AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   



Vérité contre vérité

Document Gush Shalom
 
Les Arabes pensaient que les Juifs avaient été installés en Palestine par l’impérialisme occidental dans le but d’assujettir le monde arabe. Les sionistes, quant à eux, étaient convaincus que la résistance arabe à l’entreprise sioniste était la simple conséquence de la nature cruelle des Arabes et de l’islam.

L’opinion publique israélienne doit reconnaître que, parallèlement aux aspects positifs de l’entreprise sioniste, une terrible injustice a été infligée au peuple palestinien.

Cela exige que l’on soit prêt à entendre et à comprendre la position de la partie adverse dans ce conflit historique, de façon à établir un lien entre les deux expériences nationales et à les réunir dans un récit commun.

La tyrannie des mythes

1 - La confrontation violente qui a éclaté en octobre 2000 et que l’on a appelée « Intifada Al-Aqsa » n’est qu’une nouvelle phase du conflit historique qui a pris naissance avec la création du mouvement sioniste à la fin du XIXe siècle.

2 - Une cinquième génération d’Israéliens et de Palestiniens est déjà née dans ce conflit. Le monde mental et matériel de cette génération a été totalement façonné par cette confrontation qui domine tous les aspects de leurs vies.

3 - Au cours de ce long conflit, comme dans toute guerre, une masse considérable de mythes, de falsifications historiques, de slogans de propagande et de préjugés se sont accumulés de part et d’autre.

4 - L’attitude des deux parties au conflit est construite sur la base de leurs récits historiques, de la façon dont ils perçoivent l’histoire du conflit au cours des 120 dernières années. La version historique sioniste et la version historique palestinienne se contredisent totalement l’une l’autre, à la fois dans sa vision globale et dans presque chaque détail.

5 - Depuis le début du conflit jusqu’à ce jour, la direction sioniste/israélienne a agi sans aucune prise en compte du récit palestinien. Même quand elle souhaitait arriver à une solution, ses efforts étaient voués à l’échec du fait de l’ignorance des aspirations nationales, des traumatismes, des craintes et des espoirs du peuple palestinien. Quelque chose de semblable s’est produit de l’autre côté, même s’il n’y a aucune symétrie entre les deux.

6 - Le règlement d’un conflit historique aussi long n’est possible que si chaque partie est capable de comprendre l’univers mental et politique de l’autre et si elle est prête à parler avec elle d’égal à égal, « les yeux dans les yeux ». Les comportements méprisants, autoritaires, arrogants, dépourvus de sensibilité et ignorants empêchent toute solution négociée.

7 - Les gouvernements israéliens « de gauche » qui, à certaines époques, ont fait naître beaucoup d’espoir ont adopté les mêmes comportements que ceux « de droite », ce qui a creusé un énorme fossé entre leurs promesses initiales et leurs réalisations désastreuses. (par exemple le passage au pouvoir d’Ehud Barak.)

8 - Une grande partie du vieux mouvement de la paix (connu aussi comme « la gauche sioniste » ou « le parti de la raison »), comme La Paix Maintenant est aussi encline à de tels comportements et, de ce fait, s’effondre en temps de crise.

9 - En conséquence, la première tâche d’un nouveau camp de la paix israélien est de s’affranchir des conceptions fausses et unilatérales.

10 - Cela ne veut pas dire qu’il faille automatiquement rejeter la version israélienne des choses et adopter sans réserves la version palestinienne ou inversement. Mais cela exige d’être prêt à entendre et comprendre le point de vue de l’autre partie dans ce conflit historique, afin d’établir un lien entre les deux expériences nationales et de les réunir dans une version commune.

11 - Toute autre voie conduira à la perpétuation du conflit, avec des périodes de tranquillité apparente et de conciliation fréquemment interrompues par des confrontations violentes entre les deux nations et entre Israël et le monde arabe. Étant donné le rythme de développement des armes de destruction massive, de nouvelles phases d’hostilités pourraient bien conduire à la destruction des deux parties au conflit.

Les racines du conflit

12 - Le cœur du conflit est la confrontation entre la nation israélienne juive et la nation palestinienne arabe. C’est essentiellement un conflit national, même s’il a des aspects religieux, sociaux et autres.

13 - Le mouvement sioniste était, essentiellement, une réaction juive à l’émergence des mouvements nationaux en Europe qui tous étaient, à des degrés divers, antisémites. Rejetés par les nations européennes, un certain nombre de Juifs ont décidé de se constituer eux-mêmes en nation séparée et, adoptant le nouveau modèle européen, d’établir un État national qui leur soit propre, au sein duquel ils pourraient être maîtres de leur propre destin.

14 - Des raisons touchant à la tradition et religieuses ont conduit le mouvement sioniste à choisir la Palestine (Eretz Israël en hébreu) pour y établir l’État juif. La maxime était : « Une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». Cette maxime n’était pas seulement due à l’ignorance ; elle reflétait aussi l’arrogance qui caractérisait à l’époque l’attitude des Européens à l’égard des non-Européens.

15 - La Palestine n’était pas une terre vide - ni à la fin du XIXe siècle ni à toute autre période. Á l’époque, un demi-million de personnes vivaient en Palestine, arabes à 90%. Cette population s’est opposée, bien sûr, à l’incursion de colons étrangers sur sa terre.

16 - Le mouvement national arabe a pris naissance presque en même temps que le mouvement sioniste, d’abord pour combattre l’empire ottoman puis pour combattre les régimes coloniaux établis sur ses ruines à la fin de la Première guerre mondiale. Un mouvement arabe palestinien autonome se développa dans le pays après la création par les Britanniques d’un État séparé qu’ils appelèrent « Palestine » et au cours de la lutte contre l’infiltration sioniste.

17 - Depuis la fin de la Première guerre mondiale, la lutte n’a jamais cessé entre deux mouvements nationaux, le mouvement juif sioniste et le mouvement palestinien arabe, chacun d’entre eux voulant atteindre ses objectifs - des objectifs totalement incompatibles à l’intérieur du même territoire. Cette situation demeure inchangée à ce jour.

18 - Comme la persécution des Juifs s’intensifiait en Europe et que les pays du monde fermaient leurs portes aux juifs qui tentaient de fuir l’enfer, le mouvement sioniste s’est renforcé. L’antisémitisme nazi, en provoquant une émigration massive de main-d’œuvre qualifiée, d’intellectuels, de technologie et de capital vers la Palestine, a transformé l’utopie sioniste en un projet moderne réalisable. L’Holocauste, qui causa la mort d’environ six millions de Juifs, donna une force morale et politique considérable à la revendication des sionistes, conduisant à la création de l’État d’Israël.

