À New York, la subversion du droit
international
Par Rafaëlle Maison le 3 septembre 2025
https://orientxxi.info/magazine/palestine-a-new-york-la-subversion-du-droit-international,8453
La reconnaissance d’un État palestinien
par plusieurs pays occidentaux est présentée comme le point fort de la
prochaine réunion de l’Assemblée générale de l’ONU à New York, du 9
au 23 septembre 2025. En réalité, la France et l’Arabie
saoudite chercheront à convaincre l’ensemble des États membres des Nations
Unies de se rallier à une déclaration posant les principes de règlement
du « conflit israélo-palestinien ». Un texte qui pourrait
sceller l’abandon du droit international concernant la Palestine.
Il y a plus d’un an, dans son avis
historique du 19 juillet 2024, la Cour internationale de
justice (CIJ) a rappelé les éléments essentiels du droit international s’agissant
de l’occupation par Israël du territoire palestinien, y compris Gaza.
Donnant suite à cet avis, l’Assemblée générale des Nations unies (AGNU) a
adopté, le 18 septembre 2024, une résolution engageant les
États à adopter des mesures de sanction contre Israël afin de l’obliger à
se retirer du territoire palestinien occupé, et ceci dans le délai d’un
an, soit en septembre 2025. Par ailleurs, dans
ses ordonnances relatives à Gaza, la Cour rappelait les obligations
de tous les États Parties à la Convention sur le génocide aux fins de
prévenir et de ne pas se rendre complices d’un génocide. Fin
septembre 2024, le cadre était donc clairement posé aux Nations
unies, sur la base d’une analyse objective du droit international. Mais
plusieurs inflexions sont rapidement apparues.
D’abord, la majorité des États s’est
abstenue de prendre les mesures exigées. Puis, l’Assemblée générale a
décidé de soutenir une conférence internationale (résolution 79/81
du 3 décembre 2024) dont la présidence sera assurée par la
France et l’Arabie saoudite. Enfin, au lieu d’accentuer ses demandes de
sanctions face à un génocide mis en œuvre, notamment, par la privation de
biens essentiels à la survie, l’Assemblée générale s’est contentée de
demander à la CIJ un nouvel avis sur l’entrave à l’aide humanitaire sans
même mentionner le génocide (résolution 79/232 du
19 décembre 2024). En présence de résolutions extrêmement
décevantes, on pouvait s’attendre aux résultats de la Conférence de
New York, présidée, fin juillet 2025, par la France et l’Arabie
Saoudite, et à laquelle n’ont pourtant participé ni Israël ni les
États-Unis. Ces résultats frappent tout de même par leur potentiel de
subversion du droit rappelé par la CIJ en 2024.
Un
État diminué
Le texte avancé sous la présidence
française et saoudienne de la Conférence de New York annonce les
principes de règlement du « conflit israélo-palestinien ».
Cette « déclaration sur le règlement pacifique de la question de
Palestine et la mise en œuvre de la solution des deux États »
est aussi soutenue par les États ou organisations régionales ayant animé
les « groupes de travail » de la Conférence. Se sont donc déjà
ralliés à cette déclaration 15 États, ainsi que la Ligue des États
arabes et l’Union européenne. Tout l’enjeu est désormais, pour la France
et l’Arabie saoudite, d’obtenir de l’ensemble des États membres des
Nations unies qu’ils approuvent la déclaration, comme en témoigne la
lettre adressée par la France et l’Arabie saoudite aux délégations
étatiques à New York le 29 juillet 2025.
C’est bien sûr la « solution à deux
États » qui est promue dans ce document. Mais la nature de l’État
palestinien qu’il est question de soutenir rend cette solution plus
qu’incertaine. Saluant les engagements récemment pris par le président de
l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas, la déclaration souligne en effet
que la Palestine « n’a pas l’intention de devenir un État
militarisé ». Dans ce contexte, c’est un processus de
« désarmement, démobilisation et réintégration » (DDR) qui doit
être mené à bien, dans lequel le Hamas devrait remettre ses armes à
l’Autorité palestinienne (§ 11 de la déclaration). D’un point de vue
politique, il s’agit aussi d’écarter le Hamas du pouvoir à Gaza puis,
après un cessez-le-feu, d’organiser des élections démocratiques dans le
délai d’un an. Pourtant, la « compétition démocratique »
envisagée ne serait soutenue que si elle s’organise « entre
acteurs palestiniens engagés à respecter le programme politique et les
engagements internationaux de l’OLP » (§ 22 de la
déclaration). Sous couvert d’une aide à l’émancipation palestinienne, le
texte soutient en réalité la création d’un État palestinien démilitarisé,
qui sera donc soumis à l’expansionnisme israélien. Les expressions
politiques autorisées dans le cadre des élections espérées seraient
également limitées, de même, d’ailleurs, que les choix de politique
économique que pourrait retenir le prétendu « État » de
Palestine.
