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DOSSIERS PRESSE

Les accords de Genève

Les accords de Genève - le début de la fin ?
Par Yehudith Harel* et Amir El-Zant*
01 novembre 2003

Pendant tout le processus malheureux d'Oslo, la population israélienne a montré peu de compréhension vis à vis des paramètres caractérisant tout accord de paix, paramètres qui soient acceptables pour les palestiniens.
Elle n'a jamais prise au sérieux la demande pour un retour total aux frontières de 1967 et une solution adéquate au problème des réfugiés. En fait, la grande majorité des juifs israéliens considéraient probablement que de telles conditions étaient dans le domaine de la " chutzpa " (culot) plutôt qu'en des propositions sérieuses pour la paix. Et puisque les raisonnements vis-à-vis de ces demandes n'ont jamais été considérés comme recevables, ils  semblaient refléter une attitude fondamentalement défaillantes et manifestement sans compromis, proche de l'irrationnel ; en réalité ils renfermaient des intentions diaboliques de la part des palestiniens et de leurs supporters.

Pour ceux qui ont été élevés dans le discours auto vertueux sioniste, il est difficile de déchiffrer la perspective palestinienne et il n'est pas clair que même ceux qui ont encadré les accords d'Oslo soient  conscients du sérieux des demandes mentionnées ci-dessus. Dans tous les cas, ils ont souvent mal guidé le public israélien en leur donnant l'illusion que le prix à payer pour une paix serait bon marché. Ainsi jusqu'à l'été 2000, le statut final de Jérusalem n'était pas mentionné sur les cartes frontalières. Au lieu de cela, il était inhérent dans le discours public israélien que les déclarations prononcées autour du discours métaphysique sur le mythe nationaliste irrationnel, que Jérusalem, en tant que la capitale éternelle du peuple juif, était indivisible pour toujours et sous souveraineté israélienne.

De plus, les allusions au fait qu'il serait possible d'annexer de larges portions de territoire (c'est-à-dire les prétendus blocs de colonies) tout en réussissant à négocier avec l'autre côté, a donné l'impression à beaucoup d'israéliens qu'un accord final pourrait laisser à Israël près de la moitié de la Cisjordanie. En contrepartie, les israéliens pensaient qu'ils auraient le droit d'être épargné de toute hostilité future venant des palestiniens et des pays avoisinants. Cela pouvait sembler être un rêve pas si impossible que cela car pendant les dernières années Oslo, le " conflit " comme défini par les combats des deux côtés de la frontière et les bombes à l'intérieur des frontières, avait pratiquement disparu de la vie de tous les jours des israéliens. Mais pas pour les palestiniens qui sont restés piégés et contrôlés aux check-points par les militaires israéliens, les obligeant à contourner un réseau de routes et un labyrinthe de colonies. Ces heurts journaliers ont amené une perte inévitable de vies et de propriétés, et  on joué cruellement en leur défaveur.

Les accords de Genève représentent la première tentative de la tendance principale sioniste de se séparer de l'ambiguïté constructive qui a caractérisé l'attitude des sionistes de gauche quand ils ont été au pouvoir, une situation qui leur a permis de déclarer qu'ils cherchaient des compromis tout en continuant plus d'actions sur le terrain et en renforçant l' occupation. Le document trace  en détails le prix exact qu'il faudra payer. En conséquence, la ligne de démarcation passe entre une discussion sérieuse et les illusions venues des désirs qui se confondent avec la réalité illusions conçues dans les limites du discours nationaliste irrationnel).

La sortie de cette prison intellectuelle est hélas incomplète : les négociateurs israéliens insistent pour spécifier que le droit au retour n' est pas reconnu dans leur accord. Encore une fois, afin de faire passer leur dernier document, les initiateurs ont opté pour la voie de sortie la plus facile. Car ni eux ni la plupart des membres de leur électorat ne peuvent saisir quel sorte de monstre est constitué par le projet sioniste quand il est vécu par ses victimes. Ils ne peuvent donc pas comprendre l'immense importance symbolique que les palestiniens attachent à la reconnaissance par le sionisme pour sa part de responsabilité dans leur tragédie.  Ces questions ne peuvent pas être traitées dans le cadre de la pensée du courant principal sioniste sans évoquer les difficultés sérieuses conceptuelles qui risqueraient de  menacer et de miner tout l'édifice intellectuel. Ces questions sont donc évitées et niées.

Néanmoins, malgré le fait que le droit au retour n'est pas mentionné explicitement dans le texte de Genève et qu'Israël n'a pas de pouvoir de veto en limitant le nombre de personnes qui retourneraient en Israël même, la présence même de cette alternative parmi les quatre options esquissées dans le document (qui inclue aussi la possibilité de compensation matérielle) doit être reconnue comme étant une indication de reconnaissance implicite. L'accord prend comme garantie la tradition conventionnelle du courant sioniste en ce qui concerne les droits du peuple juif, en tant que nationalité,  d'avoir le statut d'état.

