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Article paru dans l'édition du 09.12.06

Le livre du jour  -  Critique

Israël-Palestine, parois étanches

 UN MUR EN PALESTINE de René Backmann. Fayard, 350 pages, 20 €.

Comment faut-il l'appeler : "mur", "clôture de séparation", "barrière de sécurité" ? La matérialisation de la frontière qui sépare la Palestine d'Israël est nommée de différentes manières en fonction du côté duquel on se place. Face à l'ouest ou face à l'est. A l'abri d'un côté, à l'ombre de l'autre. Sa création au printemps 2002 dans les collines de Cisjordanie a suscité bien des controverses. Grande muraille moderne pour empêcher les kamikazes d'aller faire exploser leur charge meurtrière au milieu des Israéliens ou instrument de colonisation permettant de grignoter d'autres parcelles de territoires palestiniens afin de mieux y implanter des colonies. Les deux explications sont valables.

Au départ, le projet était travailliste mais il devait totalement épouser la "ligne verte", cette frontière datant d'avant la guerre de six jours en 1967 qui délimitait Israël de la Jordanie. Ariel Sharon qui, après bien des tergiversations, s'est résolu à adopter sa construction, en a fait un instrument de conquête territoriale en traçant artificiellement et unilatéralement ce qui pourrait être, à l'avenir, le futur Etat palestinien.

Comme l'explique René Backmann dans cet ouvrage, le projet de Dany Tirza, concepteur de cette oeuvre pharaonique, est de 730 kilomètres, alors que "les documents du département des négociations de l'OLP s'en tiennent au chiffre de 680, et ceux de l'ONU parlent de 670 après rectification du tracé, qui avait été évalué à 622 kilomètres. Dans tous les cas, la longueur de la barrière est plus de deux fois supérieure à celle de la "ligne verte" (315 kilomètres)", écrit René Backmann. "Comment expliquer ces interminables méandres ? Pourquoi la barrière, qui ne suit la "ligne verte" que sur 20 % de son parcours, s'en écarte-t-elle parfois de 5 kilomètres ?" Selon un document des Nations unies cité par l'auteur de l'ouvrage, en juillet 2004, "la superficie des zones fermées, c'est-à-dire celles coincées entre la barrière et la "ligne verte", dépassait alors les 48 000 hectares, soit 8 % de la superficie totale de la Cisjordanie."

Rédacteur en chef au Nouvel Observateur et excellent connaisseur des réalités proches-orientales, René Backmann a suivi tous les méandres de cette longue plaie creusée dans les chairs des collines de la Cisjordanie. Il a rencontré les initiateurs et les victimes. Il a écouté les arguments de ses défenseurs et interrogé ceux qui la subissent. Tous ces Palestiniens coupés de leurs terres, de leur école, de leur famille, obligés à faire des détours de plus de 50 kilomètres, confrontés au bon vouloir des soldats qui commandent l'ouverture des barrières, prisonniers d'une muraille de 8 mètres qui contraint à ne voir l'avenir qu'en gris ciment.

René Backmann explique que, selon le ministère de la défense israélien, "chaque kilomètre de la barrière coûte 2,5 millions d'euros". Le budget total devrait atteindre 1,8 milliard d'euros. Des milliers d'hectares seront stérilisés, des milliers d'arbres ont été arrachés, des milliers de maisons ont été détruites. Il est impossible de tenir une comptabilité précise des destructions causées par la construction du "mur" qui, aujourd'hui, de Qalqiliya à Jérusalem en passant par Bethléem, fait partie du paysage avec ses innombrables check-points, ses files d'attente, ses routes séparées pour les Israéliens et les Palestiniens. Vous avez dit apartheid ? En Cisjordanie, dix-sept routes couvrant plus de 120 kilomètres sont interdites aux automobilistes palestiniens. Près de 250 kilomètres sont à "usage réglementé" et requièrent l'obtention d'un "permis spécial de déplacement" délivré par l'armée et plus de 360 kilomètres sont à "usage limité", ce qui implique le passage de check-points fixes ou mobiles. Pour René Backmann, "la barrière apparaît comme la suite logique, voire le complément historique de l'entreprise de colonisation entreprise il y a près de quarante ans... Elle enveloppe dans ses méandres d'acier ou de béton les trois quarts des colons".

Michel Bôle-Richard

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