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Bonjour,

Vous trouverez ici un ensemble d'articles relatifs au boycott culturel, après la décision des cinémas Utopia de retarder la projection d'un film israélien.

Cette question a fait l'objet d'un débat lors du dernier CA de l'AFPS Nord-Pas de Calais à propos d'un éditorial du "Monde" du 10 juin. Cet éditorial est publié sur le site de l'AFPS Nord-Pas de Calais, accompagné de la position de l'association. Vous le trouverez ici. Vous trouverez également un article, signé par un certain nombre d'universitaires, refusé par deux quotidiens de "référence" en Belgique (Le Soir et "la Libre Belgique" comme par "le Monde").

Le combat contre "Veolia transporteur colonial" se poursuit. Un courrier est envoyé aux représentants des groupes représentés à la Communauté urbaine de Lille, comme aux responsables de celle-ci. C'est le vendredi 25 juin, à partir de 14 heures que le conseil communautaire doit faire son premier choix pour les transports dans la métropole lilloise. Nous sommes en cours de lancement d'une campagne de masse afin que l'agglomération lilloise fasse, comme Stockholm et Dublin, le choix du respect des droits nationaux du peuple palestinien.

Bien cordialement,

Jean-François Larosière
Président de l'AFPS Nord-Pas de Calais


 

Le boycott contre Israël s’étend jusqu’au domaine culturel

 

L’éditorial du « Monde » daté du 10 juin, est ainsi titré : « Ne boycottons pas les artistes israéliens ». Cette prise de position d’un quotidien qui reste une référence pour beaucoup, en France et à l’étranger, mérite certes qu’elle soit connue, mais il est impératif que ceux qui se réclament de boycott/désinvestissement/sanctions puissent se faire entendre aussi sur la question du boycott culturel.

 

On notant que le réseau Utopia, en cause dans cet éditorial, qui après avoir envisagé de ne pas diffuser le film israélien « A cinq heures de Paris », le programme de façon retardée, a été victime d’attaques odieuses d’amis d’Israël il y a quelques mois pour son soutien à la résistance palestinienne.

 

Ce que le quotidien du soir vise ce sont les actions de boycott avec annulations de tournées d’ « artistes divers ». Un vrai mouvement s’amorce d’isolement de l’Etat israélien dans le domaine artistique. Effectivement cela va bien au delà de la programmation d’un film et c’est ce qui amène « Le Monde »  à indiquer que ce « n’est pas acceptable ». Et le quotidien de mettre en avant « des voix et des regards israéliens qui sont parmi les plus intransigeants sur leurs gouvernements » et qui seraient  fragilisées par le « boycottage ».

 

Ce qui a d’abord fragilisé ces voix, c’est leur silence durant les guerres menées depuis 2006 tant contre le peuple libanais que contre le peuple palestinien, par les gouvernements israéliens. Si elles veulent se faire entendre elles le peuvent. Elles peuvent même rejoindre le mouvement en cours des Palestiniens de l’intérieur qui développent les actions de boycott/désinvestissement/sanctions.

 

Ce mouvement de boycott n’est pas apparu « début 2009 », il résulte d’un appel de 172 organisations de la société civile palestinienne de 2005. Il est vrai que le massacre de Gaza de l’an dernier lui donne une particulière vigueur partout dans le monde comme dans notre pays. Le congrès national de l’AFPS à Saint Denis en mai 2009 se réclame d’un boycott politique, économique, sportif et culturel. Cela avait été le cas pour l’Afrique du Sud de l’apartheid. C’est ainsi que l’AFPS Nord-Pas de Calais a indiqué l’an dernier que la troupe de cirque israélienne « no problem », qui ne se dissociait pas de la politique de son gouvernement n’avait pas à jouer dans la métropole.

 

Israël doit être isolé à la hauteur de ses crimes. L’on notera que le domaine culturel est un des instruments de la contre offensive depuis l’été 2009 qu’il mène afin de rompre son isolement. Il se trouve des régions, ou des villes, qui se prêtent à la manœuvre : ainsi la région Centre, ainsi Paris et son festival Tel Aviv,  et l’on a noté la présence de représentants de la municipalité de Lille lors de la réunion en octobre à Paris des villes jumelées avec les villes israéliennes. La culture est ici l’instrument d’une politique d’occupation de la Palestine. Et cela dépasse, et de loin, le cas de tel ou tel artiste

 

Le soutien au peuple palestinien, comme à l’application de ses droits nationaux passe aussi et nécessairement  par le boycott culturel.

