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DOSSIERS PRESSE

Les accords de Genève

Avec qui, sur quoi
Uri Avnery
19 octobre 2003

L’accord Beilin-Abed-Rabbo est le dernier tube sur le marché du Moyen-Orient.

           Cette semaine j’ai fait une courte visite en Allemagne, où un de mes livres est sorti, et on n’a pas cessé de me poser des questions sur cet événement. Dans mes rencontres avec le président Johannes Rau et aussi avec le ministre des Affaires étrangères Joschka Fischer, le sujet a été abordé tout de suite. J’ai profité de l’occasion pour demander le soutien à cette initiative par tous les moyens possibles.

           Pour éviter tout malentendu, j’ai souligné que je n’avais aucun lien avec cette initiative. Les participants israéliens appartiennent à l’aile gauche du parti travailliste et du parti Meretz et je n’appartiens pas à cette mouvance. Mais je donne tout mon soutien à ce projet – d’autant plus qu’il est la suite d’un processus que nous-mêmes avons engagé il y a deux ans.

           En août 2001, Gush Shalom a publié un projet d’accord de paix israélo-palestinien. Il comprenait 14 paragraphes qui contenaient des propositions détaillées pour la solution de tous les problèmes relatifs au conflit. C’était une initiative israélienne, mais nous agissions en concertation étroite avec nos partenaires palestiniens.

           L’objectif principal de l’initiative était pédagogique. L’Intifada Al-Aksa battait son plein, le mythe d’Ehoud Barak (« il n’y a personne à qui parler ») avait gagné l’opinion publique, la plus grande partie du camp de la paix s’était effondrée, le désespoir et l’impuissance régnaient en maîtres.

Nous voulions allumer une bougie dans le noir. Pour prouver aux gens qu’il y a une solution, qu’il y a quelqu’un à qui parler et quelque chose dont on peut parler, et, plus important, leur dire quel serait le prix de la paix et qu’il vaut la peine de le payer.

           Nous nous considérions comme un brise-glace, un vaisseau compact et autonome qui ouvre la voie à des navires beaucoup plus gros.

           Nous avons publié le projet de traité sous forme d’une pleine page de publicité dans Ha’aretz (le 10 août 2001). Cela n’a pas eu beaucoup de retentissement. Comme d’habitude tous les médias israéliens l’ont boycotté et, même à l’étranger, il n’a provoqué qu’un intérêt limité. Mais nous espérions que nous avions ouvert un chemin que d’autres utiliseraient en temps voulu.

           Les premiers à le faire ont été Sari Nusseibeh et Ami Ayalon, l’un président d’une université arabe et descendant d’une importante famille de Jérusalem, l’autre un ancien capitaine de la marine israélienne et ancien chef des services de sécurité. Ils ont présenté un petit nombre de principes fondamentaux pour un accord de paix, ils ont lancé une importante campagne publicitaire et ont recueilli de nombreuses signatures des deux côtés. Jusqu’à présent quelque 65.000 Palestiniens et quelque 85.000 Israéliens ont signé.

           Aujourd’hui nous sommes en présence de l’initiative d’un groupe d’importantes personnalités israéliennes et palestiniennes. Comme notre initiative à l’époque, elle prend la forme d’un projet d’accord de paix détaillé. Dans leur contenu aussi, les deux documents sont très proches. On peut dire que 90% des propositions sont les mêmes. Et cela n’est pas étonnant. Après des plans à répétition, des séries de négociations à répétition et des pourparlers sans fin, tous les problèmes sont sur la table et tout le monde connaît les paramètres d’un éventuel compromis.

           Les deux projets sont basés sur le principe de « deux Etats pour deux peuples » ayant tous deux leur capitale à Jérusalem, une frontière basée sur la Ligne Verte, le retrait des colons des territoires palestiniens et une solution pratique du problème des réfugiés.

