Après 470
jours de guerre, 58 jours de trêve et au 151ème jour du retour de la guerre
génocidaire israélienne, on dénombre à Gaza plus de 216.682 blessés etmartyrs (dont 238
journalistes et 76 prisonniers).
A Gaza, les Forces d’Occupation Israéliennes ont
assassiné au moins 61.776 Palestiniens dont au moins 18.592 enfants (30,8
%), 9.782 femmes (16,3 %) et 7,3 % de personnes âgées.239 citoyens dont 106 enfants sont morts de la famine.
On compte 1.881 martyrs et plus de 13.863 blessés dans les distributions d’aide alimentaire, 700
martyrs dans les distributions d’eau, 23 martyrs et 124 blessés dans les
largages aériens d’aide humanitaire, plus de 154.906 blessés, 11.200
personnes disparues dont plus de 4.700 femmes et enfants et 2.000.000
citoyens déplacés.
En
Cisjordanie dont Jérusalem, on dénombre 1.035 martyrs dont 208 enfants, plus
de 7.000 blessés, 18.500 personnes
arrêtées (dont 570 femmes et 1.500 enfants) et
40.000 citoyens déplacés.
Israel détient 10.800 prisonniers politiques palestiniens dans ses
prisons (450 enfants, 49 femmes, 3.629 «administratifs »)
Anas Al-Sharif avait 28 ans. Marié, père de deux enfants
— une petite fille, Sham, connue de tous ceux qui le suivaient sur ses
réseaux sociaux, tellement il en était dingue, et Salah, son petit
dernier.
Anas est mort. Ce reporter de la chaîne Al-Jazira, devenu son
principal correspondant à Gaza après l’évacuation de Wael Al-Dahdouh, a
été tué par l’armée israélienne le dimanche 10 août 2025.
Quatre de ses collègues — Mohammed Qreiqaa, Ibrahim Dhahir, Moamen Aaliwa
et leur chauffeur Mohammed Noufal — ainsi qu’un autre journaliste
pigiste, Mohammed Al-Khaldi, sont également morts dans le bombardement
par Israël de la tente des journalistes qui se trouvait à côté de
l’hôpital Al-Shifa.
Ce sont là les informations qui auraient dû faire la Une,
lundi matin, de toute la presse et de tous les médias audiovisuels
français. Cela, et le rappel incessant, qui devrait faire l’ouverture de
chaque journal télévisé, de chaque article : Israël interdit aux
journalistes du monde entier d’accéder à Gaza et tue nos confrères et nos
consœurs sur place qui nous permettent de savoir ce qui s’y passe.
Mais ça, c’est la théorie.
La place du narratif
israélien
« Un terroriste dit Israël, un
assassinat selon la chaîne qatarie. »
Balle au centre. C’est ainsi que l’on annonce ces meurtres dans le
journal de la première matinale de France (France Inter). Même son de
cloche sur France Info. Dans le journal de 20 heures de
France 2, on tend carrément le micro à Olivier Rafowicz, le
porte-parole de l’armée israélienne. Un an et dix mois après le
début de la guerre génocidaire contre Gaza, et alors que le chef du
gouvernement israélien, Benyamin Nétanyahou, est sous le coup d’un mandat
d’arrêt international émis par la Cour pénale internationale (CPI), alors que des procès sont intentés contre des
soldats israéliens porteurs d’une double nationalité dans leur deuxième
pays, le narratif israélien, lui, a toujours sa place dans les médias
français. Et la solidarité d’une profession connue pour son corporatisme
s’arrête à la frontière arabe du Proche-Orient. Le décompte macabre quant
à lui devient absurde et presque irréel : depuis le mois d’avril, on
parle de « plus de 200 journalistes tués ». Que de
noms, depuis, se sont rajoutés à la liste.
À
la faveur de la guerre à Gaza, Israël a pu passer du déni à la
revendication. Il n’y a pas si longtemps, quand son armée ciblait et
tuait des journalistes, Tel-Aviv se contentait de s’en laver les mains,
de feindre l’incompréhension puis, finalement, promettre l’ouverture
d’une enquête. C’est ce qui s’est passé au moment du meurtre d’une autre
correspondante de la chaîne Al-Jazira, Shirin Abou Akleh. Et la stratégie
a fait ses preuves : elle permet de faire passer pour hystériques
les accusations palestiniennes « sans preuve » puis d’affirmer,
quand les faits sont trop évidents, qu’on a ouvert une enquête, assez
longue pour que tout le monde oublie l’affaire.
Or, à Gaza, a fortiori depuis le
8 octobre 2023, Israël revendique ses assassinats. Il suffit
d’affirmer — comme pour les hôpitaux, les écoles, les universités, les
milliers d’enfants tués — l’existence d’un lien avec le Hamas. Comme le
rappelle le journaliste israélien Yuval Abraham sur son compte X :
Après le 7 octobre,
un groupe appelé « cellule de légitimation » a été mis en
place au sein du renseignement militaire israélien (Aman). Il était
composé d’agents du renseignement chargés de rechercher des
informations permettant de donner une « légitimité » aux
actions de l’armée à Gaza — tirs ratés du Hamas, utilisation de
boucliers humains, exploitation de la population civile. La principale
mission de cette cellule consistait à trouver des journalistes gazaouis
qui pourraient être présentés dans les médias comme des membres du
Hamas déguisés.