19 - La nation palestinienne, témoin de l’accroissement de la population juive sur sa terre, ne pouvait pas comprendre pourquoi elle devrait payer pour les crimes commis contre les Juifs par les Européens. Les Palestiniens s’opposèrent violemment à la poursuite de l’immigration juive et à l’acquisition de terres par les Juifs.

20 - La lutte entre les deux nations dans le pays a été ressentie comme « la guerre des traumatismes ». La nation israélienne-hébraïque portait en elle le vieux traumatisme de la persécution des Juifs en Europe - les massacres, les expulsions massives, l’Inquisition, les pogroms et l’Holocauste. Elle vivait avec la conscience d’être une victime éternelle. Le choc avec la nation arabe-palestinienne lui apparut comme une simple continuation de la persécution antisémite.

21 - La nation arabe-palestinienne portait en elle la mémoire d’une longue oppression coloniale, avec ses insultes et ses humiliations, renforcée par les souvenirs historiques des jours glorieux du temps des califes. Les Palestiniens aussi vivaient avec la conscience d’être des victimes, et la Naqba (catastrophe) de 1948 leur apparaissait comme la continuation de l’oppression et de l’humiliation par les colonisateurs occidentaux.

22 - L’aveuglement total de chacune des deux nations à l’égard de l’existence nationale de l’autre a conduit inévitablement à des perceptions fausses et déformées qui se sont profondément enracinées dans la conscience collective de chacune. Ces perceptions continuent de conditionner les attitudes des uns à l’égard des autres jusqu’à ce jour.

23 - Les Arabes pensaient que les Juifs avaient été installés en Palestine par l’impérialisme occidental pour imposer sa loi au monde arabe et pour prendre le contrôle de ses ressources naturelles. Cette conviction était étayée par le fait que le mouvement sioniste, dès sa naissance, s’est efforcé de faire alliance avec au moins une puissance occidentale pour venir à bout de la résistance arabe (l’Allemagne à l’époque de Herzl, la Grande-Bretagne depuis le projet Ouganda et la déclaration Balfour jusqu’à la fin du mandat, l’Union Soviétique en 1948, la France depuis les années 1950 jusqu’à la guerre de 1967, les États-Unis depuis lors.) Il en est résulté une coopération de fait dirigée contre le mouvement national arabe entre le projet sioniste et des puissances impérialistes et colonialistes.

24 - Les sionistes, de leur coté, étaient persuadés que la résistance arabe au projet sioniste - dont l’objet était de sauver les Juifs des flammes en Europe - était simplement la conséquence de la nature cruelle des Arabes et de l’islam. Les combattants arabes étaient des « bandits » et les soulèvements de l’époque des « émeutes ».

25 - En fait, le dirigeant sioniste le plus extrémiste, Vladimir (Ze’ev) Jabotinsky, était presque le seul a avoir reconnu dans les années 1920 que la résistance arabe aux implantations sionistes était inévitable, qu’elle allait de soi et que, de son propre point de vue, c’était une juste réaction d’une population « autochtone » défendant son pays contre des envahisseurs étrangers. Jabotinsky reconnaissait aussi que les Arabes du pays constituaient une entité nationale distincte et il tournait en dérision les tentatives faites pour soudoyer les dirigeants d’autres pays arabes afin de mettre fin à la résistance des Arabes de Palestine. Cependant Jabotinsky préconisait d’élever un « mur de fer » contre les Arabes et d’écraser leur résistance par la force.

26 - Ces perceptions totalement contradictoires des faits imprègnent tous les aspects du conflit. Par exemple, les Juifs considéraient leur lutte pour le « travail juif » comme une action sociale de progrès pour transformer une population d’intellectuels, de commerçants, d’intermédiaires et de spéculateurs en ouvriers et en paysans. Les Arabes, quant à eux, y voyaient une action raciste des sionistes pour les exproprier, les exclure du marché du travail et pour mettre en place sur leur territoire une économie juive séparée dont les Arabes seraient exclus.

27 - Les sionistes étaient fiers de leur « rachat de la terre ». Ils l’avaient rachetée au prix fort avec l’argent recueilli auprès de Juifs du monde entier. Les « Olim » (les nouveaux immigrants, littéralement pèlerins) dont beaucoup avaient été des intellectuels et des commerçants dans leurs vies précédentes gagnaient désormais leur vie au prix d’un dur travail manuel. Ils étaient convaincus d’avoir réalisé tout cela par des moyens pacifiques et sans déposséder un seul Arabe. Pour les Arabes, c’était l’histoire douloureuse d’une expropriation et d’une expulsion : les Juifs achetaient à des propriétaires arabes, habitant des villes en Palestine ou à l’étranger, des terres qu’ils n’occupaient pas. Ils expulsaient ensuite par la force des paysans qui avaient cultivé ces terres pendant des générations. Les sionistes se sont fait aider dans cette tâche par les Turcs et plus tard par la police britannique. Les Arabes voyaient avec désespoir leurs terres leur échapper.

28 - Contre l’affirmation des sionistes d’avoir réussi à « faire fleurir le désert », les Arabes citaient les témoignages de voyageurs européens qui avaient, pendant plusieurs siècles, décrit la Palestine comme une terre relativement peuplée et prospère, à l’égal de tous ses voisins dans la région.

Indépendance et catastrophe

29 - Le contraste entre les deux versions nationales atteint un sommet au cours de la guerre de 1948 que les Juifs ont appelée « la guerre d’indépendance” ou même « la guerre de libération » et que les Arabes ont appelée « el Naqba » c’est-à-dire la catastrophe.

30 - Alors que le conflit gagnait en intensité dans la région et compte tenu de l’impact considérable de l’Holocauste, les Nations unies ont décidé le partage de la région entre deux États, un État juif et un État arabe. Jérusalem et ses environs devaient demeurer une entité à part, sous juridiction internationale. Les Juifs se virent allouer 55% du territoire, dont le désert dépeuplé du Néguev.

31 - La majorité du mouvement sioniste a accepté la résolution de partage, avec la conviction que la question essentielle était d’asseoir la souveraineté juive sur des fondations solides. Au cours de réunions en petit comité, David Ben Gourion n’a jamais fait mystère de son intention d’accroître à la première occasion la surface du territoire attribué aux Juifs. Voilà pourquoi la déclaration d’indépendance d’Israël n’a pas défini les frontières de l’État et qu’Israël ne les a toujours pas définies à ce jour.

32 - Le monde arabe n’a pas accepté le plan de partage et l’a considéré comme une ignoble tentative des Nations unies, qui était alors un club regroupant essentiellement des pays occidentaux et des pays communistes, de diviser un pays qui ne leur appartenait pas. L’attribution de plus de la moitié du pays à la minorité juive qui représentait seulement un tiers de la population rendait la chose d’autant plus impardonnable à leurs yeux.

