Un outil
délibéré et généralisé »
Les examens
consultatifs de l’UNCAT sont réguliers, et concernent tous les pays. Le
dernier examen d’Israël date de 2016, et avait soulevé de nombreuses
observations et recommandations du comité concernant le traitement des
détenu-es palestinien-nes.
Les signataires du
rapport affirment que ces recommandations n’ont pas été suivies, et que
la situation s’est largement agravée depuis le 7 octobre, en parallèle de
la campagne génocidaire menée par Israël à Gaza. « La torture est
devenue un outil délibéré et généralisé de la politique étatique, utilisé
dans les systèmes juridiques, administratifs et opérationnels. Elle est
pratiquée tout au long du processus de détention – de l’arrestation à
l’interrogatoire en passant par l’emprisonnement – et vise les
Palestinien-nes sous occupation et les citoyen-nes palestinien-nes
d’Israël. »
Ce nouveau rapport
souligne que les actes de tortures et de mauvais traitements envers les
détenu-es palestinien-nes pré-existaient de manière systémique dans les
centres de détention israéliens, mais identifient des mécanismes qui ont,
depuis le 7 octobre 2023, accéléré et institutionnalisé ces pratiques.
« La rhétorique de vengeance et de déshumanisation a imprégné les
politiques de détention et facilité la torture et les abus
systématiques, » explique l’introduction.
Camps d’emprisonnement
militaires
Avec des arrestations
massives de Palestinien-nes de Gaza et de Cisjordanie, Israël s’est doté
de nouveaux camps d’emprisonnements, des camps militaires où les ONG
signataires du rapport contre la torture observent des pratiques aussi alarmantes
que systématiques.
Fin octobre 2023, le
ministre israélien de la Défense a ordonné que la base militaire de Sde
Teiman serve de centre de détention pour les Palestiniens de Gaza arrêtés
en vertu de l’UCL (Loi sur les combattants illégaux, que le comité de
l’UNCAT avait appelé à abroger en 2026). Des pratiques de tortures sont
immédiatement dénoncées, de nombreux témoignage rapportant que des
milliers de détenus étaient enfermés dans des enclos à ciel ouvert,
menottés et les yeux bandés 24 heures sur 24, obligés de rester à genoux
la plupart du temps et de dormir par terre la nuit, exposés aux
intempéries et aux insectes.
Le rapport pointe des
violences physiques, un affamement volontaire et de graves négligences
médicales. Il dévoile également que le centre médical de Sde Teiman
employait une équipe de professionnels de santé, qui servaient comme
soldats et ne relevaient pas du corps médical. En violation de toutes les
normes éthiques, ils avaient pour instruction d’agir de manière anonyme,
sans s’identifier auprès des patients ni signer aucun document médical.
Cet anonymat visait à empêcher toute plainte ou enquête concernant des
manquements à l’éthique et à la déontologie médicale. Les directives de
l’établissement ne prévoyaient pas l’obligation de consigner dans les
dossiers médicaux tout soupçon de violence ou de torture, ni l’obligation
de signaler ces soupçons aux autorités compétentes, alors même que les
détenus arrivaient pour recevoir des soins médicaux avec des signes de
violences graves sur le corps.
En avril et mai 2024,
sous la pression suscitée par les révélations sur les conditions de
détention à Sde Teiman, des centaines de détenus ont été transférés vers
le camp de détention militaire d’Ofer. Malgré l’annonce faite par l’État
à la Cour suprême de justice qu’il allait progressivement « fermer » Sde
Teiman et n’y détenir les prisonniers que pour des périodes limitées, le
camp est toujours largement opérationnel.
Parallèlement, le camp
militaire d’Ofer est devenu le principal centre de détention des
Palestiniens de Gaza, ce qui n’est qu’un transfert des mêmes pratiques
abusives: les cellules sont surchargées et les détenus rapportent qu’ils
doivent dormir par terre sans matelas. L’hygiène de base est négligée,
car les détenus ne reçoivent pas de produits de nettoyage pour maintenir
les toilettes dans un état sanitaire acceptable, ni suffisamment de
papier toilette.