 

Jean-François Larosière

Président de l’AFPS Nord-Pas de Calais

 


Ne boycottons pas les artistes israéliens

Edito du Monde  du 9 Juin 2010

http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/06/09/ne-boycottons-pas-les-artistes-israeliens_1370026_3232.html

 

Faut-il boycotter Israël ? La question agite et mobilise les milieux culturels. Apparue début 2009, lors des bombardements israéliens sur Gaza, la question est de nouveau posée après l'assaut mené par Tsahal contre un bâtiment turc de la flottille humanitaire décidée à forcer le blocus de ce territoire palestinien.

En France, les salles de cinéma Utopia ont annoncé, dans un premier temps, leur intention de déprogrammer la comédie sentimentale A 5 heures de Paris, premier film de l'Israélien Leonid Prudovsky, qui sort en salles le 25 juin. Finalement, Utopia a fait volte-face et diffusera le film. Des festivals français envisagent de déprogrammer des chanteurs ou des chorégraphes israéliens.

Ailleurs, des artistes divers, individus ou groupes rock, britanniques ou américains, ont annulé leur voyage à Jérusalem ou à Tel-Aviv : Pixies, Gorillaz, Klaxons, Elvis Costello, Carlos Santana... L'écrivain suédois Henning Mankell, auteur de romans policiers au succès planétaire et qui se trouvait à bord de la flottille, "réfléchit" à la possibilité d'interdire la traduction en hébreu de ses ouvrages. Le cinéaste britannique Ken Loach ou l'actrice américaine Jane Fonda ont appelé au boycottage de festivals occidentaux qui mettaient en valeur des films israéliens.

Ce mouvement est dangereux : l'assaut de la flottille est indéfendable, mais la réponse du boycottage n'est pas acceptable. Elle est contre-productrice. Elle contribuerait à fragiliser des voix et des regards israéliens qui sont parmi les plus intransigeants sur leur gouvernement. S'il y a un pays dont les créateurs auscultent avec talent et lucidité leur Etat, leur société, leurs dirigeants et leur politique, c'est bien Israël.

Prenons le cinéma. Nombre de films sont financés par l'Israeli Film Fund, un organisme public régulièrement attaqué par l'extrême droite du pays, en raison de son soutien à des oeuvres perçues comme des ennemies d'Israël, et largement diffusées en Occident. Amos Gitaï a évoqué la spoliation dont ont été victimes les Palestiniens. Keren Yedaya a dénoncé les disparités sociales et la condition faite aux femmes. Raphaël Nadjari ou David Volach ont alerté sur la montée de l'intolérance religieuse. Valse avec Bachir, d'Ari Folman, et Lebanon, de Samuel Maoz, dénoncent la guerre au Liban. Quant au conflit israélo-palestinien, il est au coeur de films comme Jaffa, de Keren Yedaya, ou Ajami, de Scandar Copti et Yaron Shani, ou de l'oeuvre documentaire rageuse et percutante d'Avi Mograbi.

Dans le sillage du philosophe Yeshayahou Leibowitz ou du romancier Amos Oz, le cinéma est l'une des voix les plus exigeantes d'Israël. Un peu de la conscience du pays. Il serait grave de s'aligner sur la plupart des pays arabes, qui boycottent toute création de leur voisin. L'Egypte a connu un triste épisode lors d'un festival franco-égyptien organisé en avril par la France : aucun prix n'a été remis parce que les membres égyptiens du jury ont démissionné pour protester contre la présence d'un film israélien. Boycotter, c'est censurer. C'est la pire réponse.


UTOPIA, Se réveiller

Par Eyal Sivan, le 14 Juin 2010

http://www.aloufok.net/spip.php?article2031

 

Cela fait des années que les salles du réseau Utopia accueillent à la fois les films et les débats autour d’importants sujets de société dont la France d’en-haut n’aime pas discuter. Les salles Utopia font le lien entre un cinéma indépendant, les réseaux associatifs locaux et les spectateurs. Mais parmi tous les débats, c’est le conflit israélo-palestinien qui soulève le plus de passions.

Qu’on soit pour ou contre la décision prise par le réseau Utopia de se désengager de la sortie nationale du film israélien "A 5 heures de Paris" de Leonid Prudovsky en décalant sa sortie de quelques semaines, pour programmer un autre film réalisé par une cinéaste israélienne "Rachel", de Simone Bitton, le réseau Utopia doit être salué pour avoir utilisé sa liberté d’action et d’expression.