33 - La guerre déclanchée par les Arabes après le plan de partage fut, inévitablement, une guerre « ethnique » ; une guerre au cours de laquelle chaque camp s’efforce de conquérir autant de terrain que possible et d’en chasser la population de l’autre camp. Une telle campagne (que l’on a qualifiée plus tard de « nettoyage ethnique ») implique toujours des expulsions et des atrocités.

34 - La guerre de 1948 a été la suite directe du conflit entre les sionistes et les Arabes et chaque camp a cherché à réaliser ses objectifs historiques. Les Juifs voulaient installer un État national homogène sur un espace aussi vaste que possible. Les Arabes voulaient éradiquer l’entité sioniste juive qui avait été fondée en Palestine.

35 - Les deux parties ont pratiqué le nettoyage ethnique comme partie intégrante du combat. Presque aucun arabe n’est resté dans les territoires conquis par les Juifs et aucun juif n’est resté dans les territoires conquis par les Arabes. Cependant, du fait que les territoires conquis par les Juifs étaient très étendus alors que les Arabes n’avaient réussi à conquérir que des petites zones (comme le Bloc Etzion, le quartier juif de la vieille ville de Jérusalem), le résultat a été inégal. (L’idée d’« échange de populations » et celle de « transfert » ont été émises au sein des organisations sionistes dès les années 1930. Concrètement cela signifiait l’expulsion de la population arabe du pays. D’un autre coté, beaucoup parmi les Arabes estimaient que les sionistes devaient retourner aux endroits d’où ils venaient.)

36 - Le mythe du « petit nombre contre le grand nombre » a été créé du coté juif pour décrire la situation de la communauté de 650.000 personnes opposée à l’ensemble du monde arabe : plus de 100 millions d’individus. La communauté juive a perdu 1% de sa population dans la guerre. Les Arabes ont eu une image totalement différente : un peuple arabe fragmenté, sans direction nationale digne de ce nom, sans commandement unifié pour diriger de maigres forces sous-équipées en armements, obsolètes pour la plupart, face à une communauté juive très bien organisée, rompue au maniement d’armes qu’elle recevait à profusion (en particulier du bloc soviétique). Les pays arabes voisins ont trahi les Palestiniens et, quand ils ont fini par envoyer leurs armées en Palestine, ils sont entrés en compétition les uns avec les autres, sans coordination ni plan commun. Tant du point de vue social que militaire, les moyens de combat des Israéliens étaient très supérieurs à ceux des États arabes à peine sortis de l’ère coloniale.

37 - Le plan de partage des Nations unies attribuait 55% du territoire de la Palestine à l’État juif, État dans lequel les Arabes représenteraient presque la moitié de la population. Pendant la guerre, l’État juif étendit ses territoires et finit par s’attribuer 78% de la surface de la Palestine, presque vidée de sa population arabe. Les populations arabes de Nazareth et de quelques villages de Galilée sont restées, presque par hasard ; les villages situés dans le Triangle furent donnés à Israël par le roi Abdallah dans le cadre d’un accord passé avec lui ; leurs habitants ne pouvaient de ce fait en être chassés.

38 - Au cours de la guerre, 750.000 Palestiniens ont été déracinés. Certains, qui se trouvaient dans des zones de combat, s’étaient enfuis comme le font les civils dans toutes les guerres. Certains furent conduits à fuir par des actes de terreur, comme le massacre de Deir-Yassin. D’autres furent méthodiquement chassés au cours d’opérations de nettoyage ethnique.

39 - Le fait que les réfugiés n’aient pas été autorisés à rentrer chez eux après la fin des combats, comme cela se fait après une guerre conventionnelle, n’est pas moins important que l’expulsion des gens. Tout au contraire, le nouvel État d’Israël a considéré le départ des Arabes comme une bénédiction et a entrepris de raser complètement quelques 450 villages arabes. De nouveaux villages juifs furent construits sur les ruines ; ils ont souvent repris leur ancien nom sous une forme hébraïque. Les quartiers abandonnés dans les villes ont été remplis de nouveaux immigrants. Dans les manuels scolaires israéliens toute mention des habitants antérieurs a été supprimée.

« Un État juif »

40 - La signature des accords d’armistice au début de 1949 n’a pas mis fin au conflit historique. Au contraire il lui a fait franchir un nouveau degré plus intense.

41 - Le nouvel État d’Israël a consacré ses premières années d’existence à consolider son caractère d’État juif homogène. D’énormes surfaces de terres ont été expropriées aux dépens des « absents » (les réfugiés à qui l’on interdisait de revenir), aux dépens aussi de ceux que l’on qualifiait de « présents absents » (des Arabes qui étaient restés en Israël mais auxquels on avait refusé la citoyenneté israélienne) et même aux dépens de citoyens arabes d’Israël dont la majeure partie des terres furent saisies. Sur ces terres un dense réseau de communautés juives a été créé. Des immigrants juifs furent invités et même incités à venir en masse. Ce grand effort a permis de multiplier plusieurs fois la population de l’État en peu d’années.

42 - Dans le même temps, l’État a poursuivi une politique énergique pour effacer l’entité nationale palestinienne. Avec l’assistance des Israéliens, le roi Abdallah de Transjordanie a pris le contrôle de la Cisjordanie et, depuis lors, il y a eu en fait une garantie militaire israélienne de l’existence de ce qui est devenu le Royaume hachémite de Jordanie.

43 - La principale raison de l’alliance entre Israël et le Royaume hachémite, depuis déjà trois générations, est d’empêcher la création d’un État palestinien indépendant et viable. Un tel État était, et est toujours, considéré par les autorités israéliennes comme un obstacle potentiel à la réalisation de l’objectif sioniste.

44 - Un changement historique est intervenu à la fin des années 1950 du coté palestinien lorsque Yasser Arafat et ses compagnons ont fondé le Mouvement de Libération de la Palestine (Fatah), non seulement pour diriger le combat contre Israël mais aussi pour libérer la cause palestinienne de la tutelle des gouvernements arabes. Ce n’est pas par hasard que ce mouvement est né après l’échec de la grande vague panarabe dont le protagoniste le plus connu était Gamal Abd-el-Nasser. Jusqu’alors, beaucoup de Palestiniens avaient espéré s’intégrer dans une nation unie panarabe. Lorsque cet espoir s’est évanoui, l’identité palestinienne séparée s’est réaffirmée.

