AFPS Nord Pas-de-Calais CSPP

   


Uri Avnery :

« L'Etourneau Va Vers le Corbeau »
 

Une vieille putain décatie qui attend en vain un homme cherchant ses faveurs est une image vraiment pitoyable. ...

...Le parti travailliste israélien se trouve dans cette situation pathétique, mais il est difficile de ressentir de la pitié pour lui.

Depuis des mois maintenant, le parti a attendu à la porte du gouvernement Sharon, espérant à tout moment être invité à y entrer. De temps en temps, Sharon ouvre la porte, lui jette un regard méprisant et lui claque la porte au nez. C'est encore arrivé cette semaine pour la énième fois.

Habituellement on rejette sur Pérès la responsabilité de cette situation. Avec raison bien sûr. Pérès attend désespérément le poste de ministre des Affaires étrangères, tel un homme mourant de soif dans le désert désire de l'eau. En tant que membre du gouvernement, il pourrait rencontrer des rois et des présidents, prendre part à des conférences internationales, faire des déclarations solennelles et toutes les choses qui donnent un sens à sa vie. Pour lui, la vie dans l'opposition n'est pas une vie.

Mais on peut se demander pourquoi cet homme a été élu président du parti. Ceux qui l'ont élu savaient où il veut aller. Après tout, il a déjà servi comme ministre des Affaires étrangères de Sharon, répandant la bonne nouvelle que Sharon n'était plus Sharon, que le léopard avait perdu toutes ses taches et était devenu doux comme un des moutons de sa ferme.

En tant que chef de la plus importante composante parlementaire en dehors de la coalition au pouvoir, Pérès a droit, d'après la loi, au titre de « Chef de l'Opposition ». Aucun titre ne pouvait lui aller plus mal. Alors que Menahem Begin, par exemple, s'épanouissait dans l'opposition où il a passé 29 années heureuses, Pérès se dessèche comme une fleur sans eau. Il ne sait pas quoi faire. Si on lui offrait sur un plateau un programme pour des activités d'opposition, il ne saurait pas quoi en faire.

Depuis le tout début de sa carrière comme instructeur du Mouvement de la Jeunesse travailleuse, Pérès a été un homme du gouvernement. Assistant de David Ben Gourion, directeur général du ministère de la Défense, ministre et Premier ministre, il s'est toujours identifié au gouvernement, a travaillé pour le gouvernement et a représenté le gouvernement. Quand Ben Gourion l'a contraint de quitter le parti travailliste en 1965 et de participer à la fondation du parti d'opposition Raffi, il était malheureux et a saisi le premier prétexte pour revenir au gouvernement. Quand il a perdu une élection et s'est retrouvé dans l'opposition, il a cherché la première occasion pour se joindre à un gouvernement d'« union nationale ».

A cet égard, Pérès est un symbole parfait de son parti. De 1933, quand ce parti dirigeait les institutions gouvernementales de l'organisation sioniste, au « soulèvement » de 1977 qui a amené le Likoud au pouvoir, le parti travailliste a passé 44 ans sans interruption au pouvoir. Evidemment, la victoire du Likoud a abasourdi tout le monde. Jusque là, personne ne pouvait même imaginer un gouvernement sans le parti travailliste.

A l'époque, un membre du parlement ne pouvait qu'avoir pitié des travaillistes qui déambulaient dans les couloirs de la Knesset comme des âmes en peine. Quand ils montaient à la tribune pour parler d'un sujet, ils prenaient spontanément la pose des porte-parole du gouvernement et devaient se ressaisir à mi-discours pour se rappeler qu'après tout leur tâche était de critiquer.

Tout au long de l'année dernière, il a été difficile de se rendre compte que le parti travailliste était dans l'opposition. Certes, il soumettait régulièrement des motions de censure, mais cela n'est qu'un rituel hebdomadaire vide de sens qui n'est pris au sérieux par personne, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de la Knesset.