Car s’il est question de « promouvoir
le développement économique de la Palestine », ce sera pour « faciliter
le commerce » et « améliorer la compétitivité du secteur
privé palestinien » sur la base d’une révision du Protocole de
Paris relatif aux relations économiques, conclu dans le cadre du
processus d’Oslo (§ 27 de la déclaration). L’assistance
internationale, présentée comme relevant de « donateurs »,
devrait permettre à l’Autorité palestinienne de « mettre en œuvre
son programme de réformes ». Ces « réformes
crédibles » devront mettre l’accent « sur la bonne
gouvernance, la transparence, la viabilité des finances publiques, la
lutte contre l’incitation à la violence et les discours de haine, la
fourniture de services, l’environnement des affaires et le
développement » (§ 21 de la déclaration). Ces formules
résonnent bien comme un programme libéral, obérant les choix souverains
de l’État à venir et exigeant — de manière apparemment incongrue, mais en
réalité significative — un contrôle sur la liberté d’expression.
Dans la même veine, résolument
inquiétante, le texte envisage la fin de l’action de l’UNRWA, l’Agence
onusienne en charge des réfugiés palestiniens, puisque celle-ci devrait « remettre
ses “services publics” dans le territoire palestinien aux institutions palestiniennes
dûment habilitées et préparées ». Ceci interviendra « lorsqu’une
solution juste au problème des réfugiés » aura été trouvée
(§ 14 de la déclaration), dans un « cadre régional et
international apportant une aide appropriée au règlement de la question
des réfugiés, tout en réaffirmant le droit au retour »
(§ 39 de la déclaration). La formule, particulièrement floue,
n’envisage pas de mettre en œuvre ou faciliter le droit au retour. Elle
ne vise probablement que la compensation due en cas de non-retour, sur la
base de la résolution 194 de l’Assemblée générale de
décembre 1948.
Cet ensemble de principes semble bien
soutenir en partie l’agenda israélien, qui, comme le souligne Monique
Chemillier-Gendreau dans son dernier ouvrage, est de « rendre impossible
un État palestinien ». Il s’agit de rendre impossible un État
souverain, en soutenant une entité sous contrôle, un État privé des
attributs essentiels de la souveraineté. D’ailleurs, en matière
sécuritaire, l’État à venir devra, « dans le rejet constant de la
violence et du terrorisme », « travailler à des arrangements de
sécurité bénéfiques pour toutes les Parties », en l’occurrence
Israël (§ 20 de la déclaration). C’est donc le prolongement de la
coopération sécuritaire de l’Autorité palestinienne avec Israël qui
conditionnera le déploiement de la « mission internationale
temporaire de stabilisation » annoncée dans la déclaration.
Cette mission, comprenant des forces armées, viendrait faciliter le
respect du cessez-le-feu et de l’accord de paix à venir, en apportant des
« garanties de sécurité à la Palestine et à Israël »
(§ 16 de la déclaration). Elle devrait être mandatée par le Conseil
de sécurité, ce qui apparaît totalement illusoire et omet le rôle que
pourrait tenir l’Assemblée générale dans le déploiement d’une opération
visant à forcer le siège de Gaza.
Tels sont les principes qui sont
présentés à l’ensemble des États membres de Nations unies : ils
relèvent d’une ingénierie politique vouée soit à l’échec, soit à la
soumission.
Condamnation
de la lutte armée, innocence d’Israël
Mais une version encore plus radicale de
ce programme, annonçant l’effacement des responsabilités d’Israël, est
également présentée par plusieurs États lançant, fin juillet 2025,
un « Appel de New York ». Il s’agit d’une brève
déclaration de quinze États occidentaux, parmi lesquels on trouve
étonnamment l’Espagne, l’Irlande et la Slovénie. Cet appel vient, de
manière quasi indécente, effacer la réalité des crimes commis par Israël
et stigmatiser la lutte armée palestinienne.
L’appel commence par une référence au
7 octobre 2023, les États condamnant « l’odieuse
attaque terroriste antisémite perpétrée ». Ils reprennent ainsi
d’emblée la rhétorique israélienne, assimilant la lutte armée
palestinienne à une entreprise visant, par nature, les juifs. S’agissant
de la situation humanitaire contemporaine à Gaza, les États se limitent
en revanche à exprimer « une vive préoccupation », sans
imputer à quiconque la responsabilité « du nombre élevé de
victimes civiles » (sic). Ce qui est soutenu immédiatement, pour
Gaza, est beaucoup plus favorable à Israël que l’accord de cessez-le-feu
pourtant présenté par les États-Unis au printemps 2024, et validé
par le Conseil de sécurité avant d’être rompu par Israël en
mars 2025. Les quinze États de l’appel de New York se
contentent d’exiger « un cessez-le-feu immédiat, la libération
immédiate et inconditionnelle de tous les otages détenus par le Hamas et
la restitution de leurs dépouilles, ainsi que la garantie d’un accès
humanitaire sans entraves ». Il n’est pas ici question
d’échanges de prisonniers, ni du retrait de la bande de Gaza par Israël
ou de la fin du siège génocidaire. Il s’agit plutôt d’une demande de
reddition, teintée de considérations humanitaires, puisque le « jour
d’après » à Gaza devra comprendre « le désarmement du
Hamas ».