45 - Au début des années 1960, Gamal Abd-el-Nasser a créé l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), principalement pour empêcher des actions palestiniennes indépendantes qui auraient pu l’engager malgré lui dans une guerre avec Israël. L’Organisation était conçue pour imposer un contrôle égyptien sur les Palestiniens. Cependant, après la déroute arabe de la guerre de juin 1967, le Fatah, dirigé par Yasser Arafat, a pris le contrôle de l’OLP qui est depuis lors le seul représentant du peuple palestinien.

« La guerre des Six-Jours »

46 - Comme tous les autres événements survenus au cours des 120 dernières années, la guerre de juin 1967 est vue sous un éclairage très différent par chacune des deux parties. Selon le mythe israélien, elle a été une guerre de défense désespérée qui laissa miraculeusement une grande quantité de terres aux mains des Israéliens. Selon le mythe palestinien, Israël a entraîné les dirigeants d’Égypte, de Syrie et de Jordanie dans une guerre à laquelle il avait intérêt, dans le but dès l’origine de s’emparer du reste de la Palestine.

47 - Beaucoup d’Israéliens pensent que la « guerre des Six-Jours » est la racine de tout le mal et que c’est alors seulement que l’Israël pacifiste et progressiste s’est transformé en conquérant et en occupant. Cette conviction leur permet de prétendre à l’absolue pureté du sionisme et de l’État d’Israël jusqu’à ce moment de l’histoire et de préserver leurs vieux mythes. Il n’y a rien de vrai dans cette légende.

48 - La guerre de 1967 était encore une nouvelle phase de la vieille lutte engagée entre les deux mouvements nationaux. La nature n’en était pas changée, les circonstances seules étaient différentes. Les objectifs essentiels du mouvement sioniste - un État juif, l’expansion, et la colonisation - ont été poursuivis par l’adjonction d’encore plus de territoires. Les circonstances particulières de cette guerre n’ont pas permis un nettoyage ethnique complet, mais plusieurs centaines de milliers de palestiniens ont néanmoins été expulsés.

49 - Le plan de partage de 1947 attribuait à Israël 55% de la Palestine, puis 23% supplémentaires furent conquis lors de la guerre de 1948 et maintenant les 22% restants, au delà de la « Ligne verte » (la ligne d’avant l’armistice de 1967) le sont aussi. En 1967, Israël rassembla par inadvertance sous son autorité toutes les composantes du peuple palestinien qui restaient dans le pays (y compris des réfugiés).

50 - Dès la fin de la guerre, le mouvement de colonisation des territoires occupés a commencé. Presque toutes les composantes de l’échiquier politique israélien y ont pris part - depuis le messianico-nationaliste « Gush Emunim » jusqu’au Mouvement uni des Kibboutz « de gauche ». Les premiers colons avaient le soutien de la plupart des hommes politiques, de gauche comme de droite, de Ygal Alon (la colonie juive de Hebron) à Shimon Peres (la colonie de Kedumim).

51 - Le fait que tous les gouvernements d’Israël ont favorisé et développé les colonies, bien qu’à des degrés divers, prouve que l’incitation à implanter de nouvelles colonies n’était pas le fait d’un camp idéologique particulier mais que cela impliquait l’ensemble du mouvement sioniste. L’impression que seule une petite minorité a assuré le développement du processus de colonisation est une l’illusion. Seule une action vigoureuse de tous les éléments du gouvernement, impliquant tous les ministères, depuis 1967, pouvait produire l’infrastructure législative, stratégique et budgétaire qu’exige une entreprise aussi longue et aussi coûteuse.

52 - L’infrastructure législative accrédite l’hypothèse mensongère que l’autorité d’occupation est le propriétaire de « terres appartenant au gouvernement » bien qu’elles constituent les réserves de terres indispensables à la population palestinienne. Il va sans dire que l’activité de colonisation contrevient au droit international.

53 - Le désaccord entre les partisans du « Grand Israël » et ceux du « compromis territorial » est essentiellement un désaccord sur les modalités de réaliser l’aspiration sioniste de base qui leur est commune : un État juif homogène sur un territoire aussi vaste que possible, mais sans une « bombe démographique à retardement ». Les partisans du « compromis » mettent l’accent sur l’aspect démographique et veulent éviter d’inclure la population palestinienne dans l’État d’Israël. Les partisans du « Grand Israël » mettent l’accent sur l’aspect géographique et estiment - en privé ou en public - qu’il est possible d’expulser la population non juive du pays (nom de code « transfert »).

54 - L’état-major de l’armée israélienne a joué un rôle important dans la planification et l’implantation des colonies. Il a établi la carte des colonies (en accord avec Ariel Sharon) : groupes de colonies avec des routes de contournement et de raccordement aux grands axes routiers découpant la Cisjordanie et la bande de Gaza et emprisonnant les Palestiniens dans des enclaves isolées, entourées de colonies et de forces d’occupation.

55 - Les Palestiniens ont eu recours à plusieurs méthodes de résistance, principalement des raids à partir du Liban et de la Jordanie ainsi que des attentats à l’intérieur d’Israël et dans le monde. Ces actes sont qualifiés de « terrorisme » par les Israéliens, tandis que les Palestiniens les considèrent comme des actes de résistance légitime d’un peuple occupé. Alors que les Israéliens considéraient la direction de l’OLP, avec à sa tête Yasser Arafat, comme un quartier général terroriste, celle-ci a été progressivement reconnue au plan international comme le « seul représentant légitime » du peuple palestinien.

56 - Á la fin de 1987, lorsque les Palestiniens ont pris conscience que ces actions ne permettaient pas de mettre un terme au processus d’implantation de colonies qui progressivement leur enlevait la terre de dessous les pieds, ils ont lancé l’Intifada - un soulèvement populaire spontané de tous les secteurs de la population. Pendant cette (« première ») Intifada, 1500 Palestiniens ont été tués, dont des centaines d’enfants ; c’est plusieurs fois le nombre des pertes israéliennes, mais cela a remis le « problème palestinien » à l’ordre du jour des instances israéliennes et internationales.

Le processus de paix

57 - La guerre d’octobre 1973, qui a commencé par de premiers succès par surprise des forces égyptiennes et syriennes et s’est terminée par leur défaite, a convaincu Yasser Arafat et ses proches compagnons que la réalisation des aspirations nationales palestiniennes par des voies militaires était impossible. Il a décidé de se tourner vers une option politique qui conduirait à un accord avec Israël et permettrait aux Palestiniens, par des négociations, de constituer un État indépendant dans au moins une partie du pays.

58 - Pour préparer le terrain, Arafat prit des contacts avec des personnalités israéliennes capables d’exercer une influence sur l’opinion publique et la politique du gouvernement. Ses émissaires (Saïd Hamami et Issam Sartaoui) ont rencontré des pionniers de la paix israéliens qui, à la fin de 1975, créé le « Conseil israélien pour la paix israélo-palestinienne ».