Salué pour avoir désenclavé le débat complexe à propos du boycott académique et culturel du régime israélien et l’avoir transformé en un mode d’action qui mérite d’être discuté. L’appel au BDS (Boycott Désinvestissement Sanction) a été émis par des sociétés civiles palestiniennes et relayé par des centaines d’associations à travers le monde, y compris par des organisations et personnalités israéliennes. L’amalgame entre l’appel au boycott (dont les règles sont précises et n’impliquent pas des individus, mais des organisations) avec l’acte de solidarité d’Utopia a permis, malgré la campagne de désinformation, de désenclaver un débat ouvert depuis un long moment déjà, partout en France, y compris dans les salles Utopia, mais qui était boycotté par les médias et donc ignoré du grand public.

En agissant ainsi, Utopia a répondu à un appel pressant de relayer la critique, l’opposition et la contestation exprimées dans le cinéma palestinien et dans certains films israéliens, et de les transformer en une action citoyenne.

Il s’agit de changer les relations entre les films, les diffuseurs / programmateurs et les spectateurs du cinéma en provenance d’Israël-Palestine. Car, grand consommateur de cinéma israélien, et parfois palestinien, le public français (et européen) n’est pas que l’otage de la machine de soutien à la distribution cinématographique du gouvernement israélien. Le public français et européen est aussi avide de comprendre, et avide d’espoir.

A la question incessante posée par le public lors de débats dans les quelques salles qui accueillent les films boycottés par les grand circuits : "Que peuvent faire des citoyens lorsque le gouvernement français et les hommes et femmes politiques n’ont pas seulement démissionné d’un quelconque rôle dans le conflit israélo-palestinien, mais qu’ils se sont alignés, en solidarité, parfois obscène (comme ce fut le cas au lendemain de l’attaque Israélienne sur Gaza), derrière la politique criminelle des autorités israéliennes ?" L’équipe de Utopia a répondu par un acte citoyen et professionnel.

Car le métier d’un programmateur consiste aussi à contextualiser les films. Utopia a donc décidé de décaler la programmation d’une comédie sentimentale israélienne (sans que sa qualité cinématographique soit remise en question), pour programmer un film qui prouve malheureusement à la fois la qualité prémonitoire du documentaire, et son actualité. "Rachel", le film de Simone Bitton, raconte l’histoire d’une militante pacifiste de 24 ans participant à un mouvement international de solidarité qui fut écrasée par un bulldozer de l’armée israélienne alors qu’elle protestait contre la démolition des maisons de Palestiniens dans la Bande de Gaza. "Rachel Corrie", c’est aussi le nom d’un des bateaux de la flotille qui a tenté de rejoindre Gaza, sans succès.

C’est parce que les programmateurs d’Utopia regardent et connaissent les films qu’ils programment, parce qu’ils connaissent si bien le cinéma israélien et palestinien, qu’ils ont pu agir immédiatement et marquer ainsi leur colère et leur protestation. Alors qu’à nouveau les autorités israéliennes employaient brutalité et censure des images, Utopia a décidé de programmer "Rachel", exprimant sa solidarité avec la Flotille Free Gaza, s’opposant à la version officielle israélienne, et refusant que ce crime d’Etat ne soit aussitôt oublié parmi la dramatique actualité des faits divers.

En privilégiant une forme de cinéma à une autre, un discours face à un autre, un petit film indépendant que 99% des salles françaises n’ont pas programmé à un film qui bénéficie d’une sortie nationale dans 50 salles, Utopia a agi en programmateur professionnel, libre et (certes) engagé.

Depuis des années, Utopia sert de réseau de distribution aux films israéliens comme palestiniens refusés par les grands circuits de distribution français. Aujourd’hui, Utopia montre que la protestation à l’égard de la politique israélienne et le rappel permanent au respect du droit international peuvent se faire à tous les échelons de notre société. Mais il faut oser rendre le débat public.

En effet, c’est la question des relations entre le cinéma israélien et le pouvoir israélien qui a été soulevée. Il n’est pas surprenant que ce soit le boycott académique et culturel qui soulève les débats les plus vifs. Ce n’est pas seulement à cause de sa complexité, mais surtout à cause de l’utilisation des produits culturels israéliens par l’appareil de propagande et de markéting d’Israël (ce n’est pas le propos ici, mais il faudra par ailleurs prendre le temps d’étudier le phénomène du succès du cinéma israélien, ainsi que la relation entre son contenu et la promotion étatique dont il bénéficie).