En définitive, l’appel de New York
n’est pas un appel à la reconnaissance de la Palestine, dont on peut
rappeler qu’elle est déjà reconnue par 148 États et considérée comme
un État non membre de l’ONU depuis 2012. Il s’agit, littéralement,
d’un appel à la normalisation, c’est-à-dire à la reconnaissance d’Israël
par ceux des États qui ne l’ont pas encore formellement reconnu. Les
quinze signataires affirment sans ambiguïté, en fin de texte, appeler « les
pays qui ne l’ont pas encore fait à établir des relations normales avec
Israël et à exprimer leur volonté d’entamer des discussions concernant
l’intégration régionale de l’État d’Israël ». Les relations avec
Israël doivent donc être « normales », alors même que des
sanctions ont été soutenues, comme on l’a rappelé, par la CIJ puis
l’Assemblée générale, en raison des violations patentes de normes
fondamentales du droit international par cet État. Ces violations devraient
plutôt conduire à envisager d’exclure Israël de l’ONU ou des travaux de
son organe plénier. Dans l’appel, le soutien à la Palestine est, à
l’inverse, étroitement conditionné aux engagements pris par Mahmoud Abbas
qui sont dûment rappelés, comme dans la déclaration de New York
évoquée ci-dessus.
Les États « saluent »
ainsi : les engagements pris (…), à savoir : (i) condamner les
attaques terroristes du 7 octobre (ii) appeler à la libération des
otages et au désarmement du Hamas (iii) mettre un terme au système de versements
aux prisonniers (iv) réformer le système éducatif (v) demander
l’organisation d’élections dans l’année à venir pour insuffler un
renouvellement des générations et (vi) accepter le principe d’un État de
Palestine démilitarisé.
Dans l’appel, comme dans la déclaration,
toute référence au génocide en cours est proscrite. Il n’y est même
jamais question des ordonnances de la CIJ visant Israël ou l’Allemagne,
et rappelant tous les États Parties à la Convention de 1948 à leurs
obligations de prévenir ou de faire cesser le génocide.
Effacer
les acquis judiciaires de 2024
La validation par l’Assemblée générale
des Nations unies de la déclaration de New York scellerait donc une
nouvelle trahison de la Palestine. Basée sur l’illusion prolongée d’une
possible acceptation par Israël d’un État palestinien, elle préconise
aussi une méthode éculée, celle de la négociation bilatérale sous
influence occidentale. Il s’agit en effet de « soutenir la
conclusion et la mise en œuvre d’un accord de paix entre Israël et la Palestine
(…) conformément au mandat de Madrid, notamment le principe de l’échange
de territoires contre la paix » (§ 7 de la déclaration). En
l’absence de négociations entre les Parties, c’est la reconnaissance
conditionnée de la Palestine qui devrait initier la solution politique
promue (§ 25 de la déclaration).
Mais doit-on finalement parler
d’illusion ? À ce stade génocidaire de l’oppression des
Palestiniens, il ne s’agit plus seulement « d’illusions
néfastes »,, mais d’un « aveuglement volontaire »
prospérant sur une « ambiguïté entretenue » de soutien à
la Palestine, des tendances déjà dénoncées par Monique
Chemillier-Gendreau, et qui ne trompent plus. Le projet franco-saoudien
est bien la dernière étape, à ce jour, de la « guerre contre la
Palestine » décrite par l’historien Rashid Khalidi. En plus de
l’effacement des obligations de prévenir et faire cesser le génocide, les
sanctions devant être adoptées par les États pour mettre fin à
l’occupation sont minimisées (§§ 32 et 33 de la déclaration). Et si
le droit à l’autodétermination est bien évoqué dans la déclaration
(§§ 25 et 30), son essence est profondément affectée par
l’ingénierie retenue : pas de souveraineté politique ni économique
pour l’État à venir, pas de capacités de défense, mais un système de
police visant à assurer la sécurité d’Israël. C’est le prolongement
d’Oslo, c’est-à-dire la garantie de l’inexistence d’un gouvernement
palestinien indépendant. Certes, le projet ne consacre pas directement
l’expansionnisme israélien ni le génocide de Gaza : c’eût été
impossible. Mais il n’envisage jamais la responsabilité juridique
d’Israël. En somme, on peut sérieusement affirmer que les promoteurs de
la Conférence de New York ont cherché à effacer l’acquis judiciaire
de l’année 2024. Ils n’ont pas plus l’intention de favoriser une
autodétermination réelle qu’ils n’ont l’intention de forcer Israël à
mettre un terme à son occupation illicite et au génocide, ou de mettre en
œuvre la responsabilité de cet État.
L’Assemblée générale des Nations unies acceptera-t-elle
en septembre 2025, contre ses propres résolutions, d’effacer le
droit international dit par la CIJ en 2024 ? Il faudrait alors
reconsidérer le sens que l’Assemblée générale a, un temps, donné à sa
« responsabilité permanente » s’agissant de la Palestine, et
admettre qu’elle soutient désormais, en situation de génocide, une
injustice majeure, sous couvert de la reconnaissance d’un État
palestinien fantoche. Les peuples doivent exiger de leurs gouvernements
qu’ils ne contribuent pas à cet enterrement du droit international.
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