Menacé par l’armée
israélienne
Et ça marche. Quelques heures à peine après son assassinat,
des photos d’Anas Al-Sharif — notamment un selfie pris avec des
dirigeants du Hamas, dont Yahya Al-Sinouar — ont commencé à circuler sur
les réseaux sociaux. Dans un fil WhatsApp qui regroupe plusieurs dizaines
de journalistes, principalement français, les photos sont
partagées : avez-vous vu ces clichés ? Qu’en pensez-vous ?
Les images sont relayées en toute neutralité. On n’affirme
rien, on pose la question. La sacro-sainte objectivité journalistique est
respectée. On souhaite simplement comprendre, être au plus près de la
vérité. Pourtant de nombreux.ses correspondant·e·s au Proche-Orient conservent des clichés d’eux
et elles avec un « dictateur » ou un « terroriste »
dont i·e·ls
ne sont pas fier·e·s.
Il y a quelques mois, on a même vu une journaliste française, Laurence
Ferrari, poser tout sourire avec un criminel de guerre recherché par la
justice internationale : Benyamin Nétanyahou.
Anas Al-Sharif se
savait en danger. Avant d’être tué, il a été menacé plus d’une fois, sa
maison bombardée, son père tué en décembre 2023. Le
24 juillet 2025, le porte-parole en arabe de l’armée
israélienne, Avichay Adraee, a publié sur les réseaux sociaux une vidéo
l’accusant directement d’être membre des brigades Azzedine Al-Qassam, la
branche armée du Hamas, selon « des documents trouvés à Gaza ».
Le journaliste a dénoncé ces accusations, a demandé à ses confrères et
consœurs à travers le monde de relayer son message. Le Committee to
protect journalists (Comité pour la protection des journalistes, CPJ) a tiré la sonnette d’alarme. Anas
Al-Sharif a également affirmé, à plusieurs reprises, sa non-affiliation à
aucune organisation politique. Alors que toute sa profession et tous ses
compatriotes sont ciblés par une guerre génocidaire, il fallait encore
montrer patte blanche. Mais cela n’a pas suffi.
Pas d’innocents à Gaza
Le problème dans la manière dont nombre de journalistes
français couvrent la mort d’Anas Al-Sharif ne réside pas dans le fait de
vouloir en savoir plus sur lui ; le problème, c’est le
sous-texte : au fond, Anas Al-Sharif n’était peut-être pas
complètement innocent. À partir de là, son sort peut être soumis au bon
vouloir de l’armée israélienne. Et de tous ceux qui pensent qu’il n’y a
pas d’innocents à Gaza.
Si les rédactions ne jugent toujours pas indécent de relayer
le narratif israélien, alors que toutes les organisations de droit international
qualifient ce qui se passe à Gaza de génocide, c’est parce que cette
séquence acte le paroxysme d’une idée profondément implantée dans les
esprits par « la guerre contre le terrorisme », elle-même
héritage d’une logique coloniale : nous nous battons contre des
barbares, il ne faut jamais l’oublier. Que l’on soit journaliste pour une
chaîne qatarie, que l’on se soit pris en photo avec un dirigeant du
Hamas, qu’on ait pris sa carte au parti pour obtenir plus facilement un
poste dans l’administration à Gaza, que l’on soit un responsable
politique ou un combattant des Brigades Al-Qassam : peu importe. Si
l’on n’a pas l’âme immaculée, nullement entachée par le poison du
terrorisme, on peut être une cible légitime. Et des journalistes biberonnés
aux droits humains et au politiquement correct, qui s’indigneront à juste
titre qu’un journaliste soit tué en Ukraine sans relayer la propagande
russe, trouveront le moyen de rendre le crime acceptable. A contrario,
un Israélien, même soutien du gouvernement d’extrême droite de Benyamin
Nétanyahou, même s’il défile en criant « Mort aux Arabes »,
même s’il bloque l’accès de l’aide humanitaire à Gaza, même s’il a servi
l’armée durant ce génocide, demeure à jamais innocent. Et l’on peut
l’interviewer sans état d’âme.
« Israël, selon cette vision
occidentale politico-médiatique, ne tue pas, même si les Palestiniens
meurent. C’est dans ce paradoxe intenable que nous vivons depuis le
7 octobre », écrit la journaliste Hassina Mechaï.
Cette logique précède en réalité cette date, mais elle est, depuis,
clairement revendiquée. Israël « se défend »,
« riposte », anticipe des actes terroristes, ou en lien avec
des groupes terroristes, ou potentiellement terroristes, ou soupçonnés de
terrorisme. Ceux qui en meurent sont — peut-être, probablement,
vraisemblablement — coupables. Comme le sont tous les Arabes.
Anas Al-Sharif et cinq autres journalistes ont été tués par
l’armée israélienne le dimanche 10 août 2025. Les journalistes
qui ne dénoncent pas ce crime en ces termes en sont directement
complices.
Les journalistes Anas
al-Sharif, Mohammed Qreiqeh, Mohammed Al-Khaldi, Ibrahim Zaher, Mohammed
Noufal, Moamen Aliwa assassinés dans une tente devant l’hôpital Al-Shifa à
Gaza
11 aout 2025 - Al Jazeera
Par
JP Derquenne
Sur la plateforme des pétitions de l'Assemblée
nationale :
8
aout, devant
le tribunal administratif de Lille, soutien au Maire de Fâches-Thumesnil
durant son audience pour avoir accroché un drapeau palestinien sur la
façade de la mairie