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DOSSIERS PRESSE

LE MUR DE L'APARTHEID   par Ran HaCohen

DERRIERE LA FEUILLE, LE MUR D’ENCERCLEMENT COMPLET

– Extraits d’un article du journaliste israélien Ran HaCohen (traduit de l'anglais par Marcel-Etienne Dupret). Il y explique la réalité des plans israéliens, sur le terrain, pour ce qui concerne l’éventuel futur “ État palestinien ”. En effet, ce n’est pas un Mur de Protection, qui séparerait deux États indépendants, et courrait le long de frontières internationalement reconnues, qu’Israël est actuellement en train de construire. Comme le montre la carte (que nous mettons dans notre section “ documents de référence ”, Israël s’emploie à annexer plus de la moitié de la déjà minuscule Cisjordanie, pour ne laisser subsister que deux poches complètement encerclées de murailles , lesquelles continueraient en outre de subir la présence de colonies juives (sous souveraineté israélienne, bien entendu), dans les régions de Naplouse et Hébron en particulier. En chiffres, les bantoustans palestiniens envisagés par Sharon couvriraient moins, voire nettement moins de 10% de la Palestine Mandataire, au lieu des 22% (bande de Gaza, Cisjordanie, Jérusalem-Est) correspondant aux frontières de juin 1967.

(…)
Une des fonctions centrales de la “Feuille de route” est de détourner l'attention de la carte réelle des Territoires palestiniens: cette carte-là est en cours d'altération radicale, et contrairement à la feuille de route, qui sera oubliée tout comme ses prédécesseurs cyniques (le “plan Zinni”, le “plan Tenet”, le “rapport Mitchell”, la “Conférence de paix régionale”, etc.), la carte géographique de la Palestine est destinée à subsister, traversée en plein milieu par un haut mur aujourd'hui en cours de construction - “Barrière de Défense” dans la terminologie officielle d'Israël, mais à vrai dire Mur de l'Apartheid.
Le premier ministre Sharon a longtemps rejeté l'idée d'ériger une barrière entre Israël et la Cisjordanie. En avril 2002 encore, il s'y opposait en dépit de l'opinion publique et de demandes issues tant du président d'Israël que du chef des services secrets, et même malgré les centaines de citoyens israéliens victimes du terrorisme palestinien, dont la mort aurait pu être évitée grâce à une telle barrière. Et ce n'est pas avant juin 2002 que le vaste projet de construction, présenté comme une victoire arrachée à Sharon par le chef des Travaillistes Ben-Eliezer (alors ministre de la Défense dans une coalition d'unité nationale), a finalement été lancé.
Du fait que, contrairement à la junte qui les gouverne, la plupart des Israéliens souhaitent mettre fin à l'occupation, l'engouement pour le mur est écrasant. La plupart des Israéliens croient qu'il apportera la sécurité et constituera en définitive la frontière entre Israël et un état palestinien. Quant aux millionnaires d'Israël, ils ont une raison particulière de se réjouir, comme l'a révélé le quotidien Yedioth Aharonoth (22 novembre 2002): des centaines d'oliviers palestiniens, qui se trouvaient sur le tracé de la barrière, sont en train d'être déracinés par les constructeurs, transportés en contrebande et vendus pour orner les jardins de riches Israéliens (les prix vont jusqu'à 5.000 $ pour un arbre ancien). Les propriétaires palestiniens qui osent demander compensation, pour ce qui constituait souvent leur seule source de revenus, se voient déboutés à force de menaces et de coups.
Conversion ?
Le revirement de la junte par rapport au Mur ne s'est produit qu'après l'opération “Bouclier Défensif”, en avril 2002. Aussi longtemps que les victimes israéliennes du terrorisme pouvaient être utilisées pour justifier des incursions répétées dans les enclaves palestiniennes autonomes, aucune barrière n'a été construite. Une fois l’opération “Bouclier Défensif” accomplie, alors qu'Israël était finalement parvenu à réoccuper entièrement la Cisjordanie et à détruire l'Autorité Palestinienne (qui depuis ce temps n'existe plus que de nom), il est devenu possible d'ériger le Mur.
La raison profonde de ce revirement apparent est que la junte a trouvé une façon d'utiliser le Mur à ses propres fins, d'en faire un élément de son projet de destruction des Palestiniens. Mais ceci ne peut être appréhendé sans jeter un coup d'œil sur le véritable parcours du Mur.
Pourquoi, vous demanderez-vous? le Mur ne suit-il donc pas la Ligne Verte qui sépare Israël de la Cisjordanie? Pas tout à fait... Si cela avait été l'intention d'Israël, il y a déjà belle lurette que nous aurions pu signer la paix. Tout le problème est qu'Israël refuse de renoncer à la Cisjordanie, et la construction d'un Mur le long de la Ligne Verte est bien la dernière chose que la junte ait eue à l'esprit. Le Mur s'enfonce profondément dans les Territoires palestiniens, de manière à leur dérober autant de terres et d'eau que possible. Un bon exemple est le petit village de Mas'ha, où un groupe de militants palestiniens, israéliens et étrangers a installé un camp pour s'efforcer d'attirer l'attention sur l'atrocité en cours de réalisation et de la combattre.
L'exemple de Mas'ha
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Ce n'est pas seulement le désir de s'emparer de surfaces agricoles qui a mené les bulldozers sur le territoire de Mas'ha. Ces terres se situent dans la partie occidentale du vaste réservoir d'eau douce qui naît en Cisjordanie et dont les eaux courent sous le sol jusqu'au centre du territoire israélien. Des 600 millions de mètres cubes d'eau que fournit chaque année ce réservoir, Israël prélève quelque 500 millions de mètres cubes. Le contrôle des sources d'eau a toujours été l'un des mobiles centraux du maintien de l'occupation israélienne. Les premières colonies, comme
Elkana, étaient situées dans des zones d'intérêt vital pour le creusement de puits artésiens. Depuis 1967, Israël interdit aux Palestiniens de creuser de nouveaux puits, mais sur les terres de Mas'ha il y en a encore de plus anciens, nombreux et en état de fonctionnement. En isolant le village de ses puits, Israël s'efforce à la fois de contrôler les réserves d'eau et de tarir les sources de vie du village, pour forcer les résidents à s'en aller.

