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DOSSIERS PRESSE

L'histoire de Nazeeh

Par Oren Medicks
Yellow Times.org
30 mai 2003

Oren Medicks travaille avec Gush Shalom, une organisation du mouvement de la paix israélien. Oren Medicks sollicite vos commentaires : oren@gush-shalom.org
Il sera dans le Nord de la France vers le 22/24 septembre.

Vous devez peut-être être israélien pour apprécier pleinement l'improbable situation suivante: un groupe d'Israéliens, de Palestiniens et d'activistes de la paix internationaux vivant ensemble dans une oliveraie à l'intérieur du territoire palestinien. Les Palestiniens et les Israéliens cherchent ensemble du bois pour allumer un feu la nuit, préparant des panneaux d'information pendant la journée ou lavant les assiettes - versant avec précaution un filet d'eau d'une vieille bouteille de coca-cola, parce qu'il n'y a pas d'eau courante. Ils sont assis tranquillement les uns à côté des autres pendant les courtes périodes de garde - sans peur réciproque, mais craignant plutôt un possible raid de l'armée.

Tout Israélien pouvant imaginer une telle situation frémirait devant une vision d'un scénario assassin. Être au milieu de la terre de l'Intifada au milieu de la nuit? Entouré de Palestiniens, sans soldats en vue pour vous protéger? Même le plus assidu des chercheurs ne trouverait pas une poignée d'Israéliens qui seraient prêts à mettre leur vie devant un tel danger. Deux mois auparavant, même ceux qui étaient sur cette colline ne pouvaient pas croire qu'ils étaient vraiment là.

Comme souvent, le camp avait commencé comme quelque chose de tout à fait différent. Trois mois auparavant, Nazeeh, un fermier du village palestinien de Mas'ha, avait reçu un ordre de confiscation des autorités israéliennes. D'après cet ordre, 95% de sa terre allaient être confisqués afin de construire la barrière de séparation. Cette barrière est vendue au public israélien comme étant une mesure raisonnable pour la sécurité, dont le but est de séparer les Palestiniens des Israéliens. En réalité, la seule séparation qu'elle offre est une séparation entre les Palestiniens et leur terre.

En réalité, Mas'ha, comme tous les autres villages palestiniens, est déjà coupé de la vie normale par des tas de pierres et de terre qui empêchent tout véhicule d'entrer ou de sortir du village. La façon avec laquelle les Palestiniens réussissent à survivre dans ces conditions inhumaines mérite à elle seule de raconter des histoires individuelles. Nazeeh, père de sept enfants, a immédiatement réalisé que la perte de sa terre équivaudrait à une sentence de mort pour lui et pour sa famille. Sans terre, sans possibilité de quitter le village ou de gagner sa vie dans ce village, comment pourrait-il subvenir aux besoins de sa famille?

Pour les personnes vivant dans des pays libres, où chacun peut choisir l'endroit où il veut vivre, où on peut se déplacer librement d'un lieu à un autre, il est très difficile d'imaginer les sentiments d'impuissance, de frustration et de perte, et de ne pouvoir rien faire face à une force qui peut jouer avec votre vie comme elle le veut et qui veut en réalité que vous partiez. Avec toutes ces pensées et tous ces sentiments pesants, Nazeeh examinait ses options: il y avait un moyen légal, mais un Palestinien faisant appel à la justice israélienne avait très peu de chance de réussir. De plus, qui pouvait se permettre une telle tentative?

Une manifestation? Ça servirait à quoi? Elle serait immédiatement dispersée par des tirs de balles en caoutchouc, dans le meilleur des cas - par des balles réelles dans le pire des cas - et tous ceux qui auraient participé à cette manifestation auraient à payer un prix élevé. Faire appel aux médias? Personne ne s'intéresse à l'histoire d'un autre pauvre Palestinien. Nazeeh, un homme qui a l'habitude de travailler seize heures par jour, dont les pieds sont aussi durs que du bois à force de marcher pieds nus dans son oliveraie depuis l'âge de 5 ans, Nazeeh ne pouvait pas retenir sa peine, sa frustration et sa colère.

Il est parti vers son oliveraie pour être aussi longtemps que possible avec ses oliviers. Il a dit à sa femme: «Ne m'attends pas. J'ai des jours, peut-être des semaines devant moi avant que les bulldozers ne rasent mes oliviers. Je veux passer ce temps dans mon oliveraie.» Il a pris de l'eau, un petit sac de café et de sucre et deux boîtes de cigarettes bon marché faites maison, et il est parti vers son oliveraie.

Petit à petit, l'histoire de Nazeeh a commencé à être connue dans le village, et puis elle est passée à travers les barrages jusqu'aux activistes internationaux d'un village voisin - et de là jusqu'aux activistes israéliens de la paix.

Petit à petit, les gens ont commencé à venir, au début juste pour visiter, puis pour rester. Au bout de quelques jours, une petite tente a été montée dans l'oliveraie. Bientôt, la tente est devenue une tente de protestation contre l'occupation. Des personnes ont créé des panneaux d'information avec des photos et des cartes. Des représentants des médias ont commencé à venir. La tente de Nazeeh est devenue une histoire.

Jusqu'à présent, deux mois plus tard, Nazeeh n'a pas quitté son oliveraie plus de quelques heures. Quelque 500 Israéliens et activistes de la paix internationaux y ont passé du temps pendant une ou plusieurs nuits - des nuits qui changeront sans doute leur vision pour toujours.

Oren Medicks
Traduit de l'anglais par Ana Cleja

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