Limor Livnat, ministre de la culture israélienne, ne cesse de le répéter : "Le cinéma israélien prouve à chaque fois que la culture est la meilleure ambassadrice de l’Etat". En effet, alors que le cinéma israélien (et particulièrement le cinéma documentaire) ne bénéficie d’aucun soutien pour sa diffusion/distribution en Israël, il est largement soutenu et financé par les services culturels des ambassades israéliennes. Pour exemple, s’ouvrira le 21 juin à Marseille un Festival de films israéliens soutenu par le consulat d’Israël. Ce type de manifestations officielles se déroule parfois à l’insu des auteurs, qui ont déjà appelé plusieurs fois à ne pas être instrumentalisés par le gouvernement israélien, quelquefois avec des pressions commerciales des distributeurs sur les réalisateurs, comme ce fut le cas cet hiver au Forum des Images à Paris lors de la rétrospective Tel-Aviv, et souvent par le refus des auteurs eux-mêmes d’exprimer un quelconque engagement politique.

Les détracteurs diront que la promotion par les autorités israéliennes d’un cinéma qui peut être considéré comme critique est un signe de santé démocratique. Nous savons tous qu’aucun Etat démocratique en guerre ne promeut ses opposants, et quand il le fait ça s’appelle de la propagande. La promotion de certains films dits "critiques" est un intérêt d’Etat, ce qui explique que même le ministre des affaires étrangères actuel, le leader d’extrême-droite Avigor Liebermann, n’a pas donné l’ordre aux services consulaires de cesser le soutien à la distribution à l’étranger de certains films, considérés à l’étranger comme "critiques". Il s’agit naturellement de maintenir l’illusion démocratique, alors que le régime d’apartheid dans les territoires occupés par Israël prive plus de trois millions de personnes d’accès à la culture et à l’éducation, et cela depuis plusieurs dizaines d’années.

Le cinéma israélien a été clairement désigné par les autorités israéliennes comme un produit d’exportation dans lequel il vaut la peine d’investir, même si les spectateurs et cinéastes israéliens n’en profitent pas. A l’ouverture du Festival International du Film à Haïfa en 2007, le président israélien Shimon Peres a rappelé que "le cinéma américain a créé l’image de la grande Amérique dans le monde, car ce cinéma a plus d’influence que l’armée ou l’administration américaines. Les films nous permettent de rêver d’être plus beaux, plus intelligents et meilleurs. Et si le rêve américain a été créé par Hollywood, pourquoi ne pourrions-nous pas, nous aussi, rêver ?" Peres appelle à une augmentation des investissements, considérant le cinéma comme un moyen d’endormissement des masses.

J’espère qu’Utopia incitera beaucoup d’autres à réveiller les Israéliens du rêve illusoire dans lequel ils se sont enfermés, avant que la réalité ne devienne un cauchemar pour nous tous.

Merci Encore

Eyal Sivan
Cineaste Israélien
Associate Professor in Media Production
University of East London (UEL)


L'« affaire Utopia » autour du film israélien : une polémique obscène

Par Simone Bitton le 14 Juin 2010

http://www.rue89.com/bitton/2010/06/14/laffaire-utopia-autour-du-film-israelien-une-polemique-obscene-154777

 

Les échos du brouhaha autour de la déprogrammation du film « A cinq heures de Paris » par le réseau de salles Utopia - et son remplacement par mon film « Rachel » - me sont parvenus tardivement, plus d'une semaine après le début de cette étonnante polémique. Je suis actuellement au Maroc où j'enseigne à l'école de cinéma de Marrakech, et ne suis bien entendu pour rien dans cette initiative des animateurs d'Utopia, de même que mon producteur ou mon distributeur français , qui me disent avoir simplement remarqué une très légère hausse dans le volume des demandes d'exploitation du film, tant en France qu'à l'étranger, ce qui est tout à fait normal s'agissant d'un film dont le sujet résonne fortement avec l'actualité.

Tout comme Leon Prudovsky (le réalisateur du film déprogrammé), je ne contrôle pas la distribution de mes films , ces choses se passent entre exploitants et distributeurs. Comme lui, il m'est arrivé à plusieurs reprises d'avoir la mauvaise surprise d'apprendre qu'une sortie en salles ou une diffusion télévisée d'un de mes films était annulée ou repoussée afin de laisser place à un autre film, à une rediffusion ou à une émission spéciale suite à tel ou tel événement.

