L’industrie
florissante du génocide
Par Jonathan Ofir, le 9 juillet 2025
https://www.chroniquepalestine.com/industrie-florissante-genocide/
… La
Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des droits de
l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, Francesca
Albanese, a publié le 30 juin un rapport fondateur intitulé « De
l’économie de l’occupation à l’économie du génocide ».
Ce
rapport se concentre sur les entités économiques qui tirent profit du
génocide actuel à Gaza.
Bien
que le rapport lui-même cite de nombreux noms, allant des États aux
entreprises, en passant par les banques et les universités, Mme Albanese
conclut que « les entités mentionnées dans le présent rapport ne
constituent qu’une fraction d’une structure beaucoup plus profonde
d’implication des structures marchandes, qui facilitent les violations et
les crimes commis dans les territoires palestiniens occupés parce qu’ils
en tirent profit ».
Ce
rapport fait suite à deux autres rapports importants publiés par Albanese
l’année dernière : « Anatomie
d’un génocide » en mars 2024 et « Le
génocide comme méthode coloniale d’effacement » en octobre 2024. Dans
ce dernier, Albanese a montré comment Israël étend son génocide de Gaza à
la Cisjordanie.
Selon
elle, il existe trois éléments principaux dans la prise de contrôle
colonialiste d’Israël : le déplacement, le remplacement et l’effacement.
Le génocide est la forme la plus extrême d’effacement, mais il répond à
une logique d’élimination plus large qui s’inscrit dans le cadre d’un plan
plus vaste d’« effacement colonial ».
Compte
tenu de son mandat sur les territoires occupés depuis 1967, c’est là
qu’Albanese concentre son analyse. L’occupation israélienne depuis 1967 a
bénéficié d’un large soutien économique, en particulier de la part du
monde des affaires, et ces acteurs ont pour la plupart continué à
apporter leur soutien alors qu’Israël passait à la phase suivante de
l’effacement colonial : le génocide.
Ce
rapport vise à montrer comment des entreprises ont permis le déplacement,
le remplacement et l’effacement de la vie palestinienne, en exposant «
l’intégration des économies de l’occupation coloniale et du génocide ».
Le rapport se termine par un appel à l’action émouvant. Selon les termes
d’Albanese, « les activités commerciales qui permettent et tirent profit
de l’anéantissement de la vie de personnes innocentes doivent cesser. Les
entreprises doivent refuser de se faire complices de violations des
droits humains et de crimes internationaux, faute de quoi elles auront à
rendre des comptes ».
…
…
Albanese
consacre naturellement une section au secteur militaire, intitulée «
Secteur militaire – le commerce de l’élimination », qui montre comment
l’industrie militaire sert des intérêts économiques nationaux et
internationaux majeurs.
Albanese
explique :
« Le complexe militaro-industriel est devenu le pilier
économique de l’État. Entre 2020 et 2024, Israël était le huitième
exportateur d’armes au monde. Les deux plus grandes entreprises
d’armement israéliennes – Elbit Systems, créée sous forme de partenariat
public-privé puis privatisée, et Israel Aerospace Industries, détenue par
l’État – figurent parmi les 50 premiers fabricants d’armes au monde. »
Et
il y a la coopération avec les États-Unis, qui a abouti au programme
d’avions F-35, un effort international de grande envergure :
« Israël bénéficie du plus grand programme d’achat
d’équipements de défense jamais mis en place – pour l’avion de combat
F-35 – dirigé par la société américaine Lockheed Martin, aux côtés d’au
moins 1 650 autres entreprises, dont le fabricant italien Leonardo S.p.A,
et huit États… Après octobre 2023, les F-35 et les F-16 ont joué un rôle
essentiel dans l’équipement d’Israël en lui donnant une puissance
aérienne sans précédent, qui lui a permis de larguer environ 85 000
tonnes de bombes, dont la plupart non guidées, tuant et blessant plus de
179 411 Palestiniens et détruisant Gaza. »
Il
y a aussi les drones Elbit, qui sont également le fruit d’une
collaboration internationale :
« Des fournisseurs tels que la société japonaise FANUC
Corporation fournissent des machines robotisées pour les chaînes de
production d’armes, notamment à Israel Aerospace Industries, Elbit
Systems et Lockheed Martin ».
Et le transport maritime, bien sûr, donc
encore une fois Mærsk :
« Des compagnies maritimes telles que la danoise A.P.
Moller – Maersk A/S transportent des composants, des pièces, des armes et
des matières premières, assurant un flux constant d’équipements
militaires fournis par les États-Unis après octobre 2023. »
Il
y a donc l’industrie militaire brute, que les gens associent évidemment
aux pires attaques contre les Palestiniens, mais l’appareil de contrôle
d’Israël sur la Palestine et les Palestiniens ne s’arrête pas là. Il est
si énorme et si interconnecté à l’échelle mondiale qu’il serait difficile
de trouver une personne dans ce monde qui ne connaisse pas au moins une
des entreprises impliquées.
Notre responsabilité
Albanese
conclut avec des recommandations aux États, aux entreprises, à la CPI et
à l’ONU. Pour les entreprises, il s’agit de « cesser toutes les activités
commerciales et de mettre fin aux relations directement liées,
contribuant et causant des violations des droits humains et des crimes
internationaux co ntre
le peuple palestinien » et de verser des réparations au peuple
palestinien. Elle conseille par exemple de lever un impôt sur les
entreprises privées qui ont profité de l’apartheid, pour contribuer aux
réparations dues aux victimes comme cela a été fait en Afrique du Sud
après l’apartheid.
Pour
les États et les organismes internationaux, tels que la CPI et l’ONU,
Albanese les appelle à mettre en œuvre les mécanismes à leur disposition
pour obliger, non seulement Israël, mais aussi les entreprises qui
permettent ses actions illégales, à rendre des comptes. En outre, elle a
appelé les États à imposer des sanctions et un embargo total sur les
armes à Israël.
Enfin,
elle lance un appel à la société civile :
« La Rapporteuse spéciale exhorte les syndicats, les
avocats, la société civile et les citoyens ordinaires à faire pression
pour multiplier les boycotts, les désinvestissements, les sanctions, pour
obtenir justice pour la Palestine et pour mener devant les tribunaux tous
les responsables au niveau international et national ; ensemble, les
peuples du monde peuvent mettre fin à ces crimes sans noms. »
Albanese
décrit un réseau mondial de collaboration qui aide, d’une manière ou
d’une autre, Israël à perpétrer un génocide. C’est une horreur dont
l’ampleur peut en décourager certains mais ce n’est pas un système
invincible. Il fonctionne grâce à des éléments tout à fait ordinaires :
les ressources et l’argent. Il dépend d’un réseau économique et du
consentement mondial. Et c’est là que réside la clé pour le démanteler.
Albanese
conclut :
« La complicité que le rapport met à nu n’est que la
partie émergée de l’iceberg ; il ne sera pas possible d’y mettre fin sans
demander des comptes au secteur privé, y compris à ses dirigeants. Le
droit international reconnaît différents degrés de responsabilité, chacun
nécessitant un examen minutieux et une obligation de rendre des comptes,
en particulier dans le cas où l’autodétermination et l’existence même
d’un peuple sont en jeu. C’est une étape nécessaire pour mettre fin au
génocide et démanteler le système mondial qui l’a rendu possible. »
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