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DOSSIERS PRESSE

"Barrière", un mot trompeur

par Amira Hass
Ha'aretz
16 juillet 2003

Traduit de l'hébreu par Michel Ghys
http://www.haaretz.co.il/hasite/pages/ShArtPE.jhtml?itemNo=318474
En anglais : The misleading term 'fence'
http://www.haaretz.com/hasen/pages/ShArt.jhtml?itemNo=318686

En Israël, on emploie encore le mot confortable et trompeur de «barrière» pour désigner le système de fortifications qui prend place sur la terre palestinienne de Cisjordanie. Même le terme de «mur», plus répandu dans les autres langues, ne parvient pas à rendre une image précise de ce qui est réellement en cours de construction. Un mur de béton de huit mètres de haut, des clôtures de fils de fer barbelé et des senseurs électroniques, des tranchées de 4 mètres de profondeur de chaque côté, un chemin de terre pour révéler toute trace de pas, une zone interdite d'accès, une route a deux voies pour les patrouilles militaires et des tours de guet et de tirs tous les 200 mètres et cela sur toute la longueur. Telles sont les composantes de la «barrière».

En Israël, on se plaint de la lenteur des travaux. Ceux qui en sont les victimes directes, ça ne les intéresse vraiment pas. Les fortifications séparent déjà des milliers de personnes - habitant villages et villes le long du tracé - de leurs terres, de la ville voisine ou des villages proches. Des milliers de Palestiniens ont perdu, au profit de ces fortifications, leurs terres, la source de leurs revenus, leur épargne qu'ils avaient investi dans des serres, des réservoirs d'eau et des maisons, l'avenir de leurs enfants. D'après la Banque Mondiale, le nombre de Palestiniens directement touchés par la barrière oscille, en fin de compte, entre 95.000 et 200.000.

La direction palestinienne a hésité à élaborer une position politique et diplomatique à propos des répercussions à long terme de la construction des fortifications. Celles-ci, d'après la réalité du terrain, délimiteront le profil de «l'État palestinien» qui sera dicté aux Palestiniens dans le cadre de la Feuille de Route: trois enclaves séparées l'une de l'autre, sans la vallée du Jourdain, sans la zone agricole fertile située entre Jénine et Qalqiliya, sans la «métropole de Jérusalem» comprenant le territoire pris entre les colonies de Givat Zeev au Nord-Ouest, Bétar au Sud-Ouest et Maale Adoumim à l'Est. La direction palestinienne n'a pas même prétendu mener la résistance au dispositif de fortifications.

Il y a deux semaines environ, devant le Conseil législatif palestinien, Abou Mazen s'est vanté de ce qu'après qu'il ait présenté à Condoleezza Rice toute l'information sur le mur de séparation, elle se soit presque bagarrée avec Ariel Sharon à ce sujet. Mais des chercheurs engagés par les institutions palestiniennes et qui ont travaillé pendant plus d'un an à l'analyse des intentions d'Israël dans l'érection des fortifications de séparation, ont rencontré beaucoup de difficultés à mobiliser la direction de l'Autorité pour une action plus significative que les classiques déclarations et menaces.

Déjà il y a un an, les premiers à avoir compris les dangers et à avoir protester, ont été les représentants des villages et des villes: maires de communautés touchées, organisations non gouvernementales palestiniennes, employés d'agences de développement américaines et européennes dont les projets étaient détruits. Leurs appels sont parvenus aux oreilles des activistes internationaux de la solidarité. En commun avec les habitants des villages et avec des activistes israéliens de «Ta'ayoush», ils ont manifesté face aux bulldozers, aux rochers et aux arbres. Bien que le gouvernement israélien n'ait pas établi d'avance tout le tracé avec précision et que dans le public israélien s'est répandue l'idée que la ligne des fortifications coïncidait avec la Ligne Verte, les victimes directes ont conclu qu'il n'en était rien et qu'il s'agissait d'une nouvelle tentative de dépossession de leurs terres de milliers de Palestiniens, au profit d'une annexion à Israël. Partageant ces inquiétudes, «B'Tselem» s'est empressé de faire un rapport détaillé sur les répercussions des expropriations.

La plupart des villages se sont adressés à des avocats pour essayer de faire appel puis pour s'adresser à la Cour Suprême. Il n'y a pas eu de tentative visant à rassembler toutes ces contestations entre les mains d'une seule organisation de Droits de l'Homme et d'une seule équipe - israélienne et palestinienne - de juristes. Avocats, villages et districts ont œuvré séparément, comme s'il s'agissait d'un problème personnel, privé et non pas d'un problème collectif. Celui qui s'est adressé à un avocat à titre privé, y est allé de sa poche.

C'est la méthode de travail palestinienne typique: les actions isolées face aux décrets israéliens, le manque de coordination entre les différentes victimes en dépit du fait que la cause du préjudice est la même, un gaspillage énorme d'énergie dans des manifestations et des prières entre oueds perdus et oliveraies, et l'absence de la direction palestinienne pour prendre des initiatives, diriger et financer. Il y en a qui affirment qu'au début, la direction palestinienne elle-même a été prise par cette illusion que le tracé suivrait plus ou moins la Ligne Verte et fixerait ainsi, comme un fait accompli, la frontière entre Israël et Palestine.

On peut se demander si des actions davantage centralisées, concertées et prises de bonne heure pour mettre à nu la vraie nature de la «barrière», auraient vraiment attiré l'attention à temps en Occident et suscité une opposition de la part d'Israéliens qui soutiennent une solution de paix avec les Palestiniens et pas une solution de reddition. On peut évidemment supposer que même alors, en l'absence d'une pression américaine (qui n'apparaît pas à l'horizon), le gouvernement israélien n'aurait rien changé. Néanmoins, il est difficile de ne pas s'interroger: que se passerait-il si l'énergie, la réflexion, la planification et le temps que la direction palestinienne investit dans ses querelles byzantines étaient au contraire investis dans l'élaboration d'un dispositif de résistance politique, coordonné et centralisé, contre les projets d'annexion israéliens? Le succès de l'application de ces projets est-il le seul fait de la supériorité diplomatique et militaire israélienne, ou ce succès a-t-il une dette à l'égard des échecs de l'action politique palestinienne?

Traduit de l'hébreu par Michel Ghys

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