Ce sont des choses désagréables qui arrivent souvent dans notre métier, mais s'agissant de « A cinq heures de Paris », qui bénéficie d'une sortie française sur une cinquantaine d'écrans, cette déprogrammation n'a rien de dramatique, d'autant que le film sera montré dans les salles Utopia un peu plus tard.

Une Israélienne remplace un Israélien !

Je ne connais pas Léon Prudovsky, mais j'ai lu quelque part que tout en étant « un peu attristé » par cette mésaventure , il n'en fait pas lui-même un si grand cas, et ce n'est pas lui, ni son distributeur, qui ont initié la polémique un peu grotesque qui voudrait faire de lui la victime d'un terrible acte de censure « antisémite ». Il faut dire que s'agissant d'antisémitisme, il y a plus caractérisé que de remplacer le film d'un Israélien par le film d'une Israélienne !

« Rachel », qui est distribué en France depuis quelques mois, est une enquête cinématographique sur la mort de Rachel Corrie, une jeune pacifiste américaine écrasée par un bulldozer militaire israélien dans la bande de Gaza en mars 2003, alors qu'elle tentait d'empêcher la destruction d'une maison palestinienne.

Rachel était la première militante internationale a payer de sa vie son engagement non-violent aux côtés des Palestiniens, et c'est pourquoi l'un des bateaux de la flotille militante arraisonnée par l'armée israélienne, avec les conséquences tragiques que l'on sait, portait son nom.

On comprendra aisément que j'ai été - et que je suis encore - particulièrement choquée par la mort des passagers du « Marmara » et l'arraisonnement du « Rachel Corrie ».

On comprendra aussi qu'après avoir enquêté pendant trois ans sur la mort de Rachel Corrie pour réaliser mon film, et en particulier après avoir enquêté sur l'enquête militaire interne israélienne particulièrement baclée qui avait suivi cette tragédie, je suis assez bien placée pour pouvoir apporter un éclairage circonstancié sur les événement actuels.

Mais, fort étrangement, si j'ai bien été sollicitée ces derniers jours par quelques journalistes français, c'était en général pour me demander de réagir à « l'affaire Utopia », et pas à l'assassinat de neuf militants pacifistes par l'armée israélienne, des militants qui ressemblaient à Rachel, et qu'il me semble connaître sans même savoir leurs noms.

Je n'ai pas envie de participer à cet emballement médiatique bien franchouillard, avec son cortège de formules passe-partout inlassablement recyclées dans la centrifugeuse des échanges de communiqués, de pétitions, de tribunes et d'invectives.

Une polémique dérisoire et obscène

Si j'écris ce petit texte, plutôt que de répondre à ces sollicitations qui me consternent, c'est simplement pour dire combien tout cela me parait bien dérisoire, déplacé et quelque peu obscène. Des dangers de « l » importation du conflit » et autres « amalgames », jusqu'à la sanctifictation de la « diversité culturelle », en passant par la dénonciation rituelle de la « censure » , du « boycot », et de l » « antisémitisme qui avance masqué sous l'antisionisme ».

Tout ce ronflement de mots creux autour de cette petite affaire de remplacement d'un film par un autre dans quelques salles de cinéma en France, tout cet espace médiatique envahi par ce non-événement alors que les corps des victimes de l'assaut meurtrier sont à peine enterrés et que la place manque pour parler d'eux, raconter leurs courtes vies, enquêter sur leur mort, démonter la machine de propagande bien huilée qui s'est mise en branle immédiatement pour transformer des commandos d'elite armés jusqu'aux dents en pauvres gamins agressés et des pacifistes assassinés en dangereux suppots du terrorisme international - en bref : pour informer sérieusement sur l'essentiel plutôt que de se vautrer dans l'accessoire.

Les soldats qui ont donné l'assaut au « Marmara » dans les eaux internationales et ceux qui ont « interrogé » les survivants menés contre leur gré en Israël ont confisqué leurs appareils photos, leurs caméras, leurs téléphones portables qui avaient enregistré des images terrifiantes. Images dévastatrices, non pas pour « l'image d'Israël » (cet autre formule creuse affectionnée par les commentateurs du vide), mais dévastatrices tout court.