59 - Ces contacts, de plus en plus fréquents, de même que la lassitude croissante des israéliens face à l’Intifada, le désengagement jordanien officiel de la Cisjordanie, l’évolution de la situation internationale (l’effondrement du bloc communiste, la guerre du Golfe) ont abouti à la Conférence de Madrid et, plus tard, aux accords d’Oslo.

Les accords d’Oslo

60 - Les accords d’Oslo comportent des éléments positifs et des éléments négatifs.

61 - Pour ce qui est des éléments positifs, les accords ont conduit pour la première fois Israël à reconnaître officiellement le peuple palestinien et sa direction nationale et le mouvement national palestinien à reconnaître l’existence d’Israël. Á cet égard, les accords - et les échanges de lettres qui les ont précédés - ont eu une portée historique considérable.

62 - En fait, les accords donnaient au mouvement national palestinien une base territoriale sur le sol de la Palestine, la structure d’un « État en voie de constitution » et des forces armées - faits qui joueraient un rôle important dans le déroulement de la lutte des Palestiniens. Pour les Israéliens,lesaccords ouvraient les portes du monde arabe et mettaient fin aux attaques palestiniennes - pour autant que les accords soient réellement appliqués.

63 - Le défaut le plus important des accords tenait au fait que le but final n’était pas formulé, ce qui permettait à chacune des parties de poursuivre des objectifs totalement différents. Les Palestiniens voyaient dans les accords intérimaires une voie royale vers la fin de l’occupation et l’établissement d’un État palestinien dans l’ensemble des territoires occupés (qui dans leur ensemble représentent 22% de la surface de la Palestine historique entre la Méditerranée et le Jourdain). D’autre part, les gouvernements israéliens successifs les considéraient comme un moyen de maintenir leur occupation dans des parties importantes de la Cisjordanie et de la bande de Gaza, le « gouvernement autonome » palestinien jouant le rôle d’auxiliaire de sécurité pour protéger Israël et les colonies

64 - Étant donné que le but final n’était pas défini, les accords d’Oslo n’ont pas marqué le commencement d’un processus pour mettre fin au conflit, mais plutôt l’entrée dans une nouvelle phase du conflit.

65 - Étant donné la divergence entre les attentes des deux parties et le fait que chacune restait entièrement prisonnière de sa propre « version » nationale, chaque article des accords a été interprété différemment. En fin de compte, de nombreux éléments des accords sont restés lettre morte, surtout de la part d’Israël (par exemple : le troisième retrait, les quatre passages sécurisés entre la Cisjordanie et la bande de Gaza).

66 - Pendant toute la période du « processus d’Oslo », Israël a continué sa vigoureuse expansion des colonies, d’abord en créant de nouvelles colonies sous divers prétextes, en développant celles qui existaient déjà, en construisant un réseau dense de routes de contournement, expropriant des terres, démolissant des maisons, déracinant des plantations etc. Les Palestiniens, de leur coté, mettaient à profit le temps pour accroître leurs forces, à la fois dans le cadre des accords et en dehors de ce cadre. En réalité la confrontation historique s’est poursuivie sans interruption sous l’apparence de négociations et du « processus de paix » qui est devenu le succédané d’une paix réelle.

67 - Contrairement à l’image de lui que l’on a abondamment exploité après son assassinat, Yitzhak Rabin a continué l’expansion « sur le terrain » tout en s’engageant dans le même temps dans le processus politique de réalisation d’une paix conforme à l’idée que s’en faisaient les Israéliens. Comme adepte du « récit » et de la mythologie sionistes, il était victime de dissonance cognitive quand son désir sincère de paix entrait en conflit avec son univers conceptuel. On l’a vu lorsqu’il s’est abstenu d’évacuer la colonie juive d’Hébron après le massacre par Goldstein de musulmans en prière. Il semble qu’il n’ait commencé à assimiler quelques éléments de l’« histoire » palestinienne que vers la fin de sa vie.

68 - Le cas de Shimon Peres est bien plus accablant. Il s’est constitué une image internationale d’artisan de la paix et il a même réussi à adapter son langage à cette image (« Le nouveau Moyen-Orient ») alors qu’il est demeuré fondamentalement un faucon sioniste traditionnel. C’est apparu clairement pendant la brève et sanglante période où il a été Premier ministre après l’assassinat de Rabin en 1995 puis, de nouveau, lorsqu’il est entré dans le gouvernement de Sharon en 2001 en acceptant de jouer le rôle de porte parole et d’apologiste de Sharon.

69 - C’est Ehud Barak qui a exprimé le plus clairement le dilemme israélien ; il est arrivé au pouvoir absolument convaincu qu’il pourrait trancher le nœud gordien du conflit historique par un coup spectaculaire, à la façon d’Alexandre le Grand. Barak a abordé la question en ignorant totalement l’« histoire » palestinienne, faisant preuve du plus profond mépris pour ce qu’elle exprimait. Il a formulé ses propositions sans aucune considération pour le point de vue palestinien et les a présentées comme un ultimatum. Il a été choqué et est devenu furieux quand les Palestiniens les ont rejetées.

70 - Á ses propres yeux et aux yeux de l’opinion publique israélienne, Barak « avait remué ciel et terre » et fait aux Palestiniens « plus d’offres généreuses qu’aucun des Premiers ministres qui l’avaient précédé ». En échange, il exigeait que les Palestiniens signent une déclaration disant que ces offres constituaient « la fin du conflit ». Pour les Palestiniens c’était une absurdité dans la mesure où Barak leur demandait de renoncer à leurs aspirations nationales fondamentales, comme le droit au retour et la souveraineté sur Jérusalem-Est, le Mont du Temple inclus. Qui plus est, l’annexion de territoires que Barak présentait comme des pourcentages négligeables (tels que les « blocs de colonies ») concernait, d’après les calculs des Palestiniens, l’annexion réelle à Israël de 20% de la Cisjordanie.

71 - De leur point de vue, les Palestiniens avaient déjà fait le maximum de concessions en acceptant d’installer leur État au-delà de la ligne verte, sur seulement 22% du territoire de leur patrie historique. En conséquence, ils n’accepteraient que de légères modifications de frontières dans le cadre d’un échange de territoires. La position israélienne traditionnelle est que les territoires acquis lors de la guerre de 1948 ne peuvent faire l’objet d’aucune discussion et que le compromis nécessaire ne peut concerner que les 22% restants.