           Les différences sont principalement dues au désir de Beilin-Abed-Rabbo de faire passer la pilule pour les Israéliens dans la mesure que possible. Par exemple : nous proposons de refermer la blessure historique avec l’acceptation par Israël de sa responsabilité dans la création d’une part au moins du problème des réfugiés et sa reconnaissance du principe du droit au retour. Nous croyons qu’une telle déclaration est nécessaire pour panser la blessure.

           La nouvelle initiative ignore délibérément la douloureuse question de principe et ne traite que de la solution pratique. Beilin dit que les Palestiniens ont également « abandonné de jure le droit au retour » – un discours que les Palestiniens auront du mal à avaler.

           Comme nous, les auteurs proposent en pratique de permettre le retour en Israël d’un nombre limité de Palestiniens, mais ils proposent une clé compliquée : un nombre équivalent au nombre moyen de réfugiés acceptés dans d’autres pays. Nous avions proposé une méthode très simple : permettre le retour d’un quota fixe (disons 50.000) chaque année pendant dix ans.

           Sur la question de Jérusalem aussi, le nouveau projet essaie de faire passer la pilule. Ses auteurs évitent de dire clairement que les Palestiniens seront « souverains » sur leur partie de la ville et sur le Mont du Temple. Tous les paragraphes sur Jérusalem sont un peu alambiqués, dans le but, semble-t-il, de les rendre plus acceptables à l’opinion israélienne.

           Le document impose une certaine limitation à la souveraineté palestinienne qui pourrait atténuer le sentiment d’égalité. Il est également difficile, sans voir les cartes détaillées, de dire combien Beilin veut d’échange de territoires. Il semble qu’il y ait de sensibles différences entre leurs cartes et les nôtres.

           Mais ces différences ne sont pas vraiment importantes. Les personnes qui l’ont rédigé savaient que ce document n’était fait qu’à titre d’exemple. Il sera rendu public pour montrer que la paix est possible, qu’il ne représente aucun danger existentiel pour Israël, qu’il y a un partenaire de l’autre côté et qu’il y a quelque chose à discuter. Même le problème des réfugiés qui terrorise tant d’Israéliens cesse d’être menaçant quand on le saisit à bras le corps dans sa réalité. Il devient un problème pratique avec des solutions pratiques.

           Les réactions des directions des deux parties sont éclairantes. Ariel Sharon a violemment attaqué le document comme s’il constituait une haute trahison et plantait un poignard dans le dos de la nation. Cela n’est pas étonnant si l’on considère qu’il n’y a pas de plus grand danger que la paix pour Sharon et son grand dessein. Ehoud Barak, l’homme qui porte le plus de responsabilité dans l’effondrement du camp de la paix israélien, a également laissé éclater sa rage contre cette initiative. L’étourneau rend visite au corbeau, comme dit le proverbe hébreu.

           Yasser Arafat, de son côté, a salué l’initiative. Il ne peut pas l’accepter formellement, parce qu’un véritable traité de paix doit être négocié entre gouvernements. Aucun dirigeant national ne peut prendre la responsabilité officielle d’accepter une démarche quand le dirigeant de la partie adverse ne le fait pas. Mais on peut dire avec certitude que l’accord est acceptable pour lui – d’autant plus qu’il a pris part à sa formulation en coulisses. Il n’y a, évidemment, aucun parallèle : les colombes israéliennes sont dans l’opposition, tandis que leurs homologues palestiniens sont au pouvoir.

           Dans le monde entier, le document a été bien perçu par tous ceux qui souhaitent qu’il soit mis fin au conflit. Le grand espoir est que cette initiative, comme la « révolte des pilotes », représente la fin d’une ère de désespoir.

La première tâche de Beilin et de ses collègues est de relever le parti travailliste et le Meretz de leurs ruines (le président du parti travailliste, le chéri dont on vient de fêter l’anniversaire, ne s’est pas joint à l’initiative !) et de mettre sur pied une opposition forte et combative dans l’esprit du document.

Pour citer de nouveau Churchill : Ce n’est pas le commencement de la fin, mais c’est peut-être la fin du commencement.   [Traduit de l’anglais : RM/SW]        

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