Certaines de ces images ont été sauvées de l'anéantissement et circulent sur le web. Très peu de médias français les publient. Ceux qui ouvrent généreusement leurs colonnes à « l'affaire Utopia » et aux pourfendeurs de la « censure » n'ont curieusement plus de place pour elles, ou ne les trouvent pas aussi intéressantes qu'un énième rabâchage paranoïaque, un énième texte prétentieux et donneur de leçons à un petit circuit de salles indépendants.

On se demande : qui censure qui et qui boycotte quoi ?

Utopia accueille des films du monde entier

Et pourquoi ce déferlement de réactions furieuses - même ministérielles ! - à l'encontre d'une équipe qui accueille depuis belle lurette des films d'auteurs du monde entier, et parmi eux beaucoup de films israéliens et palestiniens de qualité, en les gardant à l'affiche plusieurs semaines alors que les gros circuits s'en débarrassent dès qu'un film plus rentable financièrement pointe le bout de son nez ?

Une équipe qui pousse le respect des œuvres et des cinéastes jusqu'à expliquer et à assumer ses choix , ses hésitations, ses coups de gueule et ses élans de solidarité alors que d'autres se contentent de relayer les dossiers de presses fournis par les distributeurs, toutes choses rarissimes et d'autant plus précieuses.

Traiter les gens d'Utopia de « censeurs » et de « boycotteurs de culture », c'est grotesque. Pour offrir à leur public un regard personnel venant d'Israël, ils ont fait, cette semaine, le choix peu lucratif du documentaire plutôt que celui de la fiction. N'est-ce pas cela, aussi, qui dérange ? N'est-ce pas cela qui fait peur ?

Lundi matin, je retrouverai mes étudiants marocains, et je me replongerai avec eux dans le travail riche et intense de leur initiation à la pratique du mode d'expression qui est le mien. Ensemble, nous ouvrons les yeux sur les réalités qui nous entourent, nous apprenons à les décrypter et à les restituer par le prisme de nos regards subjectifs.

Jour après jour, lors de longues journées de tournage dans la chaleur, la poussière et l'éblouissement des couleurs, nous nous exposons à la splendeur des paysages, à la richesse des traditions et des dialectes, à l'humour populaire et au raffinement des lettrés mais aussi, et parfois sans transition, à la misère des douars, à la détresse des pauvres, aux contraintes et aux interdits imposés par des politiques effrayés par la parole des citoyens.

Aider leurs spectateurs à ne pas être dupes

Nous mettons les propagandes et les discours officiels à l'épreuve du réel, en nous gardant bien de tomber dans le piège de la dénonciation manichéenne et de la manipulation des discours. Bref, nous faisons, jour après jour, l'apprentissage toujours renouvelé de la rigueur documentaire, tout en restant avant tout des artistes, des poètes, des magiciens de l'image, des sons, de la musique.

Nous apprenons à raconter une histoire en laissant une place à l'imaginaire du spectateur. Et chaque soir, lorsque nous revenons dans nos univers familiers, c'est avec un regard neuf, lavé par le chemin accompli vers l'autre, que nous reprenons contact avec les représentations médiatiques de l'actualité.

Nous sommes alors en condition de mesurer, le plus souvent, l'accablante superficialité de ces représentations . Comme je le dis souvent à ces jeunes gens qui ont choisi le cinéma : nos films n'ont pas le pouvoir de changer le monde. Mais ils ont certainement celui d'aider leurs spectateurs à ne pas être dupes de la représentation médiatique du monde.


 

 

Belgique : "Carte blanche" refusée

Par Annie Bannie, le 12 juin 2010

http://www.info-palestine.net/article.php3?id_article=8917

 

 

A la suite de l’attaque meurtrière israélienne sur la flottille humanitaire Free Gaza, une « carte blanche » (texte ci-dessous) a été rédigée par des professeurs d’Universités et divers acteurs de la société civile. La publication de ce texte a été refusée par les deux quotidiens belges francophones de référence, Le Soir et La Libre Belgique ainsi que par le quotidien français Le Monde.


L’argument avancé par les trois journaux est identique : « Manque de place ! ». Il est à noter qu’entre l’envoi de notre texte à La Libre Belgique et la réception de leur réponse négative : il s’est exactement écoulé 18 minutes ...

