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Uri Avnery :
ANTISÉMITISME - Pourquoi Sharon et Chirac ne peuvent se comprendre

29 juillet 2004  

Lors d'une allocution télévisée aux accents dramatiques, le président russe Vladimir Poutine a exhorté le million de Russes qui ont émigré en Israël à rentrer immédiatement dans leur pays, compte tenu du danger grandissant qu'ils encourent là-bas." Cette déclaration n'a évidemment jamais eu lieu. Mais il est facile d'imaginer le tollé en Israël si Poutine lançait un tel appel ou si le président Chirac demandait le retour des Israéliens francophones en France pour que leur vie ne soit plus menacée par les attentats suicides. Les médias israéliens pousseraient des cris d'hystérie. La Knesset [le Parlement israélien], réunie en session extraordinaire, dénoncerait le scandaleux comportement antisémite du président russe ou de son homologue français. Le ministre des Affaires étrangères rappellerait son ambassadeur à Moscou ou à Paris pour une "consultation urgente". En fait, c'est le contraire qui s'est passé. Le Premier ministre israélien a demandé aux Juifs français de quitter leur pays "aussi vite que possible" pour venir s'installer en Israël, en raison d'une vague d'antisémitisme déferlant sur la France. Pour les Israéliens, il s'agit d'une déclaration routinière, sans grande importance ; les dirigeants israéliens ne manquent jamais une occasion de presser les communautés juives du monde d'émigrer, toutes affaires cessantes, en Israël. Si "malentendu" il y a, il est donc réciproque. On pourrait appeler cela, pour employer une expression à la mode, le choc des civilisations entre la civilisation franco-européenne et la civilisation israélo-sioniste. Du point de vue français, les Juifs français sont tout simplement des Français. La République n'est pas fondée sur les origines religieuses ou ethniques ; chaque citoyen en est un partenaire, qu'il soit chrétien ou juif, nord-africain ou corse. Et voilà que le Premier ministre d'un pays étranger a l'audace de s'en prendre aux fondements de la République et de semer la discorde parmi ses citoyens. C'est la plus grave attaque qui puisse être lancée contre la France, presque aussi grave qu'une offensive militaire. Du point de vue israélien, les choses se présentent sous un tout autre jour. Selon la doctrine officielle, Israël est "l'Etat du peuple juif". Et ce "peuple juif" comprend tous les Juifs du monde, qu'ils vivent à Brooklyn ou à Bratislava. Chaque enfant de ce pays apprend que tous les Juifs de la planète viendront en Israël tôt ou tard. Ils n'ont pas le choix, leur explique-t-on, puisque les goys haïssent les Juifs et que les antisémites arriveront au pouvoir dans tous les pays un jour ou l'autre. Si Israël existe, c'est justement pour que les Juifs de la diaspora aient un endroit où se réfugier quand ils seront obligés de fuir, lorsque l'inévitable se produira. Cela explique les réactions ambivalentes des autorités israéliennes à tout acte antisémite, où qu'il se produise. La première réaction est naturellement la colère et la condamnation. Mais il y en a une autre, plus secrète, qui frise la satisfaction : "On vous l'avait bien dit ! Vous voyez que nous avions raison." C'est ainsi que Chirac a piqué une colère et que Sharon, qui n'en a cure, a réitéré son appel. Entre les deux hommes se tiennent ces pauvres Juifs français, qui ne demandent qu'une chose : qu'on les laisse en paix.

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