Sur aucun sujet quel qu'il soit le parti travailliste ne s'oppose réellement au gouvernement. Il s'identifie à la politique économique thathchériste du ministre des Finances Benyamin Netanyahou qui frappe les pauvres (qui votent quand même pour le Likoud) et sert l'élite économique (qui appartient au parti travailliste). Il ne peut se battre contre les colonies puisque Pérès lui-même a fondé la première colonie au centre de la Cisjordanie, Kedumim. Le mur de séparation qui emprisonne les Palestiniens dans des ghettos a été conçu par le parti travailliste, et quand Sharon est devenu Premier ministre, il en a simplement changé le tracé. Le slogan « Nous n'avons pas de partenaire pour la paix » a été inventé par les dirigeants travaillistes Ehoud Barak et Schlomo Ben-Ami. L'idée d'annexer les « blocs de colonies » a été conçue par Yossi Beilin, alors membre important du parti travailliste.

Les relations étroites entre Shimon Pérès et Ariel Sharon ne sont pas accidentelles. Comme l'a dit le prophète Amos (3,3) : « Deux personnes peuvent-elles marcher ensemble si elles ne sont pas d'accord ? » Tous deux sont passés par l'école de Ben Gourion. Tous deux représentent des variantes de la même idéologie. Bien sûr, comme le dit l'ancien proverbe hébreu : « Ce n'est pas pour rien que l'étourneau va vers le corbeau mais c'est parce qu'ils sont tous deux de la même espèce. »

Le nom même « parti travailliste » est un terme impropre - il n'est pas un parti et il n'a rien à voir avec le travail. Il n'a aucune racine dans quatre des cinq composantes majeures de la société israélienne : les religieux, les Juifs orientaux, les nouveaux immigrants de Russie et les citoyens arabes. Il se limite à la cinquième composante, les Juifs ashkénazes (européens), en particulier ceux de l'ancienne génération. C'est une élite établie, privilégiée, bien sûr protégée, qui est à l'aise dans la situation existante, sans aucun enthousiasme et aucune envie de s'impliquer dans la politique partisane (sauf exception)).

Le parti est sens dessus dessous. Il n'a pas en fait de vraies branches locales, seulement des petits groupes de fonctionnaires intéressés. Pire : il n'y pas trace d'une direction nouvelle, ni même de nouvelles idées, après l'effondrement des vieux concepts. On ne voit qu'un groupe de politiciens fatigués, chacun ne s'occupant que de lui-même, se battant pour avoir quelques minutes à la télévision, où il peut répéter des phrases dépassées. Les gens écoutent et bâillent.

Ce sont ces politiciens qui ont élu Pérès, parce qu'ils ne pouvaient se mettre d'accord sur aucun autre candidat à la direction du parti. Ce n'est pas un orchestre symphonique, mais seulement un groupe de musiciens de rue, chacun avec son propre air dans la tête.

Tout ceci ne serait pas important s'il n'avait pas de si graves incidences. L'absence d'une réelle opposition crée un vide dans le paysage politique et laisse toute la place à Sharon et à ses hommes. Le petit parti Meretz, qui s'appelle maintenant « Yahad » (Ensemble), n'est pas non plus une opposition effective - non seulement à cause de sa taille, mais parce qu'il souffre de nombreuses tares du parti travailliste. Il ne prend pas part aux batailles quotidiennes sur le terrain, il ne se bat pas contre le monstrueux mur. L'affaire de corruption du Premier ministre, qui aurait été une occasion en or pour une réelle opposition, n'a pas provoqué de réaction du Yahad. Le parti travailliste bien sûr n'a soufflé mot.

Les petits partis qui représentent les citoyens arabes sont beaucoup plus actifs, mais la plupart des Juifs les ignorent, tout comme ils ignorent les Arabes en général.

C'est une situation désastreuse. Elle sème le désespoir parmi ceux qui aspirent au changement mais on ne voit aucune alternative viable susceptible d'assumer le pouvoir. Elle explique le résultat bizarre de tous les sondages d'opinion : la majorité est prête à faire des sacrifices pour la paix, la majorité vote pour Sharon.

Un changement de gouvernement est impossible sans un changement d'opposition. Et une nouvelle opposition n'a une chance de susciter l'enthousiasme que si son programme est réellement opposé à celui du gouvernement. Pour cela il faut du courage, de la confiance et un esprit combatif.

Jusqu'à ce qu'une telle opposition apparaisse, à l'intérieur ou hors du parti travailliste, aucun changement politique réel n'a de chance de se produire.

Uri Avnery 26 juin 2004

Traduit de l'anglais : « The Starling Went to the Raven » : RM/SW

Source: France-Palestine

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