Les auteurs sont aussi consternés par ce triple refus que par la gravité des faits qui ont suscité le texte. Contournant ce rejet d’ouvrir un débat à la hauteur de l’indignation planétaire qu’à provoqué le dernier crime de l’État d’Israël, nous avons entrepris de faire circuler ce texte en dehors des médias traditionnels. Nous vous invitons à le diffuser largement. Sa circulation massive démontrera la futilité des efforts de ceux qui pensent qu’il est encore possible aujourd’hui d’étouffer un débat légitime et nécessaire.

Olivier Mukuna

La Belgique, complice de crimes de guerre ?

En 2009, le Conseil des droits de l’homme des Nations-Unies adopte une résolution condamnant l’absence de collaboration d’Israël à l’enquête de la commission conduite par le juge Goldstone. Son rapport concluait que des « actes assimilables à des crimes de guerre et peut-être, dans certaines circonstances, à des crimes contre l’humanité » avaient été commis par l’armée israélienne et des militants palestiniens lors de l’offensive militaire israélienne contre Gaza fin décembre 2008. Que fait la Belgique lors du vote de ladite résolution ? Elle s’abstient !

1,5 millions de Gazaouis survivent dans une bande de terre équivalente à 1% de la superficie du territoire belge, en situation de catastrophe humanitaire depuis l’embargo illégal imposé par Israël en juin 2007. Un convoi civil maritime tente de forcer ce blocus en apportant une aide humanitaire aux assiégés. Il est assailli dans les eaux internationales par les militaires israéliens qui tuent, blessent ou enlèvent un nombre encore indéterminé de civils dont 5 Belges. Le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU vote une résolution relative à la mise en place d’une « mission d’enquête internationale ». Que fait la Belgique ? Elle s’abstient !

Le blocus de Gaza est justifié par la prise du pouvoir par le Hamas en juin 2007. Mais pourquoi celui-ci ne pourrait-il pas exercer le pouvoir, alors qu’il a gagné les élections en janvier 2006 dans l’ensemble du territoire plus ou moins administré par les Palestiniens ? En quoi le Hamas serait-il moins légitime que le parti d’extrême-droite du ministre israélien des Affaires étrangères ?

Le Hamas est accusé de vouloir détruire Israël, ce qui est supposé justifier toutes les sanctions contre les habitants de Gaza. Mais la revendication fondamentale du Hamas, comme de tout le mouvement national palestinien depuis la création d’Israël en 1948, c’est le droit au retour pour les réfugiés expulsés ou ayant fui à l’époque. Au nom de quoi refuse-t-on à des réfugiés de rentrer chez eux après un conflit ? De plus, ce droit est sanctionné à la fois par l’article 13 de la Déclaration Universelle des droits de l’homme et par la résolution 194 du Conseil de Sécurité de l’ONU. Mieux, comment peut-on considérer qu’un « peuple » a le droit de « revenir » sur une terre habitée par ses supposés ancêtres il y a 2000 ans, mais que les habitants de cette terre en 1948 ou leurs enfants n’ont pas ce droit ?

En pratique, le mouvement national palestinien, y compris le Hamas, accepte de renoncer à ce droit et se borne à demander l’établissement d’un Etat palestinien sur les seuls 22% de la Palestine historique conquis par Israël en 1967. Plus globalement, un plan de paix adopté par le Sommet arabe en 2002 propose la reconnaissance d’Israël par les Etats arabes en échange de son retrait des territoires conquis en 1967. Ceux-là même que la résolution 242 du Conseil de Sécurité de l’ONU exige qu’Israël évacue.

Depuis le « processus de paix » d’Oslo, qui remonte à 1993, cette solution -deux Etats pour deux peuples - est bloquée. Mais par qui ? Comment peut-on penser que c’est le faible, celui qui n’a pas d’Etat, qui empêche le fort de lui en octroyer un ? Quand la résistance palestinienne est non violente, on étend la colonisation. Quand elle devient violente, Israël en prend prétexte pour justifier l’arrêt des négociations.

Guerre du Liban, blocus et assauts contre Gaza, assassinats ciblés de leaders politiques palestiniens, extension constante des colonies et aujourd’hui, attaque en haute mer de civils ressortissants de plus de 40 pays différents. A chaque fois, Israël oppose la même justification : sa raison d’Etat prime sur le droit et les Institutions internationales. Un tel mépris de la Communauté internationale n’est possible que par la complaisance conciliante des gouvernements des Etats-Unis et de l’Union Européenne.