Conditions
« inhumaines » dans les prisons
En 2016, l’UNCAT avait
critiqué le recours à la torture et aux CIDTP par le personnel
pénitentiaire israélien, soulignant l’impunité de ces actes.
« Depuis le 7 octobre, on assiste à une forte escalade, caractérisée
par ce qui ne peut être compris que comme une politique délibérée visant
à infliger une violence et des souffrances systémiques et quotidiennes
aux Palestiniens classés comme détenus pour raisons de sécurité »,
indique le rapport.
Au moyen d’ordonnances
« d’urgence » et de politiques appliquées sur le terrain, les Palestiniens
détenus dans les prisons israéliennes ont été privés de tous les droits
et protections fondamentaux garantis par le droit israélien et
international, y compris les dispositions de l’UNCAT.
Dans un contexte
d’arrestations massives, il en résulte une surpopulation inhumaine. En
effet, les témoignages font état à plusieurs reprises d’un doublement de
l’occupation habituelle des cellules, avec 12 détenus et plus entassés
avec une seule toilette défectueuse, rendant tout mouvement ou toute
intimité minimale impossible. Dans son témoignage devant le PHRI en
novembre 2024, A.R. a décrit 30 prisonniers partageant 11 lits dans une
cellule à Ktzi’ot.
De nombreux cas de
violences physiques graves et répétées commises par le personnel des
prisons israéliennes ont été documentés depuis le 7 octobre. Ils
comportent des coups de poing, des coups de pied, des coups de matraque,
le maintien forcé de positions contraignantes et le port de chaînes
douloureuses, ainsi que d’attaques de chiens. Ces actes de violence se
produisent dans les cellules, dans des zones non surveillées par des
caméras, et pendant le transfert des détenus à l’intérieur et à
l’extérieur des établissements pénitentiaires, entraînant des blessures
graves et visibles telles que des contusions et des fractures des côtes,
du nez et des dents.
Des cas de violences
physiques graves ont été signalés dans diverses prisons et centres de
détention, notamment à l’encontre de femmes, de mineurs et de détenus
handicapés. Les témoignages révèlent l’omniprésence de la violence
arbitraire et sa normalisation dans le quotidien carcéral, souvent
infligée à un groupe de détenu-es à la fois. Les témoignages font
également état d’humiliations généralisées et de traitements dégradants.
Impunité structurelle
Le rapport insiste
également sur le fait que ces actes sont et restent impunis car ils
constituent une politique à part entière. Si cette impunité était déjà
dénoncée et avait été soulignée lors de l’examen d’Israël par l’UNCAT en
2016, de nouvelles lois sont venues la renforcer depuis.
« Israël a été le
théâtre d’attaques massives et généralisées contre l’existence même des
organisations de défense des droits humains et des défenseurs des droits
humains », explique le rapport, qui pointe notament deux initiatives
qui menacent les libertés des défenseurs des droits qui dénoncent les
crimes commis en détention.
La première consiste en
un amendement à la loi sur les associations, qui imposera de sévères
restrictions financières et opérationnelles aux ONG recevant des fonds
d’entités gouvernementales étrangères : « Ce projet de loi oblige
les ONG à choisir entre sacrifier leurs activités principales ou faire
face à des conséquences financières désastreuses. Il limite sévèrement la
liberté d’expression et d’association, en particulier pour les groupes de
défense des droits humains et les groupes de plaidoyer, tandis que les
frais d’accès aux tribunaux menacent la capacité des petites
organisations à demander un contrôle judiciaire. Ce projet de loi
constitue une tentative délibérée de réduire au silence la société civile
par la coercition juridique et financière. »
La deuxième initiative
interdit toute coopération officielle entre les autorités israéliennes et
la Cour pénale internationale (CPI), criminalisant les citoyen-nes qui
aideraient la CPI de quelque manière que ce soit, une infraction passible
d’une peine pouvant aller jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et, dans
certains cas, d’une peine d’emprisonnement à perpétuité.
Étant donné que de
nombreuses ONG de défense des droits humains qui documentent les cas de
torture collaborent avec la CPI dans le cadre de la procédure relative à
la situation en Palestine, cette loi les paralyserait, menacerait leur
personnel et priverait les victimes de torture de tout recours.
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