Il ne s'agit pas d'une clôture temporaire: bien au contraire, c'est une barrière formidable, qui crée sur le terrain une nouvelle réalité physique durable et qui est destinée à rester là pendant des décennies. Elle se contorsionne comme un serpent autour des collines cultivées, enserrant le village sur trois côtés, à quelques pas à peine des dernières maisons.

Et Mas'ha, loin d'être unique, n'est qu'un exemple parmi d'autres. Des 12.500 dunams (un dunam = 1.000 mètres carrés, soit un dixième d’hectare) que possède le village de Jius, 600 sont en cours de confiscation pour permettre la construction de 6 kilomètres de mur, et 8.600 vont se retrouver du côté israélien. Ses 550 familles, dont la moitié travaillait en Israël quand c'était encore possible, mais avait dû se rabattre depuis sur l'agriculture, perdent maintenant leur dernière source de revenus (Gideon Levy, Ha'aretz, 2 mai 2003).
Secrets et mensonges
On comprend maintenant pourquoi la junte refuse de fournir des informations à propos du tracé du mur, ainsi que la “B'Tselem Newsletter” le raconte en détail. La Ligne Verte fait quelque 350 kilomètres de long: les rapports actuels font état d'un mur de quelque 600 kilomètres, rien que du côté occidental de la Cisjordanie. Rien que du côté occidental? Oui, parce que, comme Ha'aretz ne l'a mentionné qu'une seule fois, comme en passant et sans aucun détail, commentaire ou suivi (le 23 mars 2003), un autre mur est prévu du côté oriental. Cette information cruciale échappe largement à l'attention publique. La plupart des Israéliens croient que la barrière est construite le long de la Ligne Verte, et ils ne soupçonnent même pas qu'un autre mur doit compléter par derrière l'encerclement des Palestiniens.
Deux mois avant confirmation par son Cabinet d'un plan d'établissement d'une barrière, Sharon avait fait l'objet d'une longue citation dans Yedioth Aharonoth (26 avril 2002). Le journaliste était outragé par ce qu'il considérait comme de simples prétextes avancés pour s'opposer à la construction d'une barrière. Sharon se voyait taxé d'exagération, du fait qu'il transformait un simple projet de barrière de 350 km, le long de la Ligne Verte, en une entreprise irréalisable de quelque 1.000 km de long:
La méthode préférée de Sharon pour grossir les chiffres est tout simplement de doubler les nombres. “Vous ne pouvez pas vous contenter d'une barrière d'un seul côté de la zone de séparation”, a-t-il déclaré aux officiers de police, “il faut avoir une clôture des deux côtés; et il y a encore la vallée du Jourdain, où il est aussi nécessaire d'avoir une barrière des deux côtés”. (...) Pour saboter le projet de séparation (...), Sharon parle de deux choses différentes: deux murs en des endroits différents de la ligne de séparation, et deux autres barrières entre Israël et la Jordanie. De cette manière, on obtient effectivement 1.000 km.
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La véritable carte
La carte, établie par des sources palestiniennes - basées sur les parties du mur déjà construites, celles en cours de construction et les ordres de confiscation envoyés aux propriétaires terriens - montre à peu près ce qu'Israël a concocté. Alors que la part du lion reste à l'extérieur du mur, entre les mains des Israéliens, la partie intérieure, à peine constituée de deux bantoustans contigus, est en réalité sillonnée par des chapelets de colonies israéliennes et de routes réservées aux Juifs.
La résolution des Nations Unies de 1947 avait alloué 45% de la Palestine sous mandat britannique à l'établissement d'un état palestinien. En 1948, Israël avait occupé 78% des Territoires, n'en laissant que 22% à peine - la Cisjordanie et Gaza - aux Palestiniens. Depuis 1993, tout ce que demandent ces derniers se réduit à cette portion. Mais désormais Israël veut leur dérober plus de la moitié des 22% restants. Six millions d'Israéliens sont en train de se partager quelque 90% des terres (et de l'eau), tandis que trois millions et demi de Palestiniens, parmi lesquels de nombreux réfugiés, sont contraints à crever la misère dans ce qui leur reste, bouclés dans des prisons à l'air libre derrière des murs gigantesques, sans terres, sans eau et sans espoir. Sans conteste, il s'agit là d'une façon très morale d'avancer vers la paix, l'entente et la sécurité.
Le Mur de l'Apartheid fera 8 mètres de haut, et sans doute 1.000 km de long. À titre de comparaison, la Grande Muraille de Chine - seule création humaine visible de l'espace - s'étend sur quelque 6.700 km de long, tandis que le Mur de Berlin ne faisait que pâle figure, avec 155 km de longueur et 3,6 m de haut. Garder le silence en face de ce projet gigantesque et de ses implications génocidaires, destinées à prévenir toute possibilité future de solution équitable (sans même parler de la “Feuille de route”) constitue un crime moral dont les médias occidentaux se rendent coupables, sans exception ou presque.

Ran HaCohen 

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