72 - Ainsi, comme c’est le cas avec beaucoup de termes et de concepts, le mot «  concession » ne signifie pas la même chose pour les deux parties. Les Palestiniens croient qu’ils ont déjà « concédé » 78% de leur territoire lorsqu’à Oslo ils ont accepté de n’en conserver que 22%. Les Israéliens croient qu’ils font des « concessions » lorsqu’ils acceptent de « donner » aux Palestiniens des parties de ces 22%.

73 - Les choses ont atteint leur paroxysme au Sommet de Camp David au cours de l’été 2000, sommet imposé à Arafat contre son gré et sans lui laisser de temps de le préparer. Les exigences de Barak, présentées au Sommet comme étant celles de Clinton, étaient que les Palestiniens acceptent de mettre fin au conflit en ne parlant plus du droit au retour et de tout retour de réfugiés en Israël. Ils devaient en outre accepter des arrangements complexes pour Jérusalem-Est et le Mont du Temple, sans obtenir de souveraineté sur ces lieux, accepter l’annexion par Israël d’importants blocs de colonies en Cisjordanie et dans la bande de Gaza, accepter une présence militaire israélienne dans d’autres zones étendues (comme la vallée du Jourdain), accepter le contrôle par les Israéliens des frontières entre l’État palestinien et le reste du monde. Il était totalement impossible à n’importe quel dirigeant palestinien de signer un tel accord et de convaincre son peuple de l’accepter ; de ce fait le sommet s’est terminé sans résultat. Peu de temps après, les mandats de Clinton et de Barak prenaient simultanément fin, alors qu’Arafat était reçu en héros par les Palestiniens pour avoir résisté sans céder aux pressions de Clinton et de Barak.

L’Intifada al Aqsa

74 - L’échec du Sommet, la disparition de tout espoir d’accord entre les deux parties et la position inconditionnellement pro-israélienne des États-Unis ont inévitablement conduit à une nouvelle phase de confrontations violentes que l’on a appelé « l’Intifada al-Aqsa ». Pour les Palestiniens c’est un soulèvement national justifié contre une interminable occupation qui a permis de continuer à tirer la terre sous leurs pieds. Pour les Israéliens il s’agit d’une explosion de terrorisme meurtrier. Les auteurs de ces attaques sont aux yeux des Palestiniens des héros de la nation et pour les Israéliens d’horribles criminels qu’il faut liquider.

75 - Les médias officiels en Israël ont fréquemment abandonné le mot « colons » et, sur ordre des autorités, se sont mis à les appeler des « résidents », si bien que toute attaque contre eux apparaissait comme un crime à l’encontre de civils. Les Palestiniens voient dans les colons le fer de lance d’un ennemi dangereux venu les déposséder de leurs terres auxquels il faut résister et qu’il faut attaquer.

76 - Pendant l’Intifada al-Aqsa, une grande partie du « Camp de la Paix » israélien s’est écroulé, démontrant ainsi le faible enracinement de beaucoup de ses convictions. Dans la mesure où il n’a jamais fait l’effort d’un réel réexamen de l’histoire sioniste et où ses membres n’ont jamais assimilé le fait qu’il y a aussi une histoire palestinienne, les comportements palestiniens semblaient à ses membres totalement incompréhensibles, surtout après que Barak eut « remué ciel et terre et fait des offres plus généreuses qu’aucun Premier ministre avant lui ». La seule explication qui restait était que les Palestiniens avaient trompé le Camp de la paix israélien, qu’ils n’avaient jamais eu réellement l’intention de faire la paix et que leur véritable projet est de jeter les Juifs à la mer comme l’a toujours prétendu la droite sioniste. Conclusion : « Nous n’avons pas de partenaire ».

77 - Il en est résulté que la frontière entre les sionistes de « droite » et ceux de « gauche  » a presque disparu. Les dirigeants du parti travailliste ont rallié le gouvernement Sharon et sont devenus ses apologistes les plus efficaces (e.g. Shimon Pérès) et même l’opposition formelle de gauche est devenue inefficace. Cela a démontré une fois de plus que la vision originelle sioniste de l’histoire est le facteur décisif d’unité entre tous les éléments du système politique en Israël ; en temps de crise les différences entre eux perdent toute signification.

78 - L’Intifada al-Aqsa (encore appelée « seconde Intifada ») a porté l’intensité du conflit à un nouveau niveau. Au cours des trois premières années, environ 2600 Palestiniens et 800 Israéliens ont été tués. Les opérations militaires israéliennes ont fait de la vie des Palestiniens un enfer ; les villes et les villages ont été séparés les uns des autres ; leur économie a été détruite et beaucoup de gens sont à la limite de la famine. Les exécutions extrajudiciaires de militants palestiniens (« liquidations ciblées »), tuant au passage des civils, sont devenues une routine. Les incursions dans les villes et les villages palestiniens pour tuer ou arrêter des suspects sont devenues quotidiennes. Yasser Arafat, le dirigeant de la lutte palestinienne de libération, emprisonné dans son complexe de Ramallah (la Moukata) et dont la vie est constamment menacée est devenu le symbole suprême de la résistance à l’occupation.

79 - Contrairement aux attentes des dirigeants politiques et militaires israéliens, l’extrême pression militaire et économique exercée sur la population palestinienne n’est pas parvenue à la briser. Même dans les circonstances les plus extrêmes, elle a réussi à maintenir les apparences d’une vie normale et elle a trouvé les moyens de reprendre le combat. L’arme la plus efficace et la plus épouvantable est constituée par les attentats suicides qui ont porté la confrontation sanglante au centre des villes israéliennes. L’Intifada a encore causé d’autres dommages à Israël en paralysant le tourisme et en arrêtant les investissements étrangers, en creusant la dépression, en provoquant un ralentissement de l’économie nationale et l’effondrement des services sociaux, entraînant de ce fait un élargissement des fractures sociales et accroissant les tensions au sein de la société israélienne.

80 - Pour répondre aux attentats et spécialement aux attentats suicides dont l’impact sur le moral de la population est énorme, les dirigeants de la « gauche sioniste » ont exigé la construction d’une barrière physique entre Israël et les territoires palestiniens. Dans un premier temps, la « droite sioniste » s’est opposée à cette « clôture de séparation » craignant qu’elle ne crée une frontière politique à proximité immédiate de la Ligne Verte. Mais Ariel Sharon a vite compris qu’il pourrait exploiter l’idée de clôture à ses propres fins. Il a commencé à édifier la barrière suivant un tracé correspondant à ses objectifs, avec des pénétrations profondes à l’intérieur des territoires palestiniens, réunissant les gros blocs de colonies à Israël et confinant les Palestiniens dans des enclaves isolées, sous le contrôle d’Israël.