Sans doute les pacifistes du Free Gaza Flotilla n’avaient-ils plus grande confiance dans les organisations internationales pour exprimer leur refus du blocus de Gaza. Ils ont cher payé, certains de leur vie, la lâcheté de leurs représentants politiques, souvent si prompts à condamner verbalement Israël pour mieux occulter leur obstruction à toute action coercitive sanctionnant l’état hébreu. La récente adhésion d’Israël à l’OCDE à l’unanimité de ses membres, dont la Belgique, n’est pas faite pour les contredire.

Faut-il rappeler qu’en 2007 la Belgique fut le cinquième exportateur d’armes européen vers Israël ?

Faut-il rappeler que les aéroports belges demeurent des points de passage obligés pour les importations israéliennes ? Que l’Union Européenne est le premier partenaire commercial d’Israël ?

Faut-il rappeler que le droit international reconnait la légitimité de la résistance armée en cas d’occupation ? Que face à la répression coloniale, les peuples recourent bien souvent à la violence, y compris parfois sous des formes terroristes ?

Faut-il rappeler que l’immense majorité du monde non occidental, ainsi qu’une partie croissante de notre opinion publique, s’indignent de la duplicité de nos représentants politiques et considèrent que celle-ci discrédite nos principes et valeurs démocratiques ?

Il convient donc de prendre acte de la complicité passive de nos Autorités et de balayer devant notre porte : comment pouvons-nous en tant que citoyens de Belgique nous désolidariser de l’ethnocide en cours des Palestiniens ?

Notre intérêt bien compris doit nous mener à répondre positivement à l’appel de la société civile palestinienne demandant le boycott d’Israël tant qu’il violera le droit international.

Jamila Bouajaja (Economiste ULB)

Jean Bricmont (Professeur UCL)

Souhail Chichah (Economiste ULB)

Jean-Marie Dermagne (Avocat et ancien Bâtonnier)

Jamal Essamri (Sociologue)

Oscar Flores (CRER - Coordination de solidarité avec les réfugiés)

Bahar Kimyongür (Membre du Front populaire - Turquie)

Olivier Mukuna (Journaliste)

Monique Mbeka Phoba (Réalisatrice)

Anne Morelli (Professeure ULB)

Nouria Ouali (Sociologue ULB)

Pierre Piccinin (Professeur Sciences-Po Ecole Européenne)

Aurore Van Opstal & Abdellah Boudami (Co-auteurs de « Israël, parlons-en ! »)


 

Le boycott d’Israël, pourquoi et comment ?

Par Françoise Germain-Robin, article paru dans l’Humanité le 14 juin 2010

http://www.humanite.fr/article2768002,2768002

 

Boycott, désinvestissement, sanctions. BDS contre l’apartheid et l’occupation de la Palestine, d’Omar Barghouti. La Fabrique 2010, 185 pages, 14euros.

Ce livre est d’autant plus utile qu’il répond à nombre des questions qui surgissent en ce moment dans le mouvement de solidarité avec la Palestine à propos de la campagne BDS (boycott, désinvestissement, sanctions), qui peine à s’imposer. L’auteur, Omar Barghouti, vit à Ramallah. Philosophe et chorégraphe, très engagé dans l’action culturelle mais aussi dans les forums sociaux, il est un des auteurs de l’Appel à la société civile palestinienne pour le boycott (le texte, de 2005, figure dans les annexes), mais aussi de l’Appel pour le boycott culturel et universitaire d’Israël, lancé fin décembre 2008, en pleine agression contre la bande de Gaza. C’est le plus controversé : nombre de gens font valoir que c’est précisément chez les intellectuels israéliens que se recrutent les militants les plus avancés, ceux qui combattent l’occupation et la colonisation à l’origine de tous les maux. Et que la culture (cinéma, théâtre, roman) est l’un des moyens de leur combat. Tout le raisonnement d’Omar Barghouti consiste à montrer qu’il y a largement autant de raisons pour la communauté internationale de boycotter Israël maintenant qu’elle en avait de mettre l’Afrique du Sud sous embargo pendant l’apartheid. Il ne manque pas d’arguments. Il cite notamment les réactions de personnalités progressistes sud-africaines en visite dans les territoires occupées et horrifiées par les similitudes entre les deux systèmes d’oppression. Il explique aussi pourquoi ce livre maintenant : « Il y a urgence. Israël n’est plus “seulement ” coupable d’occupation et d’apartheid. Il s’est lancé dans la phase finale de sa tentative d’évaporation du peuple palestinien, et cela en toute impunité. C’est pourquoi : BDS maintenant ! »

 

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