Ceci est qualifié de façon explicite par la nécessité de préserver les droits de tous les citoyens des deux états :
" ...cet accord marque la reconnaissance du droit du peuple juif à avoir un état et la reconnaissance du droit du peuple palestinien à avoir un état sans préjudice aux droits égaux des citoyens des partenaires respectifs. "

Ceci peut poser le cadre légal qui facilitera un futur processus transformant les notions de citoyenneté et de nationalité de leur " volkish " tribal actuels, dominés par le discours nationaliste, vers une notion technocratique de la citoyenneté, préparant le chemin pour l'arrivée d'une société multiculturelle, caractérisée par la tolérance, une notion qui manque si cruellement non seulement en Israël/Palestine, mais dans toutes les régions avoisinantes.

La réaction publique tranchante et critique aux accords de Genève confirme ce que beaucoup savaient: ses "offres généreuses " qui ont conduit le processus d'Oslo à la guillotine et ressuscité les peurs profondes et primordiales vis-à-vis de ceux d'en face et ce des deux côtés, étaient très loin de tout ce que pouvait accepter les palestiniens. Néanmoins, basée sur les considérations mentionnées précédemment, c'est notre conviction  que si la direction palestinienne les avait acceptées, il est peu probable que ses offres de Camp David aient passé le test auprès de l'opinion publique israélienne.

Les accords de Genève servent donc de rappel au public israélien que, contrairement aux déclarations de Barak et de Sharon, il y a en réalité quelqu'un à qui parler de l'autre côté ; il y a une option différente de la tentative initiale, instinctive, de matraquer une opposition désarmée mais opiniâtre pour qu'elle se soumette. Mais le prix à payer est nécessairement plus fort que celui que Barak pouvait se permettre, du moins en partie par manque de majorité populaire et parlementaire pour les concessions demandées.

Cet accord, malgré ses défauts, mérite le soutien prudent de tous ceux qui cherchent une réconciliation au Moyen Orient, y compris ceux de la gauche radicale israélienne. Faire cela, tout en travaillant pour développer un discours qui compenserait les défauts des accords de Genève, et dire au public israélien ce que les initiateurs des accords de Genève (à cause des calculs pragmatiques et des handicaps idéologiques qui les empêchent même de comprendre la signification de certaines des questions impliquées) ne diront pas.

Ce que la gauche radicale a à offrir, est un enrichissement du débat interne et une présentation de la perspective palestinienne au public israélien de telle façon qu'il devienne intelligible. Car dans le langage du nationalisme palestinien et arabe, ce n'est pas facilement compréhensible pour ceux qui ont été élevé avec le discours exclusif sioniste. Cette gauche doit expliquer aux juifs israéliens pourquoi, du point de vue palestinien, un accord basé sur le document de Genève, loin de comporter un désir de destruction d'Israël " ou à cet égard de la communauté juive, représente en réalité une offre extrêmement généreuse de la part d'un " partenaire de la paix " qui non seulement existe mais qui est en fait prêt à se séparer d'une grande partie de sa terre natale dans l'intérêt de la paix, et ce après plus de cent ans de dépossession, de grande souffrance et de sacrifice.

La meilleure façon de préparer le public israélien à ce qu'il  percevra comme étant des concessions aux palestiniens est d'arriver à faire comprendre à une fraction importante de cette population (et pas forcément d 'être d'accord) la perspective palestinienne en ce qui concerne l'histoire de ce conflit : saisir la signification du discours de la Nakba - l'histoire de la dislocation des palestiniens. Essayer de transmettre le message au juif israélien moyen que ce n'est pas seulement l'état d'Israël ou la collectivité juive qui paie le prix pour la paix.

La lutte pour le multiculturalisme ou le bi-nationalisme implique nécessairement des conditions préalables qui soient à la fois légales et sociologiques, conditions qui ont peu de chances d'êtres atteintes  dans les sociétés israéliennes ou palestiniennes dans le climat de conflit actuel qui est caractérisé par la peur et l'hostilité. Car ces concepts nécessitent le rejet des tendances tribales du romantisme nationaliste, tendances qui ont été inventées pour pérenniser précisément ce genre de situation.

Le cadre légal de base des documents de Genève reconnaît une condition fondamentale : les pleins droits égaux en termes nationaux ainsi qu' individuels, pour les deux conventions concurrentes en terre d' Israël/Palestine. Nous pouvons et devons continuer la lutte pour les droits égaux, et les pleins droits pour tous dans les limites du concept de deux Etats et en même temps s'engager dans un programme à long terme dont le but est de mettre en vigueur un climat intellectuel menant vers une société qui est capable de définir un cadre de travail plus approprié politique et organisationnel pour le futur.

*       Yehudith Harel est une psychologue " organisationnelle " et une activiste de la paix confirmée en Israël. Elle est membre de l'Alliance Internationale pour la Paix Israélo-Arabe au Moyen Orient et du groupe de travail commun israélo-palestinien pour la paix.

*       Amr A. El-Zant est un physicien égyptien qui a été un chercheur associé à l'Institut de Technologie d'Israël entre 1996 et 2000.  Il travaille aujourd'hui à l'Institut de Technologie California. Il est membre de la Société de Paix du Caire.

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