81 - Vers la fin de la troisième année de l’Intifada al-Aqsa, des signes clairs de lassitude de la guerre et aussi d’opposition à la brutalité croissante de l’occupation pouvaient être perceptibles dans la société israélienne. Parmi ces signes, le mouvement de refus chez les jeunes gens appelés sous les drapeaux, la révolte de 27 pilotes de l’armée de l’air, le refus de l’unité de commando d’élite de l’état-major de participer à des opérations « illégales et immorales », le communiqué commun de quatre anciens chefs des services de sécurité contre la poursuite de l’occupation, la publication des principes de paix de Sari Nusseibeh et Ami Ayalon, l’initiative de Genève de Yossi Beilin et Yasser Abed Rabbo, la lutte en cours contre le Mur de séparation, l’inflexion des positions et du ton d’hommes politiques et de commentateurs.

82 - Après l’invasion américaine de l’Irak au début de l’année 2003, les États-Unis sont devenus plus sensibles aux conséquences négatives du conflit israélo-palestinien. En raison des pressions exercées aux États-Unis par les puissants lobbys juif et chrétien fondamentaliste qui ont beaucoup d’influence au sein de la Maison Blanche de Georges W. Bush, la capacité de l’administration américaine à contribuer à une solution est très limitée. Malgré cela, un « quartet » comprenant les USA, l’Union européenne, la Russie et les Nations unies a réussi à présenter une « Feuille de route vers la Paix ».

83 - La Feuille de route de 2003 souffre du même défaut fondamental que la Déclaration de principes d’Oslo de 1993. Bien que, à la différence d’Oslo, elle définisse concrètement un but (« deux États pour deux peuples »), elle ne précise pas où doivent se situer les frontières du futur État palestinien ; ce qui vide la « feuille » de son élément essentiel. Ariel Sharon a pu accepter la Feuille de route (avec 14 réserves la vidant de l’essentiel de son contenu) puisqu’il était tout à fait prêt à donner le nom d’« État Palestinien » aux enclaves palestiniennes qu’il veut établir sur 10% du territoire.

84 - L’expérience d’Oslo et la nouvelle tentative de la Feuille de route montrent de façon probante qu’un document qui cherche à proposer des phases intermédiaires n’a pas de valeur, à moins de formuler clairement dès son émission les détails de l’accord de paix final. Á défaut d’une telle formulation, il est totalement impossible de réaliser les phases intermédiaires. Lorsque chaque partie se bat pour un objectif final différent, la confrontation ne peut que redevenir explosive à chaque nouvelle phase intérimaire.

85 - Sachant pertinemment qu’il n’y a aucune chance de mise en œuvre effective de la Feuille de route, Sharon a présenté à la fin de l’année 2003 son projet de « pas unilatéraux ». C’est un nom de code pour désigner l’annexion d’environ la moitié de la Cisjordanie à Israël et le confinement des Palestiniens dans des enclaves isolées, reliées seulement par des routes, des tunnels et des ponts susceptibles d’être coupés à tout moment. Le plan est conçu de telle façon qu’aucune population palestinienne ne soit incorporée à Israël et qu’aucune réserve territoriale ne soit laissée aux enclaves palestiniennes. Dans la mesure où le projet n’implique aucune négociation avec les Palestiniens mais prétend apporter « paix et sécurité » aux citoyens israéliens, il peut tirer parti de l’aspiration croissante des Israéliens à une solution sans entamer les préjugés et la haine des Israéliens à l’encontre des Palestiniens.

86 - L’attaque générale du gouvernement Sharon et des dirigeants de l’armée contre la population des territoires occupés (agrandissement des colonies, création de nouvelles colonies baptisées « avant-postes », construction de la « clôture de séparation » et de « routes de contournement » réservées aux seuls colons, incursions de l’armée dans les villes palestiniennes et « liquidations ciblées », démolition de maisons et arrachement de plantations) d’une part, les attaques palestiniennes mortelles à l’intérieur d’Israël d’autre part mettent les citoyens palestiniens d’Israël dans une situation intolérable.

87 - La tendance naturelle des Arabes citoyens d’Israël à aider leurs frères situés de l’autre côté de la Ligne Verte entre en conflit avec leur désir d’être acceptés comme des citoyens à part entière d’Israël. Dans le même temps, la peur et la haine de la population juive d’Israël contre tous les « Arabes » s’accroissent et menacent les fondements de l’égalité et des droits civils. Ces processus ont culminé lors des événements d’octobre 2000, immédiatement après le déclenchement de l’Intifada al-Aqsa, lorsque la police israélienne a ouvert un feu meurtrier sur des citoyens arabes.

88 - Ces processus, avec la réémergence du « problème démographique » sur l’agenda israélien, laissent planer de nouveaux doutes sur la doctrine de « l’État juif démocratique ». La contradiction interne entre ces deux qualificatifs, non résolue depuis la création de l’État d’Israël ni en théorie ni en pratique, est plus que jamais évidente. Le sens exact de l’expression « État juif » n’a jamais été explicité, pas plus que le statut de la minorité arabe palestinienne dans un État officiellement défini comme « juif ». La revendication de transformer Israël en un « État de tous ses citoyens » et/ou de reconnaître des droits nationaux précis à la minorité arabe palestinienne recueille de plus en plus d’audience et pas seulement chez les citoyens arabes.

89 - Il résulte de toutes ces évolutions que le conflit devient de moins en moins une confrontation israélo-palestinienne et de plus en plus une confrontation judéo-arabe. Le soutien apporté à Israël par la grande majorité de la diaspora juive, sans tenir compte de ses actions et d’autre part l’adhésion des masses arabes et musulmanes à la cause palestinienne, indépendamment des positions de leurs dirigeants, ont renforcé le phénomène. L’assassinat des dirigeants du Hamas, Cheikh Ahmed Yacine en mars 2003 et Abd-al-Aziz al-Rantissi trois semaines plus tard, ont encore attisé davantage les flammes.

Un nouveau camp de la paix

90 - Le nouveau Mouvement pour la paix doit être fondé sur la compréhension que le conflit est un choc entre le Mouvement sioniste israélien, que son « code génétique » oriente vers la conquête de la totalité du pays avec l’expulsion de la population non juive, et le Mouvement national palestinien, que son « code génétique » oriente vers l’opposition à cette conquête et l’établissement d’un État palestinien sur l’ensemble du pays. On peut y voir le choc entre une « force irrésistible » et « un objet inébranlable ».

91 - La tâche du Mouvement israélien pour la paix est de mettre fin au choc historique, de surmonter le « code génétique » sioniste israélien et de coopérer avec les forces de paix palestiniennes, afin de rendre possible une paix sur la base d’un compromis historique qui conduira à la réconciliation entre les deux peuples. Les forces de paix palestiniennes ont une tâche semblable à accomplir.

92 - Pour cela des formulations diplomatiques d’un futur accord de paix ne suffisent pas. Le Mouvement de la paix israélien doit être inspiré d’un esprit nouveau qui puisse toucher les cœurs de l’autre peuple, entraîner la foi dans la possibilité de la paix et gagner les cœurs des secteurs de la société israélienne prisonniers des vieux mythes et préjugés. Le Mouvement de la paix doit s’adresser aux cœurs et aux esprits de l’ensemble des Israéliens.

93 - Les petits mouvements de la paix israéliens conséquents quant à leurs positions, qui ont tenu bon et continué à lutter alors que la majeure partie du camp de la paix s’effondrait avec l’échec de Camp David et l’explosion de l’Intifada al-Aqsa, doivent jouer un rôle essentiel dans ce processus.

94 - Ces mouvements peuvent se comparer à une petite roue animée par un moteur qui entraîne une roue plus grande qui à son tour met en mouvement une roue encore plus grande et ainsi de suite jusqu’à ce que l’ensemble de la machinerie soit mise en route. Toutes les réalisations des forces de paix israéliennes ont été obtenues de cette façon dans le passé : la reconnaissance par Israël de l’existence du peuple palestinien, l’acceptation par un large public de l’idée d’un État palestinien, l’ouverture à l’idée d’engager des négociations avec l’OLP, d’accepter un compromis sur Jérusalem, etc.

95 - Le nouveau camp de la paix doit conduire l’opinion publique à un réexamen courageux de « l’histoire nationale » pour la purger de ses erreurs. Il doit travailler sincèrement à faire la synthèse des versions historiques des deux peuples en une seule histoire, exempte d’erreurs historiques et acceptable par les deux parties.

96 - En se livrant à ce travail, il doit aussi aider le public israélien à prendre conscience qu’à coté des aspects nobles et positifs du projet sioniste, une injustice terrible a été infligée au peuple palestinien. Cette injustice, d’une ampleur énorme pendant la « Naqba », nous fait une obligation d’en assumer la responsabilité et d’en corriger les effets autant que possible.

97 - Un accord de paix n’a de valeur que si les deux parties sont capables de l’accepter en esprit et en pratique, si tant est qu’il répond aux aspirations nationales fondamentales et ne porte pas atteinte à la dignité et à l’honneur de la nation.

98 - Dans la situation actuelle il n’y a pas d’autre solution que celle qui se fonde sur le principe de « Deux États pour deux peuples », ce qui signifie la coexistence pacifique dans deux États indépendants, Israël et Palestine.

99 - L’idée émise quelquefois qu’il est possible et souhaitable de remplacer la solution des deux États par une solution d’un seul État entre la Méditerranée et le Jourdain, un État bi-national ou non national, est irréaliste. La majorité des Israéliens n’acceptera pas le démantèlement de l’État d’Israël, tout comme, dans leur grande majorité, les Palestiniens ne renonceront pas à un État qui leur soit propre. De plus, cette illusion est dangereuse en ce qu’elle sape les efforts pour une solution à deux États, réalisable dans un avenir prévisible, en faveur d’une idée qui n’a aucune chance de se réaliser au cours des prochaines décennies. Cette illusion peut aussi être mal utilisée et servir de prétexte au maintien et à l’extension des colonies. Si l’on arrivait à créer un État conjoint, il deviendrait un champ de bataille, avec une partie luttant pour préserver sa majorité en expulsant l’autre partie.

100 - Le nouveau camp de la paix doit formuler un plan de paix basé sur les principes suivants :

a - L’occupation prendra fin. Un État palestinien indépendant et viable sera créé à côté d’Israël.

b - La Ligne Verte sera la frontière entre l’État d’Israël et l’État de Palestine. Des échanges limités de territoires seront possibles seulement par accord mutuel, dans le cadre de négociations libres et sur la base de 1 pour 1.

c - Tous les colons seront évacués de l’État de Palestine et les colonies seront attribuées aux réfugiés qui reviendront.

d - La frontière entre les deux États sera ouverte aux mouvements de personnes et de biens et feront l’objet d’arrangements par accord mutuel.

e - Jérusalem sera la capitale des deux États. Jérusalem-Ouest sera la capitale d’Israël et Jérusalem-Est la capitale de la Palestine. L’État de Palestine exercera une souveraineté complète sur Jérusalem-Est, y compris le Haram al-Charif (Mont du Temple). L’État d’Israël exercera une souveraineté complète sur Jérusalem-Ouest, y compris le Mur Occidental et le quartier juif. Les deux États se mettront d’accord pour assurer l’unité de la ville au plan municipal.

f - Israël reconnaîtra, en principe, le droit au retour des réfugiés palestiniens comme un droit humain inaliénable, et assumera sa responsabilité morale pour la part qu’il a prise dans la création du problème. Un Comité de Vérité et Réconciliation établira les faits historiques de façon objective. La solution du problème sera obtenue par des accords fondés sur des considérations justes, équitables et pratiques et incluront le retour des réfugiés dans le territoire de l’État de Palestine, le retour aussi d’un nombre limité d’entre eux, arrêté d’un commun accord, vers l’État d’Israël, le paiement d’indemnités et l’installation dans d’autres pays.

g - Les ressources en eau feront l’objet d’un contrôle conjoint et seront allouées d’un commun accord de façon équitable.

h - Un pacte de sécurité entre les deux États garantira leur sécurité et prendra en considération les besoins particuliers dans ce domaine d’Israël et de la Palestine. L’accord sera avalisé par la communauté internationale et s’appuiera sur des garanties internationales.

i - Israël et la Palestine coopéreront avec d’autres États de la région pour créer une communauté régionale sur le modèle de l’Union Européenne.

j - La région entière sera rendue exempte d’armes de destruction massive.

101 - La signature de l’accord de paix et sa mise en œuvre honnête et de bonne foi conduira à la fin du conflit historique et à la réconciliation entre les deux peuples, sur la base de l’égalité, du respect mutuel et en fournissant un effort de coopération maximale.

Gush Shalom 2004 - Traduit de l’anglais : Fred Lucas

 

Source : France Palestine http://www.france-palestine.org/article873.html

 

Ce texte n'engage que son auteur et ne correspond pas obligatoirement à notre ligne politique. L'AFPS 59/62,  parfois en désaccord avec certains d'entre eux, trouve, néanmoins, utile de les présenter pour permettre à chacun d'élaborer son propre point de vue."

Retour  Haut page  -  Ressources  -  Communiques  -  Accueil